Jérôme Meizoz
L'Oeil sociologue et la Littérature,
Essai, Slatkine Erudition, 2004, 240p.
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Jérôme
Meizoz dans nos pages consacrées
aux auteurs de Suisse
Jérôme
Meizoz / L'Oeil sociologue
et la Littérature |
ISBN 2-05-101942-8
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Pourquoi porter un oeil
sociologique sur la littérature ?
Qu'apporte une science du collectif à propos
d'un art où semble dominer la singularité
?
En refusant de naturaliser le fait littéraire,
la sociologie fait apparaître toute la complexité
de cette pratique, placée au coeur des conflits
symboliques dont est tissée la société.
Parmi les lectures plurielles qu'appelle la complexité
du littéraire, l'oeil sociologique articule
les rapports entre auteur, texte et société
pour mieux comprendre pourquoi un texte a pris telle
forme (générique, stylistique, typographique)
parmi une infinité d'autres formes coexistantes
possibles.
Etudes sur Paul Eluard, Benjamin Péret, les
Surréalistes, Rodolphe Töpffer, C.F. Ramuz,
Blaise Cendrars, Michel Houellebecq, les procès
et les prix littéraires.
Jérôme
Meizoz né en 1967 en Suisse. Docteur
ès lettres (UNIL, Lausanne) et sociologue de
la culture (EHESS, Paris). Enseignant aux universités
de Lausanne et Genève, il est également
écrivain et chroniqueur littéraire.
L'Oeil
sociologue et la Littérature, Essai, Slatkine
Erudition, 2004, 240p.
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Avant-propos |
Il n'y a pas si longtemps de cela,
à l'apogée du règne du "Texte"
et de sa "clôture", plusieurs théories
littéraires inspirées de modèles sociologiques
- la sociocritique de Claude Duchet (1979) ou Pierre V.
Zima (1978), l'analyse institutionnelle de Jacques Dubois
(1978) - n'ont cessé de rappeler l'historicité
et la socialité non seulement des pratiques littéraires
et des formes, mais aussi celles de leurs producteurs et
de leurs consommateurs1. Dans
la lignée de ces études fondatrices, ce recueil
de quatorze articles (inédits ou parus en revues)
a pour but d'illustrer les apports théoriques et
empiriques de "l'oeil sociologue" appliqué
à la chose littéraire.
Pourquoi proposer un regard sociologique
sur la littérature ? Qu'apporte une science supposée
du collectif à propos d'un objet où domine,
depuis le Romantisme au moins, un "régime de
singularité" (Heinrich 2000) ? Si chacun perçoit
qu'il y a un lien entre un texte et son contexte - par exemple,
à l'extrême, on comprend que Zola n'est pas
possible en 1634 -, la complexité d'une telle relation
qui échappe à la simple causalité n'est
pas encore résolue. Et il incombe à la sociologie
littéraire de l'approfondir2.
En refusant de naturaliser et déshistoriciser
la notion de littérature, la sociologie interroge
son domaine d'extension et les méthodes qu'elle convoque.
Il n'y a pas, pour elle, une seule définition, ni
une seule science de la littérature. Celle-ci se
révèle un objet social mouvant et variable,
qui - comme la physiologie, l'anatomie ou la pharmacologie
quant à la "santé" - implique la
collaboration de disciplines diverses. Parmi les lectures
plurielles qu'appelle la complexité du littéraire,
la sociologie propose un angle de vue particulier et complémentaire
à ses voisines : elle cherche à articuler
les rapports entre auteur, texte et société
pour mieux comprendre pourquoi le texte a pris telle forme
(générique, stylistique, typographique) parmi
une infinité d'autres formes coexistantes possibles3.
Trois propositions de base, sous
forme de trois refus, sont ainsi communes, bon gré
mal gré, à l'ensemble des travaux actuels
de sociologie littéraire, et les distinguent des
approches formalistes :
- Refus de la dichotomie traditionnelle
entre texte (singularité, immanence, autonomie)
et contexte (collectif, externe), entretenue par
la division disciplinaire dans l'enseignement (David 2001).
- Refus de donner un primat indiscuté
au seul texte dans le dispositif d'analyse. La
fameuse "clôture du texte" n'est à
considérer que comme un parti pris méthodologique
temporaire.
- Tout texte est tissé de
socialité, ce qui exige de le traiter comme
un discours situé, en relation dialogique
avec d'autres discours au coeurs de la rumeur du monde4.
