Isabelle Guisan
Le tour du corps en quarante-quatre
amants, Editions de L'Aire, 154 pp.
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Isabelle
Guisan dans nos pages consacrées
aux auteurs de Suisse.
Isabelle Guisan /
Le tour du corps en quarante-quatre amants
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Au moment d'ouvrir l'avant-dernière
porte de l'existence, Laure récapitule les
rencontres, moments, lieux - entre paysages, cultures
et itinéraires - qui ont laissé leur
empreinte dans son corps, qui ont tissé sa
vie aussi en lui donnant forme et dimension. Sa mémoire
lui restitue par morceaux détachés,
au fil de sensations retrouvées, des moments
intenses et parfois mal vécus qui ont marqué
ses jours, ses désirs, ses passions.
Chaque fragment, synthétique, elliptique, allusif
aussi, pourrait constituer l'amorce d'un récit,
d'une fable, d'une nouvelle, d'une histoire fantastique,
ouvrir sur d'autres vies, d'autres carrefours, d'autres
issues. Où serait la vraie vie? Ne serait-ce
pas plutôt dans les entre-deux?
En découvrant Laure, je me suis souvenue de
l'émotion singulière qui m'avait saisie
lorsque j'avais vu, en 1994, au musée de San
Francisco, une exposition sur les années 60;
j'avais découvert tous les éléments
de ma jeunesse et de mes choix, présentés
par morceaux détachés, avec de toutes
autres connexions, bribes tout à la fois familières
et étrangères, proches et décalées,
apparemment décousues. Ma vie, avec toutes
ses cécités et surdités?
Doris Jakubec
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Le corps de Laure. Curieux, présent
à tout ce qui lui arrive, à tout ce qui l'effleure,
le caresse, le heurte et le choque de la petite enfance
à l'âge mûr.
Isabelle Guisan se
hasarde dans la fiction avec ce livre au goût léger,
qui répertorie 1888 moments doux-amers traversés
par le corps d'une femme.
Già dalle prime pagine de Il giro del corpo in quarantaquattro amanti ( Le tour du corps en quarante-quatre amants ), pubblicato dalle Editions de L'Aire, appare chiara l'intenzione del testo di Isabelle Guisan: tentare di trattenere e fissare tutti i momenti vissuti da Laura attraverso il prisma delle emozioni suscitate dal suo corpo, a partire dall'infanzia. Risultato finale: 188 frammenti tra il dolce e l'amaro, e da cui lasciarsi... sorprendere.
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Compte-rendu,
par Brigitte Steudler |
Dès les premières pages
de Le tour du corps en quarante-quatre amants, Isabelle
Guisan pose clairement lintention de son texte : tenter
de retenir tous les moments que Laure aura vécus
au travers du prisme des émotions suscitées
par son corps : « Harponner ces perceptions impalpables,
remonter leur cours dans sa mémoire. Préciser
la focale, cadrer des images. Une à une, en pointillé,
elles esquissent une trajectoire. Celle qua parcouru
depuis lenfance, le corps de Laure. »
Senchaînent dès
lors rédigés avec sobriété et
distance les premiers épisodes de lenfance
de Laure vécue dans une famille dans laquelle les
rapports affectifs sont très retenus, les élans
du corps très maîtrisés, régis
à lévidence par un ordre préétabli
dans lequel les fantaisies émotionnelles ou les terreurs
(celles de léclair et du tonnerre) de la petite
Laure se doivent dêtre tues et intériorisées.
Les années passant, Laure
se fait plus grande, senrobant de kilos en trop. Les
complexes apparaissent, surtout limage du corps, celui
des autres devient obsession « Laure admire les corps
minces, sexy et performants ». Ce leitmotiv saccentuera
lâge venu portant désormais plus sur
lesthétique des corps des passants observés
sur la plage, sur des places ou encore dans des bus mais
avec le secret espoir quil ny ait pas de frôlement
ni même dattouchement de quelque ordre quils
soient.
Au détour de ses premiers
déplacements à létranger pour
des motifs linguistiques (Autriche, puis Ecosse) Laure,
devenue jeune femme, préfère songer à
des contes romanesques avec dimaginaires princes charmants
plutôt qualler au devant de rencontres réelles.
