Claire Genoux
Saisons du corps, Editions Empreintes

Claire Genoux / Saisons du corps

Il y a deux ans à peine, ses poèmes tout nimbés de, " soleil ovale" se révélaient, nonobstant l'évocation de paysages familiers, comme d'incontournables miroirs où Claire Genoux ,déjà, était confrontée à sa "bouche de mortelle ".

Une mélancolie tenace ombrait ses chants d'azur. On reconnut d'emblée une autorité naturelle à cette voix qui tremblait si peu au bord du gouffre en lequel bascule ce qui eût dû consoler d'être au monde : la beauté, la pérennité des choses, l'amour.

Ici en écho, on entend que la blessure originelle, loin de s'apaiser, creuse un peu plus profond. Claire Genoux nous dévoile le tracé de la déchirure. La chair des mots qui la hantent est sa propre chair éprouvée sans fin en ses feux. Le poème dès lors n'est pas tant exorcisme que procès à une suspecte, une improbable âme soeur qui ne'serait au bout du compte que la part submergée du lancinant " désir de durer ".

Soyons attentifs aux inflexions de cette voix passionnée et limpide, à ce cri et à ce chant. Ils disent vrai.

Alexandre Voisard

Editions Empreintes - CH 1510 Moudon - safran.empreintes@bluewin.ch

 

Le Prix Ramuz à une jeune poétesse

Claire Genoux reçoit le Prix Ramuz pour "Saisons du corps".

Le quatrième Prix Ramuz de poésie va cette année à une jeune poétesse lausannoise, Claire Genoux, qui publie ces jours son deuxième recueil de poèmes, Saisons du corps. Déjà lauréate, pour quelques poèmes, du Prix de la Sorge délivré par les étudiants de l'Université de Lausanne, Claire Genoux publiait, il y a deux ans, Soleil ovale, dont Anne-Lise Grobéty écrivait qu'il correspondait sans doute à une "intime nécessité de délester le poids du réel pour le faire endosser aux mots". La formule demeure parfaitement valable pour les poèmes de ces Saisons du corps, mais ici, l'auteure va encore plus loin, dans un mouvement anthropomorphiste premier, identifiant la nature à l'altérité, au corps de l'autre, ou, du moins, à son approche sexualisée.

LE PAYSAGE-CORPS

Ce procédé est particulièrement abouti dans la première des quatre parties de ce (mince) recueil, Saisons du lac, par des vers de cette sonorité:

j’ai appris a boire ta salive comme un alcool
tant de fois j'ai désiré ta langue d'eau, entre mes dents
puissante et dure comme une langue d 'homme

Dans la deuxième partie, Élégies de novembre, apparaît cependant la douleur. A côté du paysage-corps, tutoyé, se tient maintenant un homme que Claire Genoux vouvoie comme pour maintenir ainsi une distance utile avec le leurre, ou l'illusion, de la sensualité.

LE PIEGE DES SENS

Plus loin, ce qui s'ajoute encore (mais l'humain redisparaît), c'est une curieuse corde de vibration autour de la douleur qui, elle aussi, est associée au plaisir:

août mon pays d'été
( …)
tes crépuscules sont sur ma peau
comme des caresses qui font crier

Une sorte de brutalité de "l'autre" (la terre, le lac) s'annonce en outre dans les troisième et quatrième parties, J'aurais été reine, et Prison du corps, et comme une culpabilité où la douleur se décharge. Par moments, il s'établit une sorte d'identité - du moins désirée - entre l'autre et soi:

Qu 'il serait doux d 'habiter cette terre
de sentir le pouls des saisons battre à mes tempes
et posséder une poitrine haletante de vignes...

NOVEMBRE SAISON DE MORT

Une identité, d'ailleurs, qui va jusqu'à frôler la mort, et, presque, l'appelle:

Un soir je partirai seule
rendre à la nuit mon cœur de craie.

Claire Genoux écrit en vers libres, sans presque aucune ponctuation, ce à quoi il faut une grande sûreté de rythmes et d'assonances si l'on veut que le texte demeure lisible. Elle y réussit presque sans faille.

S'il est vrai que l'on sent la jeunesse de cette poésie, elle révèle cependant un talent tout à fait certain, peut-être menacé par les procédés dont elle use, mais sans doute prête à se hausser vers d'autres thèmes.

MONIQUE LAEDERACH

Claire Genoux, Saisons du corps, Ed. Empreintes. Avec un quatrième de couverture par Alexandre Voisard.


