Marielle Stamm
L'oeil de Lucie, Editions de l'Aire, 2005,
200 pages
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Marielle Stamm / L'oeil
de Lucie
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ISBN 2-88108-754-X
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Cela commence par un gâteau
danniversaire dans lequel une petite fille plante
son doigt, puis le lèche. Un geste de transgression
générateur de fantasmes qui renvoie
le lecteur à la célèbre Histoire
de lil de Georges Bataille. Lucie souffre
dune malformation congénitale, son il
gauche ne verra jamais la lumière du jour,
un drame découvert au cours du fameux goûter
qui ouvre le roman. Linfirmité de lhéroïne
va susciter sa vocation de peintre. Entièrement
née de limagination de lauteur
du roman, son uvre, uvre dans luvre,
est décrite avec la minutie et le regard du
critique, par sa fille Claire, historienne dart.
Elle fait référence tout à la
fois à lart moderne, à lart
contemporain, à la littérature et à
la psychanalyse. Linconscient de Lucie sy
inscrit en filigrane, comme la toile daraignée
qui la tant inquiétée lorsquelle
était enfant. Lorsque tous les fils de lintrigue
auront été dénoués, Claire
découvrira, en même temps que le lecteur,
et au terme dun suspense subtilement conduit,
le rôle exact joué par ses parents dans
ce roman à rebondissements et à clés.
Après une licence en
droit obtenue à Aix-en-Provence,
Marielle Stamm a obtenu un diplôme en
Sciences Politiques à Paris. Attirée
par lart, elle suit les cours de lEcole
du Louvre.
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Dotée dune grande
curiosité intellectuelle, elle devient rédactrice
en chef dun magazine spécialisé
en informatique IB Com. Engagée par le quotidien
24Heures, elle conçoit le magazine La
Boussole. Elle publie une Histoire de linformatique
en Suisse, 1974-1993 sur internet. Lil
de Lucie est son premier roman.
Marielle
Stamm, L'oeil de Lucie, Editions de l'Aire, 2005,
200 pages
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Entretien
avec Marielle Stamm, Elisabeth Vust |
Votre éditeur évoque l'Histoire de l'oeil
face à cette scène où la sur
de l'héroïne "enfonce un index gourmand"
dans un gâteau d'anniversaire. Ce chef-d'uvre
de l'excès tient-il vraiment un rôle dans l'écriture
de L'il de Lucie ?
- Indépendamment du titre
même, Histoire de l'il, ce "chef-d'uvre
de l'excès", ainsi que vous le qualifiez fort
justement, tient un rôle important dans l'histoire
de Lucie. La découverte de son infirmité par
l'héroïne est associée de manière
indélébile à ses premiers émois
sexuels. La visite chez l'ophtalmologue, un passage qui
a suscité de nombreuses questions de la part des
lecteurs, qu'ils aient été choqués,
perplexes, intrigués ou amusés, a cristallisé
à jamais dans la mémoire consciente ou inconsciente
de l'enfant sa première expérience interdite.
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas voulu supprimer
ce passage malgré les conseils de certains lecteurs
du manuscrit. Métaphore du sexe, la lampe chercheuse
de l'oculiste perchée au sommet de son crâne
fouille dans le cerveau de la Petite en même temps
qu'elle fait la lumière sur son il aveugle.
Au premier éblouissement de la lampe ophtalmique
font écho d'autres éblouissements, comme celui
de son premier orgasme sur les rochers alors que le soleil
inonde son visage.
Ainsi que Michael, le psychanalyste,
l'explique dans un e-mail à sa cousine Claire, l'il
du matador énucléé se mue, sous la
plume de Georges Bataille en d'autres objets sphériques:
testicules, uf, soleil. Comme l'écrivain, Lucie
sera toujours obsédée par les objets sphériques,
les billes avec lesquelles elle réalise une installation,
et le soleil qu'elle tentera en vain de peindre, au risque
de devenir complètement aveugle. Dans le tableau
"Le sujet est l'objet", l'allusion à Bataille
est encore plus précise. L'héroïne reprend
le thème de L'origine du monde de Courbet
mais y rajoute sa note personnelle en enfouissant "son
il dans la fourrure intime de la femme abandonnée
à son plaisir".
L'Histoire de l'il décrit
aussi un florilège de transgressions et de viols,
comparables à ceux qui jalonnent la vie de Lucie.
Lorsque la petite Agathe lèche innocemment ses doigts
couverts de chocolat, on peut y voir un symbole sexuel mais
aussi la transgression d'une loi édictée dans
toutes les familles, seul celui ou celle à qui est
destiné le gâteau d'anniversaire a le droit
et le privilège de l'entamer. Profitant du brouhaha
créé par l'accident de la Petite, Agathe déguste
avant tous les autres une bonne partie du gâteau de
sa sur. Transgression à laquelle répondra
Lucie en couchant avec le futur mari d'Agathe, juste avant
leur mariage. De même, Lucie a la prémonition
de la double transgression de sa mère, qui commettra
l'adultère avec un milicien, en regardant dans le
miroir de l'oculiste. Plus tard, elle même coupable
d'adultère, détestera l'image que lui renvoie
son propre miroir lorsqu'elle tente de faire son auto-portrait.
