Les Mots des Cimes
Les Mots des Cimes, Éditions Regards du monde, 2004

Table des matières

Sans titre, lavis au coprin, Edmond Quinche

Avertissement

Stella, Frédéric Pajak

Cartes postales, Corinne Desarzens

Les deux, Christophe Gallaz

La robe blanche, Daniel Maggetti

Condition de survie des insectes en milieu préalpin, Jérôme Meizoz

Ombre ovale, Thomas Bouvier

Mes Diablerets crachent leur colère sur le drapeau hélvète lorsqu'il est volé par un riche propriétaire, Yves Rosset

 

Avertissement

Été 2004. Trois jardins de photographies ont surgi dans les Alpes vaudoises. Trois écrivains français - Pierre Bergounioux, Michel Butor et Jacques Réda - et trois photographes suisses - Hélène Binet, Thomas Flechtner et Balthasar Burkhard - ont exprimé à leur manière et dans leur langage leur vision de lieux déterminés : la colline du Temple à Château-d'Oex, le sommet de la Berneuse au-dessus de Leysin et le col de la Croix entre les Diablerets et Villars. Paysages en poésie, ouvrage publié aux Éditions Infolio, rassemble ces contributions.

Pour compléter cette démarche et poursuivre la réflexion sur le paysage et les mots initiée par l'Association Regards du monde, cette dernière a invité sept écrivains romands à livrer une nouvelle, ou un texte bref, attestant une relation particulière à la montagne. Par leur sensibilité et des approches diverses portant l'accent sur l'histoire, le vécu personnel ou la fiction, Corinne Desarzens, Christophe Gallaz, Frédéric Pajak, Jérôme Meizoz, Daniel Maggetti, Yves Rosset et Thomas Bouvier nous invitent à découvrir la montagne et ce qu'elle révèle en eux. Une piste et un regard, parfois intime, propres à signifier ce qui relie la géographie à l'expérience de la vie.

A l'occasion d'une Semaine littéraire coproduite avec la chaîne radiophonique de Suisse romande ESPACE 2, ces sept textes ont été lus sur la terrasse du Centre culturel de Gryon, et diffusés sur les ondes. L'écho qu'ils ont rencontré auprès du public nous a encouragés à publier le présent ouvrage.

 

Entretien avec Pierre Starobinski, par Brigitte Steudler

Pierre Starobinski, instigateur du projet Paysages en poésie et des publications qui en sont nées, répond aux questions de Brigitte Steudler pour le Culturactif.

Les mots des cimes rassemble en un très beau volume sept textes écrits par Corinne Desarzens, Christophe Gallaz, Frédéric Pajak, Daniel Maggetti, Jérôme Meizoz, Yves Rosset et Thomas Bouvier. Tous différents par l'écriture, le style et le propos, ces textes sont sous-tendus par le thème commun de la montagne. Quels sentiments vous étreignaient en publiant ce volume, peut-être le point final d'un projet aussi important et vaste que Paysages en poésie ? Quels moments forts avez-vous retenus lors de la lecture de ces textes en juillet passé par des comédiens, et quelles émotions différentes ressentez-vous aujourd'hui en face de ces textes imprimés avec un soin particulier, agrémentés en outre d'un lavis d'Edmond Quinche?

Il faut exposer d'emblée que ces textes sont le fruit d'une commande passée par l'association Regards du monde aux auteurs cités. Ils sont devenus, avec quelques autres plumes amies, les artisans d'une grande entreprise (Paysages en poésie) visant à préciser ou déterminer le paysage dans une géographie donnée au travers de diverses expressions artistiques. Je pressentais, éclairé par les lectures de Bachelard, que la relation à la nature et au paysage en particulier est une affaire de sentiments individuels, en quelque sorte une somme d'impressions préalables qui nous font percevoir notre environnement par des filtres qui sont tout autant la famille, les origines, les éléments. J'étais également convaincu que le langage est, tout autant que la vue, un sens qui nous permet de discerner le paysage, rejoignant dans cet a priori Alain Roger et une des grandes théories paysagères.

Ceci dit, ce qui préside au choix de publier ou non, c'est bien entendu la qualité des textes transmis. Ces sept textes brefs forment, à mon avis, un très bel ensemble qui qualifie une région au travers d'expériences personnelles, de visions des lieux et de sentiments particuliers. Chacun de ces textes nous entraîne dans une harmonie et une musique de la langue singulière et tous les sept, sans aucun doute, méritent la forme imprimée - quand bien même le préalable de la commande visait à produire des textes lus et diffusés sur les ondes de la Radio Suisse Romande. Enfin, il m'est très difficile de ne pas associer l'image au texte. J'ai cela en moi tout naturellement, comme une évidence. S'agissant de représenter La montagne, je me suis tourné vers un peintre dont je connaissais la sensibilité à fixer des éléments de la nature - les arbres, les chemins, les pierres, les enchevêtrements de branches- et dont très honnêtement je rêvais de faire connaissance. C'est donc encore une fois sans aucun doute et de manière tout à fait évidente que je me suis tourné vers Edmond Quinche qui a accepté de rehausser l'ouvrage de son très beau lavis.

