Fast ein bisschen Frühling (2002) n'est ni votre premier livre ni votre dernier livre, mais le premier à être traduit en français. Les éditons Autrement vous ont-elles consulté pour le choix du livre à traduire ?
- L'éditeur a bien sûr décidé lui-même et tout seul. Fast ein bisschen Frühling est, jusqu'à présent, mon plus grand succès commercial – au point qu'en Suisse alémanique et dans le sud de l'Allemagne, les lycéens sont obligés de le lire, ce qui m'intrigue tout de même un peu. En général, je préfère que la lecture de mes bouquins soit volontaire.
Vu votre maîtrise du français, avez-vous collaboré avec la traductrice ?
- Oui, et je lui ai offert des fleurs, et on a mangé de la choucroute et du saucisson chez elle.
Le jeu autour des frontières fluctuantes entre réel et fiction est très présent dans votre oeuvre. Dans ce sens, Un avant-goût de printemps est représentatif de votre démarche romanesque…
- Oui, quoique la fiction est toujours alimentée par le réel, n'est-ce pas ? Et le réel me semble parfois assez irréel. En ce qui me concerne, je vis et j'écris dans la conviction de ne jamais vraiment rien inventer. Je récolte à droite et à gauche, mais je n'invente rien. Rien ne se trouve, rien ne se perd.
Le « Jeu » contient la notion de plaisir. Est-ce que je me trompe en disant que le plaisir accompagne votre écriture ?
- Ah, oui ! J'aime bien sûr faire ce que je fais, sinon je ne le ferai pas. Je sais que pour d'autres écrivains, leur métier est une épreuve douloureuse, ce que je respecte et admire bien évidemment à cent pour cent. Si je souffrais en écrivant, j'aurais peur que mes lecteurs courent le risque de souffrir autant à l'autre bout de la chaîne.
Une histoire vraie est au centre de votre roman – la cavale de deux braqueurs allemands pendant l'hiver 1933-1934. Pourquoi ce fait divers-là ?
- Parce qu'elle contient tout ce qu'il faut : la passion, la beauté, l'amour, la mort, la souffrance, la gare de l'Est et des machines à vapeur.
Le narrateur a un témoin de première main, puisque sa grand-mère se serait promenée deux fois avec les braqueurs. Quel est votre rapport avec lui, avec le « je » du roman ?
- J'ai eu beaucoup de peine à persuader les gens que le narrateur n'est pas l'auteur de ce roman, et que par conséquent les grands-parents du premier ne sont pas ceux du second. Ce malentendu m'a causé de multiples problèmes diplomatiques dans ma famille, car certains m'accusaient d'avoir ridiculisé mes propres grands-parents. Ma tante Heidi par exemple ne m'a plus adressé la parole depuis la sortie du roman.
Le récit est entrelardé de pièces soi-disant d'archives (rapport de police, déposition, extrait de journal). Sont-elles authentiques ?
- Tout à fait – au point que la police criminelle de Bâle, ayant perdu (!) ses propres archives, m'a prié de bien vouloir fournir des photocopies des documents, que j'avais photocopiés il y a quinze ans.
Vos deux braqueurs fuient l'Allemagne nazie, l'un refuse de faire le salut nazi, ce sont des insoumis dotés d'idéaux. Paradoxalement, leur « quête de la Vérité humaine » les conduit à tuer sans état d'âme. Comment comprenez-vous leur comportement ?
- Voilà bien la question autour de laquelle tourne tout le roman. Si j'étais capable d'y répondre en quelques mots, je ne me serais pas donné la peine d'écrire tout un roman.
Les deux fugitifs n'ont pas marqué l'Histoire, mais ils auraient pu, à l'instar de Bonnie Parker et Clyde Barrow qui agissaient à la même époque. Il n'y a parfois qu'un pas entre tomber dans l'oubli et atteindre la légende ?
- Si Bâle se trouvait plus près d'Hollywood, mes deux héros auraient été une concurrence redoutable pour Bonnie et Clyde. Mais ce n'est pas important. Bonnie et les trois garçons sont bien morts depuis longtemps, et leurs histoires ont été racontées, c'est tout ce qui compte.
Votre narrateur regarde le monde petit-bourgeois et paysan de ses grands-parents, le Bâle des années trente, avec empathie et sourire. Un sourire ironique et nostalgique ?
- Absolument. Nous avons tous, ou presque tous, des racines rurales, un grand-père ou un arrière-grand-père au moins qui travaillait encore la terre. J'aime l'idée que dans notre monde dominé par Starbucks, Nike et I-Pod (que j'aime bien, d'ailleurs), on trouve ici et là encore quelques traces de cette vie rurale (que j'aurais bien moins aimée, je pense).
D'où vient votre goût pour l'enquête, de votre grand-père policier scientifique au quai des Orfèvres ?
- Peut-être. C'est de la simple curiosité. J'aime les êtres humains ainsi que l'humanité, même si ce n'est pas toujours facile, et je suis d'une curiosité insatiable. Je veux tout savoir, toujours. Quand un policier s'engage à déchiffrer un crime, à comprendre le criminel et ses actions, il est l'égal de l'écrivain. Sauf que, dans le métier que j'ai choisi, il n'y a heureusement pas de condamnation à la fin. Je veux bien être flic, mais pas juge.
Propos recueillis par Elisabeth Vust
Page créée le: 06.02.07
Dernière mise à jour le: 15.02.07
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