Poursuivie par sa honte, elle n'arrivera pas à assumer
son rôle de mère auprès de Claire.
Quant à l'anecdote d'André
Masson abandonnant ses illustrations de l'uvre de
Bataille avant son départ de Marseille pour les Etats-Unis,
au début de la guerre de 40, de peur de se les faire
confisquer par les douanes américaines trop prudes,
elle est véridique. Qu'il les ait confiées
au père de Lucie relève bien évidemment
de la fiction !
Parmi les artistes des cinquante
dernières années, je n'ai pas trouvé
de figure qui puisse vous avoir inspiré celle de
Lucie...
- Votre constat n'a rien d'étonnant
car je ne me suis inspirée d'aucun peintre pour décrire
l'uvre de Lucie M. Mon héroïne est devenue
peintre à mon insu, même si cela peut paraître
prétentieux de le formuler ainsi. Sa trajectoire
artistique est entièrement tournée autour
de ses obsessions, toutes liées à l'il.
C'est la recherche de la perspective, du volume, du relief,
de la spatialité, des réalités étrangères
à Lucie, privée de vision binoculaire, qui
crée l'unité et la cohérence de son
oeuvre. Dans ses méandres, on pourra y cerner les
multiples courants artistiques qui ont jalonné l'art
du XXe siècle: surréalisme, réalisme,
op-art, art conceptuel, etc. Mais d'autres peintres - je
pense notamment à Alice Bailly dont on vient de voir
la remarquable rétrospective au Musée des
Beaux-Arts de Lausanne - ont aussi longtemps hésité
entre divers courants de l'art avant de trouver leur propre
style.
Le côté obsessionnel
est assez répandu chez les artistes, par exemple
Monet, ses gares, ses meules, ses cathédrales, ses
nénuphars. La reprise du tableau d'un prédécesseur
est aussi très courante. Tout comme Picasso qui peindra
inlassablement plus de cinquante variantes des Ménines
de Vélasquez ou comme Francis Bacon qui fera plusieurs
fois le Portrait du pape Innocent X du même
peintre espagnol, Lucie s'inspirera de ses maîtres,
Escher et Brauner, et plagiera L'Origine du monde
de Courbet ou encore les plafonds de l'Eglise Saint-Ignace
à Rome.
Incapable moi-même de tenir
un pinceau ou un crayon, j'ai éprouvé un grand
plaisir à décrire une uvre entièrement
fictive par le simple biais du clavier de mon ordinateur.
Une sorte de revanche sur mon manque total de dons en matière
de Beaux-Arts !
Lorsque j'ai fait lire mon manuscrit
dans mon entourage proche, deux lecteurs - pure coïncidence,
ils ne se connaissaient pas - m'ont dit que l'uvre
de Lucie M. leur faisait penser à celle de Louise
Bourgeois. En effet, cette artiste sculpteur était
hantée par le symbole de l'araignée qui tisse
"l'illusion de la réalité", une
métaphore qui poursuit aussi Lucie. Une autre comparaison
m'a été faite entre la démarche de
Lucie et celle de Vieira da Silva, peintre d'origine portugaise,
dont les recherches autour de la perspective, des structures
et de la profondeur étaient exceptionnelles à
son époque. Dois-je vous avouer que je connaissais
peu ou pas ces deux femmes artistes qui ont pourtant marqué
le XXe siècle ?
Bien que Lucie (enfant, puis artiste)
soit au centre du roman, selon vous, le véritable
héros en est l'il...
- Il serait plus exact de dire que
Lucie est mon héroïne et que l'il, son
obsession, est le héros de Lucie. A partir de là,
mes propres recherches se sont diversifiées dans
un grand nombre de domaines, scientifique et médical,
littérature, histoire biblique, histoire sainte,
histoire de l'antiquité, archéologie, art
moderne et contemporain, et en dernier ressort psychanalyse.
J'ai abordé cette discipline tardivement et impérativement
poussée par mon héroïne. Son génie
l'entraîne dans la névrose, voire les abîmes
de la folie. Un domaine attirant et combien dangereux. Il
me faudrait peut-être un vrai psychanalyste pour m'en
donner les clés !
Lucie vivait entièrement par
et pour son uvre. Seule son uvre pouvait éclairer
sa vie. Je l'ai dit plus haut, sa recherche était
focalisée sur ce qu'elle ne pouvait pas appréhender,
le relief. Elle devait donc puiser sa matière ailleurs,
à d'autres sources, celles de ses traumatismes et
de son enfance. Les allers et retour entre les deux parties
du livre par le biais des e-mails tissent tous ces liens
et assurent son unité. En plongeant dans la mémoire
de Lucie, les deux cousins façonnent l'édifice.
L'un par le biais de la psychanalyse, en fouillant l'inconscient
de sa tante, c'est son métier; l'autre, par le simple
souvenir et le truchement de l'histoire de l'art. Et tous
deux grâce au récit de Sarah. On m'a reproché
les clivages et les changements de style dans mon livre.