Précédant ce recueil de textes, a paru, portant le titre de l'ensemble de la manifestation dont vous avez été le directeur durant tout l'été 2004, Paysages en poésie, somptueux dialogue entre paysages, images et textes où vous avez eu l'idée de faire dialoguer photographes et poètes, Thomas Flechtner et Michel Butor, Balthasar Burkhard et Pierre Bergounioux, Hélène Binet et Jacques Réda. Pouvez-vous nous dire ce qui a présidé au choix du velours recouvrant la couverture du volume paru ? Avez-vous voulu apporter à cette manifestation désormais figée et presque enfermée dans un format aplani une dernière touche tactile - offrir au lecteur, ancien visiteur ou participant de Paysages en poésie une dernière sensation de douceur en opposition aux sentiments de rudesse et d'hostilité suscités pour certains d'entre nous par l'univers particulier de la montagne ?

S'il était possible de figer la neige pour en faire une matière imprimable, j'aurais choisi une neige du type "veille poudreuse" pour la couverture de ce livre. Une neige qui a déjà une histoire et qui connaît une partie des secrets de la métamorphose. Les montagnards me comprendront. Le velours proposé par notre imprimeur m'a séduit par la douceur de son toucher - la sensation de froid en moins. C'est donc bien un choix esthétique avant tout qui m'a guidé, et le souci de trouver un écrin particulier pour enfermer les oeuvres des artistes rassemblés.

Ce qu'il faut préciser au sujet de cet ouvrage, c'est la diversité des approches ; les choix très particuliers et les points de vue des photographes et des auteurs. Le dialogue Réda/Binet est, pour le moins, fascinant. D'un côté, la définition de l'expérience quotidienne, pleine d'humour, du poète pérégrin et de l'autre, une suite de tableaux presque abstraits où le souci de la matière devient le sujet premier. Cette conversation est tout à fait surprenante. Tout comme le grand calendrier de Michel Butor scandant un travail photographique de Thomas Flechtner construit en forme de manifeste dénonçant la rudesse des transformations de la montagne et les abus des usages de la montagne.

Enfin la très belle rêverie de Pierre Bergounioux devant ces vagues minérales, mer figée qui donne le vertige du temps, au cours de laquelle il convoque le souvenir de l'enfance et d'un sifflet rêvé qui pourrait arrêter le temps...

Ceci dit, si vous fuyez la montagne, le froid et les éclairs, ne résistez pas à ces pages elles ne présentent aucun danger.

Dans le premier volume de cette trilogie éditoriale ayant émergé de la manifestation Paysages en poésie et qui porte le titre de Aux lumières du lieu vous placez en incipit un texte de Rodolphe Töpffer: il y fustige l'influence néfaste de la prolifération d'itinéraires de toutes sortes privant le voyageur de toute spontanéité. Je doute fort qu'Aux lumières du lieu puisse souffrir de la même critique, mais, pour vous-même, en quoi la préparation de cet immense et innovant projet a-t-elle modifié votre regard sur cette région que vous connaissiez déjà bien ? Votre perception des lieux traversés sera-t-elle différente dorénavant ? Ces moments que j'imagine forts et intenses, partagés avec de si nombreux intervenants d'horizons si opposés interféreront-ils à jamais votre regard et votre perception de cette région?

Dans cet incipit Töpffer fustige la prolifération des guides et condamne le fait qu'il n'y ait plus de découverte, "plus d'impression vive et neuve", que tout est dévoilé aux voyageurs. Il exclut cependant de la proscription le bon Ebel, Murray et Joanne qui sont des ouvrages qui trouvent grâce à ses yeux. J'espère qu'Aux lumières du lieu aurait su plaire à Töpffer, c'est en tout cas l'objectif que nous nous sommes fixé avec toute l'équipe qui a oeuvré à sa réalisation.

Pour ma part, il me semblait indispensable de compléter le grand laboratoire du paysage qu'a été Paysages en poésie par une publication qui rappelle que lorsque nous nous déplaçons dans l'espace, nous nous déplaçons également dans le temps. Qu'à une époque où la raison du voyage est avant tout dictée par le vertige (Caillois), la vitesse et la consommation facile, il est d'autres valeurs dont l'histoire, l'architecture, la géologie (la liste pourrait être plus longue) qui forment un paysage, un territoire. Bien souvent nous en avons une conscience diffuse.

Le rassemblement de ces itinéraires m'a appris une masse de choses sur une région que je croyais bien connaître et que je connaissais de façon très lacunaire. (Par exemple, l'économie alpestre construit un paysage. Ses modifications, dictées par des impératifs économiques et par l'avancée des technologies bouleversent ce même paysage. Bien souvent nous n'y prêtons pas attention. L'ensilement fait surgir des balles de plastics blanches ou vertes un peu partout. L'affectation de la grange ou de la remise évolue et cela se passe pratiquement "à notre insu ". En certains endroits, la vache est remplacée par le mouton et les sillons que tracent les troupeaux se modifient. L'architecture progresse ou se fige, le tourisme utilise et transforme, etc. Il faut une attention particulière pour lire ces bouleversements dans le paysage).

En fait, la réalisation de ce guide a transformé ma façon de voir, de lire le paysage. Ce qui était essentiellement esthétique s'est chargé de sens et de richesses. Regarder les Tours d'Aï et de Mayens c'est contempler des moraines et le lit d'anciens glaciers; emprunter le col de Jaman c'est un peu faire la poste entre le Pays-d'Enhaut et les bords du Léman, etc.

Se souvenir, prendre acte de la différence des temps - ceux de la nature et des hommes voilà tout le but de l'entreprise, avec l'espoir que le lecteur partagera nos intérêts.

Propros recueillis par Brigitte Steudler