Vacances douces-amères
Rencontre avec Caroline Schumacher, lauréate
2002 du Prix de poésie C.F. Ramuz
Le 30 novembre, Caroline Schumacher
quittera Neuchâtel pour se rendre à Pully,
où elle recevra le Prix de poésie Ramuz, un
prix décerné tous les trois ans par la fondation
du même nom pour encourager les nouveaux talents.
Ce même jour, les éditions Empreintes publieront
le manuscrit primé, intitulé "Les Grandes
Vacances".
Autour du manque
"Je
tenais à ce titre, en raison de son ambivalence,
les vacances, ça évoque la plage, le soleil,
les pieds en éventail. Mais le terme signifie aussi
l'absence, la béance, le manque, explique
la jeune femme dans son petit appartement du centre-ville.
Avec une volubilité qui trahit le souci d'exprimer
au mieux sa pensée, d'approcher au plus près
la justesse du propos. Dans
ces poèmes, un mot revient de façon presque
obsessionnelle: entaille". Mot inépuisable
qui renvoie tout à la fois au sexe féminin,
à l'encoche blessant la plénitude, à
la faille qui, une fois quittée l'enfance et sa candide
appropriation du monde, se glisse dans notre rapport aux
autres, aux objets. "Rien,
pas même la poésie, ne peut combler le manque,
la déchirure, mais ceux-ci peuvent être féconds
si on sait les apprivoiser, les réenchanter, la poésie
cherche comment parler autour de ce vide, elle permet d'en
caresser les contours".
Elève précoce, Caroline
Schumacher s'est intéressée à l'écriture,
et à la lecture, dès qu'elle fut en âge
de tenir un crayon. Enfant, elle fabriquait de petits carnets
pour les noircir. Universitaire, elle trouve dans l'écriture
"un défoulement,
contrepoids" à ses études de lettres.
Stimulée par ses lectures - Jaccottet, Chappaz, Breton,
Char, d'autres encore dont elle vient éparpiller
les recueils sur la table -, l'étudiante jette, d'un
trait, ses poèmes sur le papier. Séparant,
immédiatement, l'ivraie du bon grain. "Quand
le premier jet est mauvais, on peut, à la rigueur,
garder un bon vers, mais c'est pour tout recommencer autour.
Un poème ne se fabrique pas comme une montre, on
ne peut en changer une seule pièce, ni rajouter de
la beauté après coup".
Epaulée par un souci de perfectionnisme,
la pratique de la critique littéraire vient, pourtant,
ébranler la confiance de la jeune femme. "A
l'adolescence, on trouve légitime de faire le plus
de bruit possible, d'écrire pour exprimer ses rages.
Après, il faut asseoir cette légitimité.
Je voyais mes influences romantiques, il m'a fallu cerner
ce qui était accessoire et ce qui relevait d'une
voie féconde de recherche". Portée,
par tempérament, au lyrisme flamboyant, un style
qui, reconnaît-elle n'est plus d'époque, Caroline
Schumacher a su en assourdir les éclats: "Je
parlerais de lyrisme qui hésite et qui claudique,
de lyrisme mis à l'épreuve: on le somme de
dire des choses qui fassent sens".
Des lettres au droit
Une fois sa licence en lettres en
poche, la jeune femme n'envisage pas de vivre de sa plume,
mais d'embrayer sur des études de droit qui lui permettraient
par la suite, d'apporter des réponses concrètes
à ses indignations. Elle n'en ressent pas moins l'écriture
comme un besoin, une nécessité de s'adresser
à un Autre, aussi lointain soit-il. "Est-ce
à toi que je parle ou à l'ombre?",
s'interroge-t-elle au terme de son recueil. "Je
me suis, effectivement, demandée si on ne me comprendrait,
si ces poèmes trouveraient à qui s'adresser".
Le prix Ramuz, ainsi que les réactions, très
positives, de ses premiers lecteurs, devraient calmer ses
inquiétudes...
Caroline Schumacher, Les Grandes Vacances,
Editions Empreintes, 2002.
Dominique Bosshard
18.11.2002
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