Mais toute la vie de Lucie est ponctuée de heurts,
de ruptures et de brèches. Le roman, même dans
sa forme, se devait d'en être le reflet.
Propos recueillis par Elisabeth
Vust
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Revue
de presse |
ROMAN Marielle Stamm rêve
la vie d'une artiste borgne et visionnaire.
D'un autre il
Ce que la nature lui a refusé,
Lucie M. l'a cherché dans l'art. Atteinte d'une malformation
congénitale qui l'empêchait de percevoir le
relief, cette artiste a mené une quête obsessionnelle
de la spatialité au cours de vingt-cinq ans de production
ininterrompue (1958-1983). Précurseur dans les domaines
de l'art Op, de la technique de l'accumulation et de l'emballage,
elle a oscillé entre abstraction et figuration, scabreux
et sacré, érotisme et mystique. Malgré
la puissance onirique de son uvre, aucun ouvrage n'a
retenu son nom, et pour cause, puisqu'elle est née
dans l'imagination de Marielle Stamm.
Après des études de
droit à Aix-en-Provence et de politique à
Paris, Marielle Stamm a suivi les cours de l'Ecole du Louvre,
avant de devenir journaliste. Auteur d'une histoire de l'informatique
publiée sur internet, elle a par ailleurs été
chef du marketing de 24 heures. Elle retrouve la Provence
de son enfance dans son premier roman, où elle s'éloigne
néanmoins de la vraie vie pour la vie rêvée.
Car bien qu'elle parte de sa propre infirmité et
de lieux familiers, elle rejoint vite le grand large de
la fiction dans L'il de Lucie, qui s'articule en deux
parties séparées d'une quarantaine d'années.
On voit d'abord grandir Lucie, puis être déflorée
par l'homme qui va épouser sa sur Agathe le
jour même ("il la pénétrait, et
un voile se déchirait dans sa tête").
Dans le second volet, le fils d'Agathe et la fille de Lucie
réagissent par courriels à la première
partie, où chacun a découvert la jeunesse
de sa mère. Notons que la fille de Lucie M. a consacré
à celle-ci une monographie dont le titre (L'il
dans tous ses états) reflète également
la démarche de Marielle Stamm, qui considère
l'il comme le véritable héros de son
livre.
Ce roman kaléidoscopique débute
avec la petite Agathe enfonçant un index gourmand
dans le gâteau d'anniversaire de Lucie. Devant ce
geste de transgression générateur de fantasmes,
l'éditeur évoque l' Histoire de l'il
de Georges Bataille en quatrième de couverture. Mais
c'est davantage le don de vision intérieure de Lucie
qui pourrait renvoyer à ce titre. S'il n'a évidemment
pas l'excès bataillien, L'il de Lucie n'en
est pas moins jalonné d'extases (sexuelles, mystiques,
visuelles) et d'intrigues à nuds multiples.
Empruntant à la psychanalyse, à l'art, à
la littérature, à l'histoire collective et
individuelle, Marielle Stamm accumule les formes narratives
(roman des origines, correspondance, essai sur l'art) sans
toujours y mettre assez de liant, d'où son style
trop heurté. Simple défaut de jeunesse d'une
sexagénaire qui entre sans frilosité sur la
scène littéraire.
Elisabeth Vust
©
Région La Côte
6.12.2005
Ce premier roman vaut par l'originalité
de sa construction en miroir et par sa richesse thématique.
Si différentes qu'elles soient, les deux parties
qui le composent finissent par se rejoindre pour devenir
aussi indissociablement liées que le jour et la nuit
dans une gravure d'Escher: "Jeux d'ombres" égrène
les scènes de l'enfance de Lucie, à commencer
par le goûter d'anniversaire au cours duquel on découvre
que cette dessinatrice précoce ne voit que d'un il,
ce que confirme la séance de consultation chez l'oculiste,
racontée avec une candide perversité. Le cadre
des jeux de Lucie, de sa sur Agathe et de Lino, leur
petit voisin, c'est le jardin d'une grande maison de famille
protestante près de Marseille, pendant la guerre.
Lucie et Lino s'aiment, mais c'est Agathe qu'il épouse.
Tout autre ton dans "Eclairages", puisqu'il s'agit
de courriels entre Claire, la fille de Lucie, et son cousin
Michael. Historienne de l'art, Claire écrit une monographie
sur l'uvre de sa mère, tout en découvrant
le récit qu'on vient de lire, rédigé
par une amie juive de Lucie jadis sauvée grâce
au père de celle-ci. Sur le mode de la conversation,
les échanges entre les deux cousins autour du thème
de l'il se font très didactiques et empruntent
autant à la mythologie (le Cyclope), à l'histoire
de l'art (Turner, Victor Brauner, Marcel Duchamp) et à
la littérature (Histoire de l'il de Bataille)
qu'à l'ophtalmologie (la vision binoculaire). [
]
Isabelle Martin
28.1.2006
Page créée le: 31.01.06
Dernière mise à jour le: 31.01.06
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