Dupe elle se vit, au point que : « Laure refuse tout
en bloc. Les hommes sont si interdits quelle ne sent
même pas sa peur ». Apparaît alors lidée
fixe qui dirigera en filigrane toute sa vie amoureuse :
lhomme de sa vie doit avoir les cheveux bruns et sappeler
Michel. Lirruption dans sa vie de ce Michel tant attendu
hantera Laure jusquaux dernières pages du récit.
Sa vie amoureuse entamée,
Laure enchaîne différents épisodes amoureux
dont certains font état des mauvais traitements infligés
par certains de ces amants. Alors que de nombreux déplacements
jalonnent la partie centrale du livre (Norvège, Brésil,
Crête, Maroc, Etats-Unis, Liban, Japon, Irak, Inde,
Espagne), le lecteur découvre quils occasionnent
chez elle dinsondables angoisses, aussitôt arrivée
dans une ville il lui tarde den repartir.
Puis signe des temps et des époques
qui ont changé, il y a les rencontres par mails interposés,
avec leur lot despoirs et de douches froides. Les
fragments et épisodes deviennent plus moroses, «
Michel est arrivé puis et reparti » les années
sadditionnent inéluctablement, Laure procède
au décompte de ses amants dont elle dresse la liste
des prénoms dont elle se souvient : trente-six et
hommes et trois femmes ont partagé un moment dintimité
physique avec elle.
Commencé dans leau (des
bains thermaux de sa région) ces fragments sachèvent
au bord de la mer
larrêt sur images particulièrement
réussi sur ces 188 fragments décrivant les
remous vécus par le corps de Laure sachèverait
presque comme une boucle, comme si ceux-ci avaient momentanément
bouclé un certain nombre de tours, avant que de nouvelles
émotions ne la surprennent
Brigitte Steudler
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Entretien
avec Isabelle Guisan, par Brigitte
Steudler |
Refermant votre dernier ouvrage composé d'une
succession de courts fragments mettant en scène la
vie intime d'une femme prénommée Laure, dont
on peut aisément supposer qu'elle a eu vingt ans
dans les années soixante, le lecteur est agité
par des sentiments de natures diverses.
D'une part ces fragments ressemblent à des arrêts
sur image particulièrement réussis par le
truchement desquels l'esprit de toute époque se dégage
avec nuance et précision (celle de la libération
des corps, de l'éclatement de la famille et de l'invention
de nouvelles relations entre femmes et hommes); d'autre
part, différents leitmotivs véhiculés
par la narratrice, telle la perception qu'elle a de son
propre corps, donnent à cette obsession constante
du poids et de l'image du corps un aspect par moment pesant
sur lequel de prime abord le lecteur s'interroge.
Sont-ce vos chroniques (paraissant régulièrement
dans le quotidien 24 Heures) portant sur la vie des
personnes âgées en Etablissement médico
social qui vous ont a contrario poussée à
relever le rôle obsédant et ravageur de l'esthétique,
de la finesse et légèreté des corps
imposé par les médias actuels?
Mon sujet est le corps, le corps
et encore le corps ! Ses émotions, en deçà
des sentiments, au-delà des sensations. Je n'ai pas
eu l'intention du tout de décrire une époque,
un milieu, des relations entre hommes et femmes à
un moment précis, à savoir les années
soixante. Par contre, l'obsession de Laure de son propre
corps, sa lourdeur à le vivre et son obsession de
l'image du corps, le sien et celui des autres, et de la
beauté qu'elle envie, ça, c'est tout à
fait le projet. Rien à voir dans mon esprit avec
les chroniques que j'écris dans 24 Heures deux fois
par mois. Mon intérêt professionnel actuel
pour l'univers des personnes âgées est venu
après. Le corps âgé, proche de la fin,
sera présent dans mon prochain livre!
Une autre donnée présente
en toile de fond pour cette femme, plutôt très
libre de son temps et de ses engagements, est la fréquence
de ses déplacements (en Norvège, au Brésil,
en Crête, au Maroc, aux Etats-Unis, au Liban, au Japon,
en Irak, en Inde, en Espagne notamment) professionnels pour
certains, mais à l'évidence pas pour tous.
N'avez-vous pas été trahie par l'irruption
involontaire dans votre texte à composante narrative
d'éléments pouvant s'apparenter à une
critique sociale ? ou alors cela ne risque t-il pas de catégoriser
définitivement Laure dans classe des femmes célibataires
occidentales de condition sociale plutôt élevée
?