Restituer une telle socialité, c'est réinsérer
ce discours dans une chaîne d'interactions, un dispositif
de la communication dont il est le produit (auteur, texte,
support, lecteurs).
Avec le recul des modèles
structuralistes depuis les années 1980, le retour
du sujet et de l'histoire, la réhabilitation de l'individualité
en sciences humaines, les théories de la littérature
ont pris un tournant. Une partie des questions les plus
fécondes qu'elles se posent aujourd'hui ont été
suscitées par le regard extérieur de disciplines
diverses, prétendant toutes dire quelque chose de
l'Arlésienne : la chose littéraire. Ainsi
les avancées de la linguistique, celles de l'histoire
culturelle et de la sociologie ont-elles renouvelé
le regard sur les phénomènes littéraires.
L'enjeu aujourd'hui me semble de
formuler des propositions de méthode qui tiennent
ensemble les acquis de la poétique et ceux de la
sociologie historique - le texte et son contexte, la logique
des formes et celle de leurs créateurs - sans retomber
dans le déterminisme des théories du reflet,
d'une part, ni, de l'autre, se satisfaire du schisme théorique
prononcé par Barthes dans "Histoire ou littérature
?" (1960).
Tel se veut le fil conducteur de
cet ouvrage et son horizon, à travers divers chapitres
méthodologiques ainsi que des études de cas
(Eluard, Péret et les surréalistes, Ramuz,
Cendrars, Houellebecq, etc.)
Jérôme
Meizoz, avril 2003 - janvier 2004
1. Ceci
en réaction aux théories littéraires
directement inspirées de poétiques considérant
l'"autonomie" de la littérature comme une
donnée intemporelle (Mallarmé, Proust, Péguy,
Valéry). Théories auxquelles Valéry
donnera une forme des plus systématisées.
Péguy, contre Lanson : "Celui qui comprend le
mieux Le Cid, c'est celui qui prend Le Cid
au ras du texte [...] ; et surtout celui qui ne sait pas
l'histoire du théâtre français."
(Zangwill, 1904) ; Valéry : "Ce qu'il
y a de plus important - l'acte même des Muses - est
indépendant de tout ce qui peut figurer dans une
biographie. Tout ce que l'histoire peut observer est insignifiant."
(Au sujet d'Adonis, 1921). Mais surtout Proust, dans
Contre Sainte-Beuve (rédigé en 1908),
reconduisant l'argument de Flaubert contre le père
de la critique biographique : "Connaissez-vous une
critique qui s'inquiète de l'oeuvre en soi ? On analyse
très finement le milieu où elle s'est produite,
et les causes qui l'ont amenée, mais la poétique
d'où elle s'est produite, et les causes qui l'ont
amenée, mais la poétique d'où elle
résulte ? sa composition ? son style ?" (Flaubert,
lettre du 2 février 1869). Toutes citations tirées
de Jean Rohou, L'Histoire littéraire. Objets et
méthodes, Nathan, 1996, pp. 14-15.
2. La tradition
allemande est plus ancrée et institutionnellement
développée. E. Köhler distingue la "Soziologie
der Literatur" (sociologie de la littérature
quantitative d'Escarpit 1958 et 1970) branche de la sociologie,
qui étudie la diffusion, la production, les publics
et la "Literatursoziologie" (sociologie littéraire),
branche de la "Literaturwissenschaft", qui s'oriente
vers le texte et sa compréhension compte tenu des
facteurs sociaux.
3. Cf. Paul
Dirkx, Sociologie de la littérature, Paris,
Armand Colin, 2000.
4. A savoir
ce que Marc Angenot nomme le "discours social"
(1989).
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Table
des matières |
Avant-propos
Première partie : propositions
et lectures
I. Fin d'un grand partage ? Nouveaux
dialogues entre littéraires et sociologues
II. La littérature une pratique sociale "pas
comme les autres" ?
III. Sociopoétique d'un geste surréaliste
: le détournement de proverbes en 1925
IV. Propositions sociologiques sur la littérature
V. "Postures" d'auteur et poétique (Rousseau,
Ajar, Céline, Houellebecq)
VI. Y a-t-il une théorie du style chez Pierre Bourdieu
?
Deuxième partie : Regards
sur une enquête
VII. La sociologie est-elle soluble
dans l'histoire littéraire ? (entretien avec Jérôme
David?
