Alberto Nessi
Alberto Nessi, Fleurs d'ombre, récits, Trad. de Christian Viredaz, La Dogana

Alberto Nessi / Fleurs d'Ombre

"Le vieux cheminait en compagnie de ses souvenirs, fasciné par la lune qui fait travailler la mémoire." Dans ce recueil de brèves nouvelles, le poète tessinois met au service de sa vision fraternelle une prose directe - faite de touches rapides, de pensées à peine suggérées, de dialogues intérieurs interrompus - qui évoque marginaux ou personnages en fins de vie, anciens idéalistes contestataires, vieilles maquillées avec excès, ouvriers à la retraite. L'existence les a souvent déçus sans qu'ils sachent vraiment pourquoi et les laissent tels des "boxeurs groggy". Parfois, ce sont des jeunes qui confient à l'avenir la réalisation de leur espoir : faire la révolution, devenir esthéticienne et épouser un homme aimant, partir à l'étranger. Qu'ils aient vécu leur vie par procuration, ou qu'ils placent leurs désirs dans un hypothétique devenir, ils tâchent d'échapper au présent. Comme la lumière qui passe au travers des branchages et projette sur les murs des fleurs d'ombre, ces personnages modestes préfèrent leurs souvenirs idéalisés ou leurs rêves à la réalité tranchante.

La Dogana

Alberto Nessi, Fleurs d'ombre, récits, Trad. de Christian Viredaz, La Dogana

 

Extrait

Pas de Scorpion

Ce matin, je me disais : l'automne, les taches violettes de la centaurée qui viennent à ma rencontre sur le chemin du bureau, les prés tout à coup plus concrets, non plus perdus dans le bourdonnement métaphysique de l'été, cette illusion d'éternité. Les verts devenus plus attentifs et plus différenciés: à l'écoute. L'aster qui sort d'entre les planches d'une cabane de jardin, les campanules sur les tables du bar qui luisent au soleil, le colchique vénéneux d'Apollinaire, "et souviens-toi que je t'attends"... Et les quatre vaches, oubliées dans la combe au pied des villas clés-en-main, semblent hésiter sur le parti à prendre, tandis que le toupin ébauche une impossible nostalgie.

La pulpe violette du matin... - Mieux vaut être provisoirement d'ici que définitivement de l'autre côté, dit Tobia qui marche avec son pacemaker dans la poitrine en direction de Mendrisio, dans la même ruelle que moi. Il a le pas large de celui qui, autrefois, conduisait la charrue dans les champs et, si tu restes un moment à le regarder, il se met à te raconter son départ de la campagne bergamasque...

Mieux vaut être provisoirement d'ici, bien sûr. Avec cette lumière de fruit qui mûrit. Mais, quelque part, un scorpion couleur de poussière se cache parmi les herbes. Je le sens. Il y a toujours, même par le plus beau des matins, une pensée qui sort ses griffes, un remords qui affleure, une ombre qui se tapit sous les pierres, aux aguets, comme cette bête prête à darder son aiguillon quand la force du soleil s'amenuise et laisse la place au grouillement de la nuit.

© La Dogana

extrait de "Fleurs d'Ombre", Alberto Nessi, La Dogana, 46, chemin de la Mousse, CH 1225 Chêne-Bourg / Genève

 

Extrait de presse

Le Clair-Obscur de Nessi

Les récits de "Fleurs d'ombre" donnent à entendre des histoires comme tout le monde en a à raconter, s'il se trouve quelqu'un pour les écouter

Le Tessinois Alberto Nessi est avant tout poète, on l'a vérifié en 1996 avec l'édition bilingue de La Couleur de la mauve/ Il Colore della malva parue chez Empreintes. Mais les Romands qui le connaissaient depuis 1986 déjà comme prosateur, grâce au portrait de la Suisse italienne qu'est Le Pays oublié et aux récits de Terra matta et du Train du soir (Zoé), le retrouvent aujourd'hui dans un nouveau volume de vient et un récits: le plus long d'entre eux donne son beau titre à ces Fleurs d'ombre (Fiori d'ombra, Casagrande 1997).