Sur ce point, j'ai fait de Laure
un peu ce que j'ai été sans doute. Donc une
femme célibataire occidentale et bourgeoise qui avait
vingt ans à la fin des années soixante. Laure
n'est pas moi par bien des aspects, mais là elle
l'est. Je ne suis pas dans une critique sociale, encore
une fois. J'ai voulu cerner le mouvement et les mouvements
d'un corps qui réagit aux événements,
lieux, rencontres, avec les émois - tumultes, vides,
angoisses - que cela provoque. Par rapport au titre - provocateur
-, j'ai évité de parler des joies du corps
amoureux. J'ai voulu évoquer surtout le trouble,
les attentes, les manques, les déceptions du corps
quand il s'agissait d'amour. Etait-ce par pudeur personnelle?
Surtout je crois par crainte de la difficulté à
écrire sur ce qui pourrait facilement être
kitsch. L'amour heureux n'est pas facile à écrire.
Comment expliquez-vous en outre
que ces voyages et arrivées dans des villes génèrent
chez Laure des angoisses infinies, palpables et exprimées
? Anxiété qu'elle jugule en inscrivant précautionneusement
des croix (pour les jours écoulés) et des
ronds (pour les jours à venir) dans ses agendas.
Serait-ce pour vous le signe d'un ennui dévastateur
d'une catégorie grandissante de la société?
ou alors s'agirait-il seulement d'un blocage propre à
Laure qui anesthésierait ses mouvements ? "
L'angoisse s'installe dans sa poitrine comme chaque fois
qu'elle se trouve enfermée dans une grande ville
étrangère "
J'y ai répondu en partie juste
avant. Encore une fois, je ne parle pas à travers
Laure de la société, je me suis centrée
sur un corps de femme, sur ses angoisses, mais aussi ses
courages, ses curiosités, ses élans. En revenant
toujours à la dimension physique. Pour moi, dessiner
des croix sur une feuille de papier quand on s'ennuie, quand
on se sent bloqué dans un lieu qu'on ne peut pas
quitter, c'est une réaction de prisonnier dans sa
cellule. C'est très physique, le corps entravé
aimerait pouvoir pousser la porte, repartir vers et dans
le mouvement de la vie.
Cela dit, la qualité majeure
de Le tour du corps en quarante-quatre amants est
la restitution brève et allusive de tellement de
moments différents de la vie d'une femme ayant traversé
les turbulences d'une époque, que chacun/e peut,
même s'il n'a pas vécu des moments identiques
(femmes et hommes indifféremment) s'imaginer et s'approprier.
Le ton de la distance délibérément
adopté rend universelle la retranscription des émotions
vécues par cette jeune femme, au sein de ses relations
familiales (la délicate et difficile relation avec
le père notamment) et amoureuses.
A plusieurs reprises Laure dit s'inventer ou même
vouloir ouvrir un Cabinet d'identités ? Pourriez-vous
nous en dire plus, cette notion apparaissant de façon
plus ou moins floue. En p. 63, il s'agirait de " Une
agence où monnayer à ceux qui le désirent
une heure, un soir, un jour, des bribes de " moi "
fantasmés " alors que (p. 100), " le Cabinet
aux identités
ici, elle (Laure) le dédie
aux quêtes flottantes,
"
Le Cabinet aux identités...
je n'ai peut-être pas été assez explicite
sur ce fantasme de Laure qui est si obsédée
par le corps des autres, la beauté des autres, tout
ce qu'elle n'est pas et voudrait être, qu'elle change
sans cesse de peau dans sa tête. Elle voudrait donc
- fantasme... - faire un métier de ce qui la fascine,
devenir commerçante dans ce Cabinet qu'elle imagine,
y vendre des identités éphémères
dont d'autres ont peut-être rêvé et sont
demandeurs, les vendre par le truchement de déguisements,
de "peaux" qui un instant donneraient l'illusion
de vivre dans le monde merveilleux qu'on imagine. Se sentir
Johnny dans sa pelisse à Gstaad par exemple... Bon,
je souris, vous l'aurez compris.
Commencée dans l'attente
d'une sortie organisée avec des amis dans des bains
thermaux, cette succession de plans-séquences, s'achève
pour Laure au bord de la mer. Quelle symbolique attribuez-vous
à l'eau dans la restitution d'un parcours en 188
moments doux-amers traversés par le corps d'une femme
?