VIII. Bref retour sur L'Age du roman parlant 1919-1939
Troisième partie : Francophonies
IX. Français ou francophones
? Ramuz et Cendrars
X. Pertinence ou impertinence de la lecture sociologique
? Lettre à un critique (sur Rodolphe Töpffer)
XI. Sociologie d'un "tabou diglossique" : l'écriture
des patois en Suisse romande, XIXe-XXe
siècles
Quatrième partie : Réceptions
XII. La réception comme suite
d'appropriations : "Liberté" de Paul Eluard
XIII. Sociologie d'une polémique : Plateforme
de Michel Houellebecq
XIV. La fabrique du fétiche : sociologie des prix
littéraires
XV. Bibliographie générale
Table des matières
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Entretien
avec Jérôme Meizoz, par Raphaël Baroni |
L'il sociologue et
la littérature
Entretien entre Jérôme Meizoz et Raphaël
Baroni
Raphaël Baroni : Dans ton
dernier ouvrage, qui paraît peu de temps après
l'édition d'une monographie consacrée à
Rousseau (Le Gueux philosophe, édité
chez Antipodes, 2003), tu as choisi de dresser un bilan
de tes recherches antérieures en fusionnant une quinzaine
d'études parues dans des revues ou restées
inédites. Tes travaux portent sur des domaines à
première vue très divers : un style (celui
des " romans parlants " de l'entre-deux guerres),
un genre poétique (le détournement de proverbes
par les surréalistes), des " postures "
d'auteur incarnées par Rousseau, Ajar ou Céline,
la situation des écrivains excentrés par rapport
à la métropole parisienne, les réceptions
critiques d'un poème d'Eluard, la polémique
autour du dernier roman de Houellebecq ou l'institution
des prix littéraires, que tu dépeins comme
une " fabrique du fétiche ". Comment décrirais-tu
le point commun entre toutes ces études ? Quel est
au juste ce " point de vue " du sociologue sur
la littérature ?
Jérôme Meizoz : Je tenais
à composer un volume qui allie des parties théoriques,
consacrées aux approches sociologiques de la littérature,
ainsi que des études de cas, inspirées de
ces mêmes théories. Ceci parce que je crois
que la théorie et l'analyse littéraire empirique
gagnent à une constante dialectique. Je voudrais
éviter de fétichiser une théorie et
donc de la figer (celle de Bourdieu par exemple). Plutôt
la faire évoluer souplement selon le texte étudié.
C'est pourquoi à chaque texte que j'analyse, et j'ai
choisi d'aborder plusieurs genres, l'angle du regard sociologique
(d'où le titre du livre) est différent.
Le point commun de toutes ces études consiste en
quelques postulats : que le texte est un objet de part en
part social, historique, qu'il s'inscrit dans une histoire
des formes à laquelle des " auteurs " viennent
imprimer des dérivations, qu'il faut donc l'étudier
sans le séparer de son contexte. J'essaie d'être
attentif à la manière dont la singularité
littéraire (censée s'exprimer dans le "style")
se construit par une négociation avec le monde des
lettres et ses enjeux spécifiques.
RB : A te lire, et notamment lorsque
l'on considère la polémique qui t'a opposé
au professeur Daniel Sangsue de l'Université de Neuchâtel
- dont tu donnes un aperçu sous la forme d'une lettre
ouverte qui lui est adressée -, on a parfois l'impression,
pour reprendre une formule de Pierre Bourdieu, que la sociologie
est un " sport de combat ". Comment expliques-tu
les fortes résistance qui existent encore, au sein
des départements de littérature, par rapport
aux travaux d'orientation sociologique ? Qu'est-ce qui "
effraie " tant les littéraires confrontés
aux sociologues de la littérature ?
JM : D'abord, il faut dire qu'en
dix ans les choses ont beaucoup changé. Au début
des années 90, dans le sillage de la comète
structuraliste, on était très hostile à
la sociologie littéraire de Bourdieu, accusée
de réductionnisme, d'ignorance des formes, etc. Elle
était perçue comme une théorie marxiste
du reflet, ce qu'elle n'est pas. Depuis, les choses ont
évolué : d'une part, des travaux importants
comme ceux de Gisèle Sapiro (La Guerre des écrivains,
1999) ont affiné le modèle de Bourdieu. De
l'autre, l'ensemble de la critique universitaire est revenue
peu à peu au sujet et à l'historicité,
donc au social. Aujourd'hui, considérer sociologiquement
la littérature n'est plus scandaleux dans nos départements.
