retour à la rubrique
retour page d'accueil


Dans le palais de glaces de la littérature romande
Dans le palais des glaces de la littérature romande, textes réunis par Vittorio Frigerio et Corine Renevey, Editions Rodopi, 2002.

  Dans le palais des glaces de la littérature romande
 

ISBN 90-420-0923-3
 

Cela a-t-il toujours un sens de s'interroger sur la nature de la littérature romande dans le siècle de la mondialisation? Existe-t-il encore une identité littéraire et culturelle proprement suisse-française, dont le poids soit capable de laisser une empreinte durable sur les créations des écrivains contemporains? En quoi la position géographique de l'écrivain romand, à cheval entre langues et pays différents, confère-t-elle un cachet unique à son style, à ses préoccupations ou à ses hantises ?

C'est à ces questions, et à bien d'autres encore, que tente d'apporter quelques réponses ce volume, recueillant côte à côte des voix de créateurs et de critiques d'horizons divers, des études et des réflexions personnelles, pour proposer au lecteur une promenade évocatrice dans l'étrange palais des glaces de la littérature romande.

Dans le palais des glaces de la littérature romande, textes réunis par Vittorio Frigerio et Corine Renevey, Editions Rodopi, 2002.

 

  Table des matières

Vittorio Frigerio Dans le palais des glaces de la littérature romande : introduction
Vittorio Frigerio La littérature romande - un tour d'horizon
Jérôme Meizoz Une langue perdue
Monique Laederach Traductions du pays, traductions de France : quelles qualités ?
David J. Bond Jacques Chessex : la Nature vue par un calviniste
Habiba Sebkhi L'après-origines ou l'identité rhizomatique
Bernard Wilhelm Dualité jurassienne dans l'oeuvre d'Yvette Wagner-Berlincourt
Claire-Lise Tondeur Marginalité artistique, malaise identitaire et l'écriture romande
Jean-Michel Olivier La littérature romande - et après ?
Claude Darbellay Blanche-neige et les cinq nains
Claude Darbellay Ecrire en Suisse : le cinquième point cardinal
Hélène Bezençon Le jeu d'écrire
Hélène Bezençon La parole ou la bourse
Bernadette Richard La petite fille aux mots.
Jean Romain C'est parce que je suis d'ici que je suis d'ailleurs
Henri-Dominique Paratte Allô, l'agneau : prolégomènes à une nouvelle vision de l'écriture
Michel Goeldlin Pour tutoyer les anges
Corine Renevey La Suisse romande : essai de bibliographie raisonnée
Resumés /Abstracts  
Bibliographies des auteurs  

 

  Introduction / Vittorio Frigerio

On a, depuis quelques années en particulier, multiplié les études sur la littérature romande. Ce renouveau d'intérêt a contribué à combler nombre de lacunes flagrantes. Volumes historiques et dictionnaires des auteurs sont venus confirmer l'existence d'un fait culturel et social désormais indéniable, mais dont la pertinence, selon une grande partie de la doxa critique, demeure inévitablement restreinte. Un effet secondaire quelque peu pernicieux de cette nouvelle attention au phénomène a pu aussi, d'une manière détournée, être ressenti. L'officialisation institutionnelle de la littérature romande, l'incarnation du concept, fournissent paradoxalement des arguments à ceux qui ne désirent rien de mieux que de la caser dans l'équivalent littéraire d'une réserve : celle des littératures provinciales et par là automatiquement mineures en plus que minoritaires. Cela même, de fait, qu'ont voulu éviter tous ceux qui ont oeuvré pour sa reconnaissance. Historiquement, la naturalisation d'office est régulièrement venue primer ces écrivains d'origine romande - Cendrars, Cingria, Ramuz, Constant et pourquoi pas Rousseau - qui ont percé dans l'hexagone, et ont payé l'ascension à l'universalité que cela est censé représenter par l'effacement entier des marques de leur origine. Le résultat de ces assomptions étant le jugement complémentaire et sans appel de "régionalisme", frappant tout le restant de la production non récupérée. Le cercle vicieux semble donc inévitable. Le choix final pour la littérature romande - celle qui n'a pas été englobée ou fagocitée dans la production française - paraît ainsi demeurer entre l'inexistence et l'insignifiance. Ou dans le meilleur des cas, un degré modeste de signifiance auquel on concède la faveur d'une survie éternellement marginale, dans l'ombre de cette entité massive et déterminante qu'est la littérature française.