Oui, l'eau est centrale. Symboliquement
et réellement. Laure est une femme d'eau, elle flotte
dans la vie et elle adore flotter dans l'eau, se hasarder
sous l'eau aussi même si ça lui fait peur par
tout ce que ça révèle et réveille.
L'introduction a voulu montrer l'importance déjà
de l'eau dans ce récit mais surtout dire, par une
métaphore, que nous ne révélons dans
la vie courante que le haut de notre corps. Le visage, qui
est en fait concentré dans les bains thermaux sur
ce qui se passe plus bas, sous l'eau, dans le bouillonnement
du moment. C'est ce reste du corps dont j'ai voulu parler
à travers Laure. Le corps invisible sous l'eau, celui
dont on ne parle pas.
Je suis, moi, une obsédée
du silence, de ce qu'on ne dit pas de soi et de ce qu'on
ne laisse pas dire aux autres. D'où mon intérêt
pour les mondes fermés comme les EMS.
Enfin détail ultime, pourquoi
avoir numéroté individuellement tous les fragments
marquant les 154 pages de Le tour du corps en quarante-quatre
amants alors que vous avez choisi d'attribuer des lettres
pour distinguer les six chapitres. Et pourquoi aucune table
des matières ne liste-t-elle les noms des chapitres,
pourtant riches de sens?
Mon projet était clairement:
écrire en fragments. Et les numéroter, pour
créer une sorte de répertoire de moments vécus
par le corps. L'idée du répertoire correspond
à ce que vous percevez comme une distance effectivement
voulue.
S'il n'y a pas de table des
matières, c'est pour que ce livre reste un récit
léger formellement. Je n'ai pas voulu l'alourdir
par une table des matières inutile, les titres de
chapitres étant évocateurs plus qu'informatifs.
Propos recueillis par Brigitte
Steudler
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Revue
de presse |
Isabelle Guisan décline
une chronique douce-acide de la liberté au féminin.
Le titre du roman récemment
paru de notre consoeur Isabelle Guisan, dont nos lecteurs
lisent les chroniques pleines d'empathie, pourrait faire
croire à un palmarès des conquêtes de
la protagoniste. Or il n'en est rien : Le tour du corps
en quarante-quatre amants n'a rien de triomphaliste
: bien plutôt, ce récit à fines touches
inventorie la mémoire du corps de Laure, de ses premières
sensations de petite fille, au côté du dieu-papa
figé dans on rôle (et déjà pris...)
à la découverte d'une sensualité diffuse,
puis de la sexualité aussitôt associée
à certaine brutalité.
Avec une franchise propre à
la génération soixante-huitarde, qu'elle se
garde de magnifier, Laure détaille les occasions
manquées de ses débuts et sa première
déconvenue plus cuisante, sous les assauts égoïstes
d'un macho dont le plaisir est de déflorer les vierges
avant de les jeter. Si Laure oscille entre le désir
d'un accomplissement de femme libre (elle fera dans le reportage
de mode) et l'attente d'un prince charmant brun de cheveu
si possible prénommé Michel (qui ne fera que
passer), l'essentiel de son récit, et son intérêt,
porte sur d'une vie plutôt solitaire, ponctuée
de rencontres qui relèvent, à l'exception
d'une passion brutale, de l'amitié ou de l'amour
passager. D'entrée de jeu, la narratrice remarque
qu'on "vit son corps en deçà des mots,
en deçà même de toute pensée",
mais c'est bel et bien par les mots et la remémoration
songeuse que ce kaléidoscope sensible acquiert sa
vibration, son épaisseur et son authenticité.
Le lecteur aimerait parfois en savoir un peu plus (notamment
sur l'épisode du fameux Michel...), mais c'est aussi
le charme de ce roman de suggérer sans peser plus
qu'il ne raconte...
Jean-Louis Kuffer
[...]
Isabelle Guisan procède par touches et par allusions
pour suivre le corps de Laure, si attentif à tout
ce qui leffleure et lentoure. Une façon
originale dévoquer les années envolées,
des souvenirs, des rencontres, sur un ton léger,
qui touche toujours juste.
EB
La
Gruyère
7 décembre 2006
Page créée le: 16.01.07
Dernière mise à jour le: 23.01.07
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