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Roland Buti
Luce et Célie, Genève, Ed. Zoé, 2007

4ème - Critique, par Brigitte Steudler

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  Roland Buti / Luce et Célie

 


Luce n'a que huit ans quand son père meurt. Plus tard, pendant la guerre, sa mère à l'esprit légèrement dérangé édifie un obstacle antichar sur la rue qui mène à leur maison. Et c'est un peu grâce à cet obstacle clandestin que Luce rencontre celui qui deviendra son mari.
Célie est orpheline, elle a été élevée par des sours. Après la mort de son grand amour, elle se fait engager comme employée de maison par Jean Périard, un homme suffisant et tyrannique qui ne pense qu'à ses relations d'affaires et à ses meubles ultramodernes.
Que font ces deux femmes, bien des années plus tard, dans la cave d'une maison qui va être détruite ? A qui appartient le squelette qu'elles déterrent une nuit d'orage ?
Luce et Célie raconte la rencontre improbable et l'amitié à toute épreuve d'une femme émancipée et d'une épouse trop timorée.

Luce et Célie, Genève, Ed. Zoé, 2007.

 

  Critique, par Brigitte Steudler

Surprenant, détonant, le dernier roman de Roland Buti débute par une scène particulièrement déconcertante : deux femmes âgées partent à la tombée de la nuit déterrer un cadavre dans les sous-sols d'une villa où toutes deux ont jadis habité. Un peu polar, un peu fresque historique, ce roman nous fait découvrir les portraits de ces deux personnages, de même origine sociale, que les aléas de la vie amènent à se rencontrer. En restituant, page après page, des épisodes choisis de ces deux parcours féminins c'est le tableau d'une histoire collective que Roland Buti dessine, celui du vingtième siècle marqué par l'émancipation des femmes dans nos sociétés occidentales.

« Un nuage sur l'œil » (Zoé, 2005), son précédent roman, avait pour décor les forêts giboyeuses de l'arrière pays vaudois et des protagonistes masculins : un père (suicidé) et ses deux fils. Luce & Célie se déroule en ville — à l'exception des toutes premières pages situées dans le bâtiment de la Fonderie Boillat à Reconvilier —, à Genève d'abord, puis sur les hauts de Lausanne ; et son récit se déroule cette fois-ci dans un monde essentiellement féminin. Les deux protagonistes, bien qu'issues du même milieu, vont évoluer très différemment dans la société qui les entoure. Orpheline de père, Luce, la plus jeune, trouvera une échappatoire temporaire dans un mariage conformiste et malheureux, épousant Jean Périard, mari autoritaire et vaniteux, chimiste employé dans une imprimerie, fabriquant les encres pour billets de banque. Célie, orpheline aussi, gagnera son indépendance et forgera son caractère dans des emplois subalternes de serveuse et d'employée de maison.

Mais en définitive les détails de l'existence de ces deux femmes importent peu : ce que Roland Buti réussit dans ce roman, c'est à nouer une intrigue puis, tel un metteur en scène, à placer les différents éléments d'une histoire dont l'issue se révèle fatale pour l'un des personnages. Par plusieurs aspects, l'atmosphère du milieu dans lequel évoluent les époux Périard se rapproche beaucoup de celles des premiers films de Claude Chabrol. S'il ne fallait en citer qu'un, ce serait « La cérémonie » (1995) : autant par la description de l'intérieur bourgeois dont Jean Périard est si fier pour en avoir choisi avec vanité et ostentation les moindres éléments, que par la détermination avouée de Célie, qui, aussitôt entrée au service de ce couple, se demande comment elle va réussir à « pourrir la vie de celui qu'elle considérait comme un coucou grossi dans un nid d'emprunt. »

Que l'on ne s'y trompe pas, ce roman n'offre pas une suite d'évènements relatés dans l'ordre chronologique. Le romancier procède par des allers et retours mêlant des époques différentes de la vie de l'une ou l'autre de ces femmes. Sensible aux réalités économiques et sociales des années 60, du progrès social à l'affairisme ambiant, Roland Buti parsème son récit de remarques critiques portant autant sur le respect dû aux billets de banque (puisque — comme le dit la commerçante — il y a le drapeau suisse imprimé dessus) que sur l'attachement aux signes extérieurs de richesse qui font de Jean et de son cercle d'amis des nouveaux riches aussi creux intellectuellement qu'affectivement.

Avec Luce & Célie, Roland Buti confirme ses qualités de romancier et se révèle fin psychologue, en se glissant alternativement dans la peau de deux femmes aux caractères si dissemblables. Comme dans Un nuage sur l'œil, son écriture est précise, narrative et descriptive. En achevant les dernières lignes de son texte on se prend à penser que décidément cet écrivain affectionne les fins tragiques, les morts violentes, les issues incertaines.

Brigitte Steudler

 

Page créée le: 07.02.08
Dernière mise à jour le: 07.02.08

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