C'est la permanence de ce cercle vicieux qui rapproche dans une certaine mesure l'expérience de la littérature romande de celle de la littérature québécoise, et qui fait un des intérêts du regard excentrique que nous désirons poser sur elle à travers ce recueil, depuis un poste d'observation extérieur sans être cependant - en esprit du moins - authentiquement étranger. Les textes réunis ici proviennent à la fois d'auteurs romands et de critiques nord-américains qui se sont penchés sur divers aspects de la création littéraire en Romandie, et qui ont contribué et contribuent encore par leur travail et leur enseignement à faire connaître cette littérature au public canadien. Un bon nombre des contacts qui ont fait naître en nous l'idée de l'intérêt et de l'utilité de ce projet se sont noués autour des activités du Centre de documentation et de recherches sur les littératures romandes de l'Université de Toronto, que j'ai dirigé en collaboration avec Corine Renevey de 1995 à 1999 avec le but de stimuler et d'approfondir les rapports culturels entre le Canada et la Suisse. Plusieurs parmi les écrivains dont les textes se retrouvent ici ont un rapport avec le Canada, y ont voyagé, travaillé, vécu, s'y sont faits les ambassadeurs ou les commis voyageurs de la littérature romande, ou ont choisi ce pays comme décor de certains de leurs romans. Sollicités par nous, offerts en amitié ou en sympathie, certains de ces textes ont une histoire qui elle aussi mériterait d'être contée... Chacun d'eux répond à une exigence précise et fonctionne dans son individualité et dans le rapport qu'il établit avec les autres. Dans deux cas, nous avons choisi de donner bout à bout deux textes du même écrivain, dont l'un conçu à un bout à bout deux textes du même écrivain, dont l'un conçu à un moment différent et pour une occasion particulière, qu'il nous a paru essentiel de sauver de l'éphémérité qui les menaçait. Ces textes se complètent l'un l'autre et montrent la poursuite et l'approfondissement d'une réflexion profondément actuelle.

Les visions proposées présentent une série de convergences parfois surprenantes. Des liens inattendus se tissent d'un texte à l'autre. L'analyse historique, la critique littéraire et l'immédiateté de la réflexion à la première personne suggèrent chacune à sa façon des horizons de perception permées d'une sensibilité quelque part commune. Partagée jusque dans les contradictions, dans les oppositions aussi franches et nettes que le sympathies, mais comme elles obéissant à une logique sous-entendue formée d'éléments incontournables - historiques, idéologiques et culturels - qui exigent d'eux que l'on prenne position. Si ce recueil prétend fournir un portrait, aussi modeste et inévitablement incomplet soit-il, de son objet, c'est dans ces renvois, ces rejets et ces reflets qu'il faut le chercher. C'est là qu'il se concrétise, entre les mots.

Des éléments incontournables. Le premier ne peut être que la langue. C'est de la langue, des patois, des spécificités régionales et du rapport émotif aux mots que nous parle Jérôme Meizoz, évoquant les sonorités valaisannes de son enfance, la force d'attraction des langues (la bonne, celle de l'école, des institutions, et après celle du coeur), leur conflit, et proposant l'activité d'écriture justement comme une réconciliation possible des langues. C'est encore la langue, sous son aspect technique et de communication interculturelle cette fois, qui fait l'objet de l'article de Monique Laederach. L'auteure nous offre un panorama des avatars de la traduction littéraire en Suisse, examine les raisons de l'accueil méfiant réservé aux traducteurs romands sur le marché du livre français et souligne la nécessité d'une intensification des échanges interculturels et le rôle potentiel de la Romandie dans ce contexte.

La problématique de l'héritage joue un rôle dans la littérature romande qui, pour avoir changé de formes au fil des générations, n'en est pas moins déterminant. David Bond se penche sur l'un des auteurs suisses les plus connus internationalement, Jacques Chessex, et examine le conflit qu'il identifie dans son oeuvre entre la Nature, principe de liberté, et l'héritage calviniste dans lequel s'inscrit son écriture. Habiba Sekhi, quand à elle, examine le cas des écrivains fils d'immigrés, de la réconciliation nécessaire de mondes et de cultures différents et de la renonciation progressive à une identité univoque sous le signe de la conjonction. Bernard Wilhelm retrouve par son analyse de l'oeuvre de l'écrivaine jurassienne Yvette Wagner-Berlincourt les couches d'une identité à la fois minime et complexe, surdéterminée et étonnamment multiple.