Les résistances tiennent à des réflexes
de conflits d'école : Bourdieu a formulé très
agressivement sa théorie, contre les " formalistes
", notamment. Ceux-ci se sentent méprisés
ou incompris, et ils se défendent. En quoi il n'ont
pas tort, car Bourdieu a aussi largement caricaturé
les postulats des formalistes ! En ce sens, je peux comprendre
les objections tout à fait valables de D. Sangsue.
Mais j'ai été heurté par le ton de
son intervention, c'est pourquoi je lui ai répondu,
très poliment d'ailleurs.
RB : D'après toi, quel
est le rôle que peut tenir aujourd'hui la sociologie
dans le domaine de l'enseignement académique de la
littérature ?
JM : Il me semble que dans les années
de formation, la présence du regard sociologique
sur la littérature mérite d'être intégrée
davantage, notamment dans les enseignements d'histoire littéraire.
Cela se fait en partie d'ailleurs. En effet, si la littérature
est un phénomène historique, c'est également
une réalité sociologique, un produit de confrontations
entre des individus, des groupes, des codes, des normes.
Il faut restituer cette complexité de démarche
collective sur laquelle se détache la singularité
littéraire. Les étudiants sont en général
passionnés de voir comment les textes s'élaborent
en tension créative avec un contexte.
RB : Dans ton essai, tu te penches
sur le statut des littératures dites " périphériques
" et sur leur processus de consécration, tu
analyses notamment les cas de Cendrars et de Ramuz. Etant
donné que tu es toi-même l'auteur de plusieurs
romans et recueils de nouvelles, est-ce que tu as l'impression,
aujourd'hui, d'être confronté aux mêmes
problèmes que devait affronter Ramuz au début
du siècle passé pour défendre la valeur
de tes uvres face aux écrivains parisiens,
ou la situation a-t-elle évolué ?
JM : Structurellement, les obstacles
demeurent les mêmes, mais historiquement la situation
a beaucoup évolué. Même menacé
par une crise larvée du livre, l'espace littéraire
romand est aujourd'hui fort doté, en terme d'éditeurs,
imprimeurs, revues. En même temps, il survit sous
perfusion de subventions. Toujours est-il qu'il est possible
de publier ici et d'avoir un écho humain et littéraire,
même si le pays est exigu. L'accès à
Paris reste sans doute difficile, mais plusieurs exemples
ont prouvé qu'il est possible. Pour ma part, je n'en
fais pas une priorité. Quand je vois les attentes
et exigences du marché parisien, je me dis que je
ne peux y répondre. Je ne veux pas que l'on me dicte
un genre, une intrigue, un ton à la mode. Je fais
ce que bon me semble en toute liberté, ici, même
si le prix à payer est sans doute la confidentialité.
Tant pis. Ou tant mieux.
Raphaël Baroni
Un entretien plus approfondi
entre Jérôme Meizoz et Raphaël Baroni
est à consulter sur le site de théorie littéraire
VOX-POETICA : http://www.vox-poetica.org
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Extrait
de presse |
Essai. L'auteur dans le vaste
champ des possibles
Jérôme Meizoz éclaire
la théorie littéraire par des exemples concrets.
Un outil utile
Auteur d'une thèse sur Le
Roman parlant 1919-1939 (Droz, 2001), professeur aux Universités
de Lausanne et de Genève, Jérôme Meizoz
a réuni en un volume des études diverses [...]
Une approche complexe qui cherche à articuler «les
rapports entre auteur, texte et société pour
mieux comprendre pourquoi un texte a pris telle forme»
dans le vaste champ des possibles.
L'il sociologique associe des contributions théoriques
à des exemples concrets.
[...]La «posture» désigne
la façon personnelle qu'un auteur a de se positionner
dans son «champ» littéraire, tant par
ses comportements que par son discours. Jérôme
Meizoz a choisi trois attitudes singulières. Celle
de Rousseau, qui se pose de façon obsédante
la question de sa place, revendiquant sa marginalité
tout en la vivant comme une souffrance. Celle de Céline,
qui travaille à se définir comme homme du
peuple par rapport aux «bourgeois». Celle de
Michel Houellebecq, jouant sur l'ambiguïté entre
le discours de ses personnages et le sien propre. Tous deux
calquant leur comportement social sur leurs écrits.
[...]
Isabelle Rüf
Samedi 13 novembre 2004
Page créée le: 02.12.04
Dernière mise à jour le 08.12.04
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