Mythologies simples ou livre de vignettes de Claude Tabarini avait déjà paru en 1978, sans mention d'éditeur. C'est une bonne idée des Editions Héros-Limite de l'avoir réédité sur un beau papier lourd, avec des cahiers à ouvrir avec un coupe-papier, ce qui n'est plus si courant. Le livre offre ainsi un vrai plaisir, celui de découvrir les pages, au fur et à mesure, comme on entend une musique...
La plupart des textes, comme le titre en deux parties l'indique, sont plutôt courts, très courts parfois. Ils s'attachent à saisir des instantanés, des moments de vie tressés de faits très banals et de sensations neuves et fraîches. Claude Tabarini y distille discrètement une philosophie de la vie qui tamise par exemple des impressions de voyage, et en garde seulement une lumière légère et vraie qui en élargit et en approfondit la force symbolique :
Le petit laitier de Kaboul
(à Charles d'Orléans)
Le petit laitier
en costume rayé
sait que la vie
est tragique et belle et que
Louche et chaudron !
Il la doit étreindre.
Ou alors, quelques mots retiennent une sorte d'allégresse intense et fugace :
Paysage mystique 1
L'ombre d'une femme de ménage perçue
à travers la vitre de l'hôtel projette la gaieté
tout alentour...
Sous forme de petites descriptions sans prétention, la vie scintille, ce qui n'exclut pas une angoisse certaine qui pointe parfois le bout de son nez :
Inquiétude
Orange friable
au-dessus du réservoir d'eau...
Que va-t-il subsister
de mon amour
Certains textes, parmi les plus ramassés, m'ont fait penser au réalisme magique de Malcolm de Chazal, mais ils sont plus simples : une petite musique s'égrène, on se souvient de son impact. Une goutte de poésie, en touchant le sol, se disperse en chantant :
Fenêtre ouverte
Il y a le chant des oiseaux
Magnifique !
Le bruit des camions
et la musique.
À lire et à relire ces poèmes si courts qu'on croit les tenir dans le regard d'un seul coup, il vient une sorte de mélancolie très retenue. Elle n'entame pas la joie, mais l'accompagne, une sorte de blues qui ne disparaît jamais totalement, qu'il soit noir :
La part de l'ombre
Rien n'est distinct
du jour ; cependant
chacun porte en soi
sa part d'ombre .
ou seulement bleu :
Poème d'hiver
Les ouvriers qui travaillent sur
le quai n'ont que du bleu dans le
coeur et attestent que les ténèbres
sont une légende.
Claude Tabarini ne manque ni d'humour ni de tendresse. C'est souvent à sourire qu'il nous convie :
Erotisme :
Tu as de beaux après-ski
et ton coeur est un navire...
Chaque poème cité ici l'est intégralement. le nom de vignette leur convient parfaitement ; chacun offre un motif délicat qui se dissémine lui-même en frêles éclats.
Et quand on a refermé le livre, on sait bien que pour nous comme pour celui qui nous a offerts ses mots légers, éphémères, voire précaires, le chemin continuera sans trêve, pas toujours facile et certain de son propre effacement, seulement différé :
Le matin
Passer le pas de sa porte
quand les oiseaux rayent le
ciel et que les cheminées fument.
Il faut aller vers le monde.
Il faut se perdre.
Et si le mot « vignette » dessine ses motifs brefs et ténus, le mot « mythologies », même accompagné de l'adjectif « simples » nous entraîne en des méditations profondes, des regrets parfois :
La pauvreté
Pauvreté de nos étoffes !
Pauvreté de notre vie !
Pauvreté de notre amour !
Pauvreté de notre haine !
Pourtant, c'est bien de la lumière qui sourd de l'ensemble du livre et la lecture de ces petits textes noir sur blanc nous allège réellement :
La nuit
La nuit remonte le fil
des jours et ne s'installe
pas...
J'emploie le mot « bonheur » parcimonieusement, je le trouve parfois difficile à écrire. Pourtant, j'éprouve vraiment le désir de le prononcer pour évoquer ce « livre de vignettes ». Il procure un vrai bonheur de lecture : il crée une ivresse sans danger qui délie et réactive une adhésion au monde parfois rudement malmenée. Il nourrit le désir d'habiter ici et maintenant en provoquant parfois un rire joyeux et combatif, tout simplement :
Approches
L'amour de toutes choses
donne une conscience claire
et permet par exemple... de réparer
son vélo.
J'ai pris un vif plaisir à citer maint petit poème, bien campé sur sa page. Mais il en reste beaucoup à découvrir et c'est un régal.
Françoise Delorme
Page créée le: 05.02.08
Dernière mise à jour le: 05.02.08
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