Invité
à parler de son parcours poétique, entamé
il y a plus de quarante ans sous l'égide de Chappaz
à qui il servait alors de "coursier", Ronald
Fornerod évoque la phrase de Saint John Perse selon
qui "Le poète est celui-là qui rompt
pour nous l'accoutumance". Ce devoir de rupture ne
lui sert toutefois pas de prétexte à l'hermétisme.
Ses textes, qui tous témoignent de son plein engagement
dans la difficile quête de la simplicité, trouvent
leur ancrage dans l'intimité du poète, mais,
épurés de toute dimension anecdotique, c'est
par la grâce des images et l'authenticité des
émotions qu'ils touchent le lecteur. De "la
noble transe farfelue de la vie" à "l'ultime
souffrance de la séparation", Quelques Flammes
ont dansé réaffirme, dans le prolongement
des autres recueils, que l'écriture poétique
se doit de "redécouvrir le monde sensible, de
réveiller les appétits et la soif de vivre
aux pays des repus".
Ronald Fornerod, votre quatrième recueil s'inscrit
dans une suite poétique dont le début remonte
à une quarantaine d'années. Y a-t-il de votre
part une recherche de cohésion sur une aussi longue
période ?
Le but de ce dernier recueil était
effectivement d'être dans la perspective de l'avant-dernier,
mais je suis mauvais juge. D'ailleurs, si j'écris
tous les jours, ce n'est pas dans l'intention de publier.
C'est plutôt une habitude que j'ai depuis très
jeune, je prends des notes en lisant le journal, devant
la télévision. Concernant mes poèmes,
je m'étais donné pour règle de ne pas
publier trop fréquemment, de respecter une marge
de sept ou huit ans, notamment pour éviter de me
répéter. Mais j'éprouve aussi le besoin
de me situer, de savoir où j'en suis, d'établir
des passages sur le flux du quotidien. Ceci d'autant plus
que j'ai souffert de problèmes de santé ces
dernières années, donc, dans mon dernier livre,
on sent ce besoin de "préparer le moment",
de l'envisager.
Le dernier recueil a donc eu une
genèse plutôt particulière?
Oui, tout à fait : je n'étais
pas vraiment sûr d'être encore là pour
l'éditer. J'ai donc rassemblé mes poèmes
et je me suis isolé dans un mayen pour les retravailler
afin de leur donner une homogénéité.
Je les groupe par contraste ou par similitude. Ce qui n'est
pas toujours évident, c'est d'avoir un prolongement
parfait, ou des oppositions.
Dans Nos Jours ainsi donnés,
paru en 1987, l'évocation d'un tu amoureux unifie
le recueil. Or il n'y en a guère de trace dans Quelques
Flammes ont dansé. Par contre le fil rouge est
constitué par le passage des saisons, du temps, avec
tous les motifs que cela implique, la nostalgie, la fugacité,
la mort même. La plupart des poèmes sont empreints
d'une expérience humaine semble-t-il assez douloureuse,
à quel point est-ce la vôtre?
Quand je relis mes poèmes
de jeunesse, j'ai souvent le sentiment qu'ils sont l'uvre
de quelqu'un d'étranger, qui parfois m'intéresse,
parfois m'exaspère. Il y a un décalage qui
est assez surprenant parce que c'est vrai que je les ai
écrits avec mes tripes. En fait, je pense qu'il y
a toujours un double aspect de l'écriture. Pour moi,
c'est aussi une manière de m'encourager dans les
moments difficiles. C'est mettre quelque chose à
l'horizon, quelque chose qui permet de supporter un quotidien
parfois terrible, une sorte de catharsis. Mais il y a un
balancement entre les textes sombres, peut-être même
parfois trop sombres, et une volonté de résistance.
Du reste, dans Terre de bienveillance, il y a des
textes qui sont plus sombres encore peut-être que
dans le dernier recueil, avec un titre qui affirme que cela
en vaut la peine malgré tout. L'écriture m'aide
à canaliser mes émotions et à aller
vers quelque chose de positif, plutôt que de ne voir
que l'aspect sombre, le spectacle, la comédie humaine
quoi!
Une sorte de sagesse résignée
qui s'exercerait par le biais de la poésie?
Probablement, mais une sagesse résignée
n'est pas une sagesse qui serait le résultat d'une
résignation. Je pense au contraire que la résignation
est une conquête, à la façon dont l'envisagent
les Stoïciens ou les Epicuriens. Il ne s'agit pas simplement
d'un constat désabusé, mais du résultat
d'un mouvement de conquête.
