Edité à Vevey,
le dernier livre de Maurice Chappaz vient d'être primé
en France
Ouvrage d'artisan à la
saveur authentique
L'imprimeur Jean-Renaud Dagon a l'honneur
de collaborer avec l'écrivain valaisan. A l'ancienne.
Vendredi 4 août, Maurice Chappaz
s'est vu décerner le Grand Prix du 10e Salon du livre
de montagne de Passy (près de Chamonix), pour son
ouvrage Valais Tibet. Une distinction qui récompense
bien sûr le travail poétique rigoureux de l'écrivain
valaisan (lire ci-après), mais aussi celui, tout
aussi admirable, de l'imprimeur Jean-Renaud Dagon. C'est
en effet dans son atelier veveysan, sis au quai Perdonnet
23, qu'a été façonné ce petit
bouquin d'une soixantaine de pages.
L'homme n'en est pas à son
coup d'essai. Propriétaire de l'atelier typographique
Le Cadratin depuis deux ans et demi, Jean-Renaud Dagon collabore
régulièrement avec les éditions Empreintes,
à Lausanne. Il a ainsi eu l'occasion d'imprimer des
oeuvres d'auteurs renommés, dont Corinna Bille et
Maurice Chappaz. "Mais c'est la première fois
que je me lance dans un vrai boulot d'éditeur, explique
le Veveysan.
Monsieur Chappaz et moi avons une
amie commune, à qui j'ai dit un jour que mon rêve
était de travailler à la manière d'autrefois
sur un de ses textes. Cette idée l'a emballé,
et il m'a fait l'honneur de me confier Valais Tibet."
La manière d'autrefois ? C'est celle qu'ont connue
les typographes bien avant l'arrivée des ordinateurs
et des rotatives ultra-rapides. Celle de la composition
au plomb, celle où les presses conféraient
aux pages tout le relief de l'écriture...
Les 500 premiers exemplaires de Valais
Tibet ont toutefois été produits de façon
plus conventionnelle. Seule la couverture a bénéficié
de la méthode artisanale. Une question de temps,
comme le précise Jean-Renaud Dagon: "Il fallait
que le livre soit disponible pour le Salon de Passy. Nous
l'avons donc rapidement tiré en offset, mais sur
du papier de qualité supérieure." Reste
donc à honorer la partie principale - et la plus
passionnante - de la commande de Maurice Chappaz : les 136
exemplaires numérotés du tirage de tête,
composés à la main et imprimés en typographie
sur papier cuve (fait main). Autrement dit, une bonne heure
de composition par page, lettre (de plomb) après
lettre. "C'est un travail de moine tibétain",
sourit l'imprimeur.
La version "à l'ancienne"
devrait sortir de presse cet automne. On s'en doute, elle
sera sensiblement plus chère que l'édition
courante. Les lecteurs sont-ils prêts à mettre
le prix pour acquérir un tel ouvrage de collection
? "On verra bien, lance Jean-Renaud Dagon. J'ai l'impression
qu'il existe des bibliophiles qui recherchent le papier
rare et noble. Mais, de toute façon, je ne me suis
pas lancé dans cette aventure pour gagner de l'argent,
croyez-moi." Une chose est sûre, cependant :
en perfectionniste averti, Maurice Chappaz attend le résultat
avec une certaine impatience.
Patrick Monay
15.08.00
Vevey le Cadratin, une presse...
pas pressée
Que les livres soient beaux !
Il vient de composer la première
page du livre de Chappaz, "Valais-Tibet", sur
le marbre. Cette édition se veut un acte de résistance
à la facilité de l'offset. Portrait de Jean-Renaud
Dagon, un typographe, un vrai.
Il était une fois... Non,
non, attendez. Ce n'est pas un conte de fées. Il
était une fois un typographe qui travaillait encore
avec des lettres de plomb et des cadrats (petit lingot employé
pour créer les espaces blancs dans une page imprimée).
Encore ? Mais non : de nouveau ! Mieux : de plus en plus.
En ce mois d'août, Jean-Renaud Dagon s'emploie à
composer, à la main comme il se doit , lettre par
lettre, les premières pages du livre de Maurice Chappaz,
Valais-Tibet, qui vient d'être primé au 10e
Salon du livre de Montagne 2000 de Passy (France). Comment
? Le livre est déjà sorti ? Ce que le jury
a eu en main n'est que la version offset : la vraie, la
seule, la merveilleuse édition sera celle de la série
limitée à 136 exemplaires sur papier cuve,
qui paraîtra quand elle paraîtra. Mais à
voir le travail laborieux qu'elle implique, ce ne sera pas
la semaine prochaine. L'imprimeur Jean-Renaud Dagon, 48
ans, se moque de la rapidité. Ce qu'il aime, c'est
son corps à corps avec la presse et le massicot (machine
à rogner le papier). Son atelier typographique, dédié
au seul amour du beau livre, porte le nom de Cadratin, un
cadrat qui a la même épaisseur qu'un caractère.