Elargissant ces problématiques, Claire-Lise Tondeur s'interroge sur l'angoisse identitaire des écrivains romands comme catégorie existentielle, suggérant la possibilité d'un rapprochement futur entre la population helvétique - elle-même ébranlée par des événements politiques récents dans sa perception de soi - et ses auteurs, critiques jusqu'ici largement ignorés d'une auto-satisfaction jugée myope. Un optimisme semblable sur le rôle futur des écrivains perce dans l'analyse du romancier Jean-Michel Olivier, qui reconstruit l'histoire des représentations littéraires de cette "conscience malheureuse" que depuis Amiel l'on associe généralement avec la littérature romande, et trouve dans les phénomènes récents d'éclatement et d'expérimentation des jeunes auteurs des motifs d'espoir pour l'avenir, en dehors de la simple répétition de clichés de plus en plus manifestement éculés.

Les rapports entre littérature et société font l'objet de la réflexion de Claude Darbellay, qui dans ses deux textes jumeaux analyse la pratique de l'écriture en Suisse dans une perspective mondiale, soulignant l'utilité sociale toute particulière de l'écrivain, porteur d'un savoir partagé qui va à l'encontre des contraintes factuelles de la réalité économique dominante. Un discours nourri de semblables inquiétudes est proposé par les interventions complémentaires d'Hélène Bezençon qui voit la réalité comme une affaire de mots, examine la façon dont elle est constituée par des légendes partagées et le rôle de l'écriture comme moyen de donner la parole à des réalités en marge de la légende officielle.

De la société à l'intimité, Bernardette Richard, sur le ton complice de la fable, esquisse un portrait des modalités de son écriture, éternellement partagée entre la nécessité et l'urgence d'escapades créatives en dehors des frontières, et des retours forcés à une réalité quotidienne où seules les considérations monétaires ont droit de cité et les valeurs idéales sont impitoyablement retournées. Jean Romain souligne, lui, l'importance de se reconnaître d'un lieu et dans un lieu et propose une réévaluation des frontières axée sur la réunion d'une identité nécessaire à l'équilibre et du respect pour l'autre, fondé sur la conscience confiante de son altérité. Henri-Dominique Paratte, à cheval entre création et critique et entre la Suisse et l'Acadie, disserte avec humour et non sans humeur sur les difficultés de localisation de ce point multiple et fugace que l'on nomme le centre du monde. Michel Goeldlin, enfin, choisit le mode de la confession autobiographique pour nous parler de l'attirance du voyage et du plaisir du retour, de la communauté humaine partout pareille dans ses besoins et ses aspirations et de la nécessité de s'adapter à l'environnement sans courir le risque, toujours présent, de se transformer en girouette.

En dernier lieu, Corine Renevey propose une bibliographie concise sur la littérature romande pour orienter des recherches et des approfondissements possibles.

La question de l'équivalence ou de la différence entre un espace économique / politique et un espace culturel / littéraire - question sous-jacente à toute discussion de la nature de la production littéraire dans une région linguistique minoritaire - est de nos jours on ne peut plus actuelle. La redécouverte des particularités locales sous la poussée du phénomène de la globalisation peut aussi être comprise (et a été comprise, parfois avec des résultats tragiques) comme prétexte à repli ou à faire des opérations de rhétorique douteuses sur la terre de ses aïeux. Ainsi l'ouverture des marchés et la mondialisation économique - unanimement considérés comme des inévitabilités fatales - ont pu trop souvent entraîner en réaction un désir apeuré de parcellisation et d'atomisation culturelles, perçues comme îlots de sécurité dans la mer orageuse de la concurrence globale.

En proposant dans ce recueil des textes par et sur des écrivains romands il n'est nullement notre intention de souscrire à une quelconque démangeaison de renfermement - aussi choisie que puisse être la compagnie en laquelle on s'y adonnerait. L'importance accordée dans ces textes au mouvement, au choc des idées, à la variété et à la contradictoriété des signifiés, à la tension - positive ou négative - entre l'écrivain et son milieu, est bien plutôt l'indice de notre intention de ne pas nous limiter à ébaucher un portrait-robot d'une quelconque prétendue nation, mais bien de rechercher ce qui se trouve derrière elle. Ce qui a dicté notre démarche n'est pas la volonté de rédiger un programme ou de fixer une image qui aurait vite fait de se cristalliser en stéréotype ou en fétiche, mais justement l'ouverture vers un dialogue avec autrui et avec l'ailleurs. Une remise en question, dans un contexte où l'unité n'est pas le fruit de l'indifférenciation mais le résultat possible de la cohabitation d'individualités conscientes. Mille reflets habitent ce palais des glaces. Dans la conviction qu'il n'existe pas d'identité véritable sans compréhension et assimilation de l'autre.

Vittorio Frigerio
 

Page créée le : 19.12.02
Dernière mise à jour le 06.01.03

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"