A ce propos, il y a aussi une
série de poèmes qui trahissent votre regard
sur le monde. Ils prennent alors une forme plus narrative
et portent des titres - Rupture, Intérimaire,
Complainte des vieux - qui font écho aux incertitudes
que doivent affronter certaines catégories de personnes
fragilisées, mises à l'écart. Comment
vous situez vous par rapport à la fameuse question
de l'engagement?
Le poème Résistance
par exemple (ndlr. qui porte sur le 11 septembre) a
été lu l'année même de ces événements,
ce qui m'a valu des problèmes. On m'a traité
de terroriste, de gauchiste, etc. Ce texte-là très
manifestement est engagé. Moi-même j'ai été
très engagé dans la Jeunesse socialiste. Quand
j'enseignais en Valais, cela ne m'a pas servi ! C'était
un peu le western à l'époque là-bas
! Genève a donc été de ce point de
vue un refuge. Aujourd'hui, j'ai de la peine à me
passer des montagnes, mais j'y vais en vacances, alors c'est
différent.
Donc tant le vécu des poèmes
que leur engagement peuvent vous être assimilés
?
Oui, totalement. D'ailleurs, j'aime
les lire moi-même. Depuis six, sept ans, je lis mes
textes au P'tit Music'Hohl à Genève, avec
des chanteurs. Je les ai aussi lus avec la comédienne
Lise Lachenal, ce qui a été une expérience
très intéressante. En fait, je n'aimerais
pas simplifier en disant que comme Flaubert je les passe
à mon "gueuloir", mais je prends des notes
presque en permanence, et, à certains moments, tout
cela devient une suite. A partir de là, j'essaie
surtout de leur donner un rythme pour échapper à
la simple élaborations d'idées, je fais de
la scansion ! Une des premières personnes à
qui j'avais montré mes vers était Chappaz.
Il m'avait dit qu'il fallait encore travailler, travailler
la musicalité, les rythmes, les sons. "Ça
joue pas, c'est trop froid", me disait-il.
Au-delà de l'attention
portée à la forme, on vous sent aussi soucieux
de partager quelque chose quand vous écrivez
Je pense que c'est lié à
mon approche de la poésie. Pour moi, un poème
est relié à un vécu, à un fait.
Du reste, le métier que j'aurais souhaité
faire est le métier de journaliste, parce que pour
moi, il implique la résonance par rapport à
un événement, les vibrations. A partir de
là, j'essaie d'en faire quelque chose d'accessible
pour une autre personne, de créer un climat, de généraliser
pour faire un clin d'il aux lecteurs. Alors que dans
mon premier recueil, on sent l'influence du symbolisme,
de Mallarmé, le tout lié à mes études
universitaires, j'ai ensuite souhaité me distancer
d'une poésie ou même d'une littérature
de laboratoire. A un moment donné, je n'avais plus
envie d'être un fabricant de littérature. Les
mosaïques construites à partir de l'imaginaire
individuel ne m'intéressent pas. Je peux trouver
beau, je peux trouver remarquable, bien fait, mais cela
ne m'émeut pas, ne me touche pas, or j'ai besoin
d'être ému.
En même temps, on est loin
dans votre dernier recueil de tout lyrisme sentimental.
A cet égard, il y a une discrétion, une retenue
très marquées. Comment dès lors toucher
les lecteurs de poésie ?
Je cherche toujours à éviter
le dégoulinement de sentiments. Mes élèves
par exemple associent d'abord la poésie à
quelque chose d'un peu collant, une sorte de fond d'assiette
sucré. Il faut arriver à les laver de cette
espèce de glue sentimentale, mais une fois cela fait,
l'intérêt pour la poésie existe. D'ailleurs,
à une époque où on a un maximum d'informations
disponibles, je crois qu'il y a une place pour une autre
forme d'écriture qui tend à donner une valeur
aux mots isolés, détachés. Je pense
qu'il y a un avenir pour cette forme-là d'expression,
qu'elle peut retrouver une place privilégiée
auprès par exemple des personnes qui ne se satisfont
plus de cette matière communicationnelle abondante
ou qui d'autre part n'ont pas envie de lire des théories
philosophiques abstraites. Au fond, la poésie offre
l'occasion de revenir à des choses très simples.
Propos recueillis par Carole Wälti
Page créée le: 08.02.06
Dernière mise à jour le: 08.02.06
|