Histoires de Louise, est le dernier recueil de proses poétiques né sous la plume de la poétesse Claire Krähenbühl. Poursuivant le but avoué d’expliquer le désarroi suscité par le statut d’être poète au 21e siècle, ces brefs récits sont introduits par une citation extraite de Monsieur Songe évoquant Louise Bottu, poétesse tremblotante et boiteuse rencontrée par le retraité au cours d’une promenade. En plaçant d’emblée son recueil sous le parrainage du personnage de la poétesse Louise Bottu créé par Robert Pinget, ces textes dessinent en creux le portrait de l’écrivaine, laquelle déclare d’entrée de jeu de quoi les pages à venir sont faites : « Oh ! ça parle de vieilleries comme l’amour, la mort, le feu, l’herbe et l’eau, l’ortie, l’épervière, la première jonquille de la 62e rue, le visage au fond du puits...
– Oui, et puis ? ça parle d’enfantillages. La première peluche perdue et toutes les pertes à jamais, doudous, cailloux, bijoux. […] ça parle des épingles perdues, de tout ce qui a disparu, inexplicablement. Et ça parle de ce qui existe.
- Comme quoi ?
- Comme l’enfance, la mort, comme la terre mouillée du jardin, les orages, les merveilles qu’on mange, le chat qui dort enroulé comme un escargot, la soif qui ne passe pas, le temps qui ne passe pas, qui passe trop vite ou trop len-te-ment, la vie trop courte et le jour trop long, les heures trop lentes quand on a mal, quand l’autre est loin… »
L’objectif poursuivi par l’écrivaine étant dévoilé, son double fictionnel au doux prénom de Louise (comme la poétesse rencontrée par Monsieur Songe) entre en scène, tantôt seule, tantôt dialoguant avec la Petite, figure de la petite enfance.
Quiconque connaît un peu la poétesse y reconnaîtra très vite plusieurs de ses thèmes favoris. Le pouvoir enchanteur des mots, son penchant pour la langue de Shakespeare, son attrait pour les séjours dans des villes étrangères, son attirance pour les couleurs vives, sa passion du rouge, l’omniprésence de la nature, qu’il s’agisse des buis ou des broussailles, des ronces dans lesquelles se prend sa jupe ou encore des senteurs des fleurs de son jardin. Mais pas seulement. Car si plusieurs de ces histoires parlent des sentiments éprouvés dans l’enfance ou dans sa vie de jeune adulte, les Histoires de Louise emmènent les lecteurs sur les traces d’objets aux contours bien dessinés, telle cette petite robe noire, dénichée au bas d’une rue en pente menant au lac. « Noire. Décolletée en pointe. Se fermant et s’ouvrant devant, de haut en bas. […] Elle fut ouverte souvent, soulevée, chiffonnée, salie, explorée, troussée, jetée au pied d’un lit français. Saisie, enfilée, décousue, défaite. Embaumée. Lavée à la main, repassée lentement dans la vapeur propice aux rêveries un peu moites, dans les soupirs sans retenues du fer. La robe…» Autre objet fétiche s’invitant entre les lignes : une valise. Contenant la correspondance amoureuse ou un bébé mouilleur, celle-ci renferme un bien précieux qu’il s’agit de cacher soigneusement sous le lit.
De ces textes émergent les souvenirs d’enfance gardés au fond de son cœur comme le seraient des reliques, « tout ce que la mémoire emporte comme la vague emporte les coquillages, laissant derrière elle tessons et cailloux». Se mêlant à ces témoignages du passé surgissent les récits des premiers émois, des premières aventures, rappelant l’emploi de certains mots, (utilisés et donc autorisés), mais aussi le bannissement de certains mots (les mots interdits) « on ne disait pas je hais, on disait je déteste. On ne disait pas laid, on disait vilain. […] On n’osait pas dire je suis triste mais si quelqu’un l’était on disait : c’est malfait. » En effet ces Histoires de Louise osent énoncer ce que Louise aime et n’aime pas. Parmi les rejets figurent le goût des mets sucrés et les voyages au loin. « Elle n’envie ni les hordes qui parcourent le monde en le pillant ni les routards solitaires à l’idéal serré dans leur sac à dos. La flore des déserts a pour elle moins de charme que le populage des prés humides. […] Rencontrer l’Autre, qu’il soit Pygmée ou Touareg, elle n’y croit pas. Ce n’est que vent du sud jetant du sable rouge aux yeux. Ce n’est que songe de pacotille, comme les trophées qu’ils rapportent pour leurs étagères, les photographies pour leurs tiroirs, les récits fastidieux pour nos oreilles. »
Intermède à ces haltes sur le chemin du passé fait irruption le souvenir récent du feu qui enflamma sa maison. Des flammes brûlant tout sur leur passage, détruisant des objets chéris. Evénement brutal puisque rappelant la vie éphémère des objets, donnant à la vie un sentiment de fuite inexorable puisque « le temps a passé ! vite, très vite, puis de plus en plus vite ».
Du trouble jeté par le passé enfui émerge la ferveur accordée aux mots, à l’expression poétique dont le rêve est la figure suprême. Retrouvant au terme de ces Histoires de Louise, pour une ultime fois le personnage de la poétesse évoquée par Monsieur Songe, le lecteur sort de ces cheminements au travers d’une vie consacrée à la poésie comme transformé. A la délicatesse des mots choisis pour rendre compte de ces différents instants pris au vol s’ajoute le sentiment de s’être rapproché un peu plus de l’univers particulier d’une poétesse aujourd’hui. Un privilège rare et précieux !
Brigitte Steudler
Page créée le: 22.12.11
Dernière mise à jour le: 22.12.11
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