Samedi 4 décembre 1999

 

Claire Genoux : Une parole avide de sensualité

Poésie l "Saisons du corps" révèle une voix nouvelle faite de mélancolie et de rage, de regret et de désir. Le recueil reçoit, à Pully, le Prix C. F. Ramuz.

Le Prix C. F Ramuz de poésie, décerné tous les trois ans sur manuscrit et doté de 3000 francs, sera remis ce samedi à Claire Genoux pour son deuxième recueil, Saisons du corps. Quelle voix nouvelle ce prix, qui a déjà salué les débuts de José-Flore Tappy, Sylviane Dupuis et Alain Rochat, impose-t-il à notre attention ?

Née à Lausanne en 1971, Claire Genoux n'est pas totalement inconnue des lecteurs de poésie, puisque son premier livre, Soleil ovale, a paru il y a deux ans aux Editions Empreintes. Par intermittence, car les poèmes étaient encore composites, un tempérament s'y faisait jour. Aujourd'hui, dans son nouveau recueil, Claire Genoux trouve une intensité plus personnelle, et malgré quelques faiblesses rythmiques, une hauteur de ton plus continue. De page en page, la parole, exubérante, excessive parfois, se déploie avec ampleur: les phrases sont longues, vigoureusement charpentées par des reprises, relancées par une prosodie ondoyante.

Une fatalité de Solitude, de séparation, est donnée comme notre condition première: "Ce corps imparfait posé sur l'herbe devant le lac/ ne se mêle à rien." Certitude amère, indépassable, qui prend tour à tour la forme d'un exil, d'une finitude, ou d'une rupture contre laquelle la poésie vient buter, qu'elle se charge de répercuter, de conjurer, sur le mode du regret élégiaque, du désir fusionnel, de l'invocation désenchantée. Il est frappant que dans la poésie de Claire Genoux, cette expérience libère une parole avide de sensualité et de mobilité. Qu'elle appelle la présence de l'aimé, d'un bord à l'autre du lac, qu'elle célèbre la splendeur d'une musique, "chevelure de nos voix là-bas/ averse étourdissante et fauve à l'épaule de la terre", qu'elle invoque "un été de langue qui claque/ tendue aux sources troubles des sous-bois/ un été de dents plantées dans les fruits rouges", la mélancolie se trouve amplifiée et exacerbée dans des images profuses, physiques, hyperboliques, parfois violentes et tumultueuses, tandis que les verbes de mouvement y sèment l'agitation, l'inquiétude et les métamorphoses.

La mélancolie se trouve amplifiée dans des images parfois violentes et tumultueuses

Les poèmes sont groupés en quatre ensembles, lointain écho du cycle des saisons. Les thèmes du lac et de l'amour déçu dominent la première partie, y dessinant un paysage à la fois réel et symbolique. Les cycles suivants évoquent une plénitude enfuie: l'été, la musique... Le dernier ensemble, plus sobre, interroge cette "étrange prison du corps/ que seule l'heure lente d'avant l'aube/ traverse sans effort". Vibrent ici, irrésolues, les forces antagonistes du livre, la patience et l'impatience, la rage et la mélancolie, le regret et le désir, l'étrangeté et l'appartenance, pour converger en une rêverie de la terre qui répond aux images lacustres de la première partie.

Les deux épigraphes qui ouvrent Saisons du corps placent le recueil sous l'invocation de Ramuz et de Roud : le Ramuz paysagiste du Léman, le Gustave Roud de la quête et de l'exil intérieur. Pourtant, Si ce livre exorcise bien un paysage et une solitude caractéristiques d'une certaine tradition romande, Claire Genoux s'engage dans une voie bien à elle: un lyrisme du corps, une chatoyance des images, une mobilité des perceptions qui la portent vers une emphase et une démesure qu'il lui appartiendra de maîtriser toujours mieux.

Marion Graf

SAMEDI CULTUREL-Samedi 4 décembre 1999

CLAIRE GENOUX, Saisons du corps, Empreintes 54 p.

 

Prix Ramuz

(nous présenterons prochainement la Fondation Ramuz)

Buts

  • Maintenir vivantes la mémoire et l'oeuvre de C.F. Ramuz
  • Favoriser la diffusion et la réédition des oeuvres de l'écrivain
  • Soutenir la traduction et les travaux critiques, notamment les colloques C.F. Ramuz
  • Aider à la création de spectacles tirés de l'oeuvre ramuzienne
  • Encourager la création littéraire romande et les écrivains suisses de langue française en décernant, tous les cinq ans, le Grand Prix C.F. Ramuz et, tous les trois ans, le Prix de poésie