Et il ne fait nul doute que l'atelier de Dagon a autant
d'épaisseur que de caractère.
Si l'aventure du livre de Chappaz
est un cadeau inespéré pour ce typographe
inspiré - et son premier ouvrage de réelle
importance-, l'homme ne compte pas s'en tenir là.
Il est le fournisseur principal des Editions Empreintes
et caresse notamment un projet pour le prochain Salon du
livre. Formé comme imprimeur-typographe à
Grandson, dans la volée 1972, soit l'une des dernières,
Jean-Renaud Dagon se fait à l'offset en toute modernité,
et ouvre, en 1980, avec sa femme, une imprimerie standard
à Vevey : "Il faut bien gagner sa vie."
Certes, les nouvelles technologies sont là, efficaces
et fiables, mais que devient la passion ? Dagon se met à
acheter et récupérer du matériel ancien.
Mais pour lui, il n'était pas suffisant d'avoir les
outils nécessaires. "Je ne pouvais pas installer
mes machines n'importe où. Le local, il fallait qu'il
aille avec elles; si je devais aller dans un rez-de-chaussée
de la zone industrielle... je fermerais la baraque",
explique-t-il. C'est donc en 1988 que commence l'aventure
du Cadratin, d'abord à Clarens, au-dessous de son
ancienne maison, dans un tout petit local, puis finalement,
depuis trois ans à Vevey, au bord du lac, sur le
quai Perdonnet. Histoire de ne pas se tromper, avant son
arrivée dans les mêmes locaux, il y avait déjà
une imprimerie. La tradition se poursuit.
Biker indomptable, l'homme porte
sa fascination pour le métal noir et chromé
sur ses machines comme sur ses bécanes. Une Harley
flamboyante est parquée à côté
de la porte d'entrée, ça vous pose un genre.
Mais Dagon n'aime pas faire comme tout le monde, et c'est
pour ça que, après les avoir retouchées,
ses motos deviennent une oeuvre originale, comme ses bouquins.
"L'atelier est un hobby, ma troisième Harley.
J'y travaille parce que j'ai du plaisir à le faire,
mais, pour l'instant, je n'en tire pas un sou, plutôt
le contraire." Et les anecdotes se ramassent par dizaines,
comme ce jour où une vieille dame guigna à
travers la porte avant de demander timidement le prix de
cinquante cartes de visite. Elle était cliente de
l'imprimeur précédent et Dagon, malicieux,
ne put qu'articuler la somme d'il y a vingt ans : vingt-cinq
francs pour le tout. "Et pour cent ?" Trente francs.
Commande prise, travail effectué, gain zéro.
Le matériel livré, sale histoire : une erreur
l'obligea à tout recommencer.
Le Cadratin est une sorte de musée
vivant. Tout est vieux, tout est beau, tout fonctionne (sauf
le téléphone pendu au mur, un souvenir d'autrefois).
Des dizaines de casses avec des lettres de différents
caractères, des piles de papier qu'on aimerait pouvoir
toucher, des machines resplendissantes dont on a juste le
temps de deviner le bruit lorsque Dagon les met en marche.
C'est de la musique qui en sort et leur cantilène
est unique. "Un jour que je travaillais ici, à
l'atelier, je vois entrer un type qui m'adresse la parole
en schwitzerdütsch. Ancien typographe, en balade avec
une bande d'autres imprimeurs, il avait entendu la machine
à cent mètres de distance. Ils étaient
ravis de voir qu'il y avait encore des "jeunes"
qui se dédiaient à l'art de la typo; nous
avons longuement discouru sur le sort et le rôle de
la composition artisanale."
Homme libre, un peu ours, dit-il,
mais qui n'a pas "le courage d'être pauvre".
C'est pour cette raison que, après vingt ans d'offset,
il aimerait réunir une équipe qui pourrait
s'occuper de l'entreprise "industrielle" pour
se concentrer sur son atelier, mais il a peur de faire le
saut : "Pour l'instant, ce n'es pas une contrainte
et c'est pour ça que cela m'intéresse."
Paolo Mariani
6.08.2000
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