... Cette galerie de portraits fraternels, où s'entrecroisent tant d'histoires d'amours souvent inachevées, ressuscite les désirs et la vie des "gens de peu" aux côtés desquels se range l'écrivain. Mais pas le misérabilisme ici, plutôt une perception des choses qui donne à la réalité une couleur et une tonalité affectives, en empruntant à la poésie quelques-uns de ses procédés : images, rythmes et répétitions. Si bien que le lecteur de Fleurs d'ombre s'identifie sans peine à cet homme "en veine de réflexions" qui rêve de renaître comme une feuille au printemps.

Alberto Nessi, Fleurs d'ombre, Trad. de Christian Viredaz, La Dogana, 128 p.

Isabelle Martin
Le Temps
12.05.01

 

Bio-bibliographie

Alberto Nessi est né à Mendrisio (Suisse) en 1940, a grandi à Chiasso.
Etudes à Locarno et à Fribourg.
Poète et prosateur tessinois.

Poésie

I giorni feriali, Pantarei, Lugano 1969
Ai margini, Collana di Lugano, Lugano 1975
Rasoterra, Casagrande, Bellinzona 1983
Il colore della malva, Casagrande, Bellinzona 1992
Blu cobalto con cenere, Casagrande, Bellinzona 2000

Prose

Terra matta, Dadò, Locarno 1984
Rabbia di vento, Un ritratto della Svizzera italiana attraverso scritti e testimonianze, Collana CH, Casagrande, Bellinzona 1986
Tutti discendono, Casagrande, Bellinzona 1989
Fiori d'ombra, Casagrande, Bellinzona 1997
La Lirica, Casagrande, Bellinzona 1998

Editions de bibliophilie

Massimo Cavalli. Una ruvida grazia (con un testo in prosa e sei poesie), ed. Franco Masoero, Torino 1995
Radure, Sei poesie con litografia originale a colori di Enrico Della Torre, Lythos, Como 2000

Traductions française

Cinq Poèmes. Traduits par Florian Rodari in La Revue de Belles-Lettres, Genève, 1979, no 1-2
Le Pays oublié, un portrait de la Suisse italienne. Traduit par Jeanclaude Berger, Collection CH, Zoé, Genève, 1986
Terra Matta. Trois récits du Mendrisiotto. Traduit par Christian Viredaz, Zoé, Genève, 1988
Le Train du soir. Traduit par Christian Viredaz, Collection CH, Zoé, Genève, 1992
Poèmes. Traduits par Christian Viredaz, in Ecriture no 44, Lausanne, 1994
Cinq Poèmes. Traduits par Jean-Baptiste Para, in Europe, Paris, mai 1995, no 793
La Couleur de la mauve. Traduit par Christian Viredaz et Jean-Baptiste Para

Traductions allemandes

Terra matta, Drei Erzählungen, Aus dem Italienischen von Karin Reiner, Limmat Verlag, Zürich 1983
Grenzraum, Texte aus der italienischen Schweiz, Benziger, Zürich 1986
Abendzug, Aus dem Italienischen von Regula Kühne, Limmat Verlag, Zürich 1991
Mit zärtlichem Wahnnsinn-Con tenera follia, Ausgewählte Gedichte, Zweisprachige Ausgabe, Aus dem Italienischen von Maja Pflug, Limmat Verlag, Zürich 1995.
Die Wohnwagenfrau, Aus dem Italienischen von Maja Pflug, Limmat Verlag, Zürich 1998
Schattenblüten, aus dem Italienischen von Maja Pflug, Limmat Verlag, Zürich 2000

Essais

"Fermare il tempo" in Il Ticino e i suoi fotografi- Das Tessin und seine Photographen, Fondazione Svizzera per la Fotografia, Benteli Verlag, Bern 1987
"Tracce di un percorso" in I poeti della Svizzera italiana nell'ultimo ventennio (1969-1989), a cura di Jean Jacques Marchand, Université de Lausanne, Lausanne 1990
"In cerca della luce", nel catalogo L'espressionismo Rot-Blau nel Mendrisiotto, a cura di D. Lucchini e G. Mina Zeni, Chiasso 1996
"Memoria e desiderio", in Le processioni storiche di Mendrisio, Dadò, Locarno 1998
"Auf der andern Seite der Mauer", in Swiss, made. Die Schweiz im Austausch mit der Welt, Scheidegger & Spiess AG, Zürich 1998