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Pierre Chappuis
A portée de la voix, Editions José Corti, 2002

Retrouvez également Pierre Chappuis dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Pierre Chappuis / A portée de la voix
 

ISBN 2-7143-0782-5

 

La Chaux-De-Fonds
Soirée poésie

[...]
Dans ce tout nouveau recueil de poésie, il est encore question "d'un marcheur qui aurait consigné ses étonnements à toute épreuve, de brèves sensations, des fragments de réalité brute, taillés dans le vif.
[...]

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18.06.02

Pierre Chappuis, A portée de la voix, Editions José Corti, 2002.

 

  Entretien de Pierre Chappuis avec Patrick Amstutz

Patrick Amstutz: Dans les magazines télévisés aussi bien que dans nos journaux quotidiens, on trouve plus ou moins souvent qu'il est fait mention de la «littérature». Mais on constate aussitôt que sous ce terme entre une quantité impressionnante de livres très divers

Pierre Chappuis: Je crois que beaucoup de choses sont sous l'étiquette «Littérature», qui n'en sont pas véritablement. C'est-à-dire ces «produits» fabriqués par des gens qui ont utilisé l'écriture en vue de raconter une histoire. Ces livres sont des livres que vous lisez une fois, et c'est fini. Il n'y a pas de travail intérieur de la part du lecteur; celui-ci reste à la surface d'une histoire. C'est en quelque sorte l'équivalent du téléfilm aujourd'hui.

Or, je pense qu'il y a littérature à partir du moment où les mots jouent un rôle essentiel. Non pas qu'ils soient utilisés par jeu pour eux-mêmes, mais quand ils sont eux-mêmes porteurs de l'émotion.

P.A.: Et la poésie?

P. Ch.: La poésie est effectivement en dehors de toute cette production dont nous parlons. Cela dit, à partir du moment où un écrivain de prose est lui aussi dans cette préoccupation de communiquer affectivement quelque chose qui vibre à travers les mots et les phrases, il est en littérature au même titre que le poète.

P.A.: La poésie en dehors, dites-vous? N'y a-t-il donc pas de mauvais faiseurs de vers?

P. Ch.: Si, évidemment.

P.A.: Par exemple?

P. Ch.: On peut penser d'abord au type d'«écrivant», qui n'a pas la moindre initiation à la littérature et s'improvise poète. Cela rejoint un important phénomène de société actuel, beaucoup plus général et qui concerne tous les arts: penser que l'on peut se «lancer dans une discipline» sans avoir à faire d'abord un apprentissage.

Je pense d'autre part, plus précisément, qu'une certaine poésie, close sur elle-même, qui se focalise sur le langage, qui se parle à elle-même, typique d'une certaine production des années septante, risque de mener à une impasse.

P.A.: La poésie doit donc communiquer quelque chose des sentiments personnels?

P. Ch.: Non, pas nécessairement. Quant à moi, j'essaie de sentir les choses pour ce qu'elles sont et non pas pour y plaquer des sentiments.

P.A.: Ainsi, la poésie, selon vous, devrait d'abord exprimer ce que l'on pourrait appeler une «présence au monde»?

P. Ch.: C'est cela. Je me rappelle toujours un beau texte de Reverdy, «Cette émotion appelée poésie», dans lequel il se bat contre l'idée que la poésie, c'est l'émotion, le sentiment. Reverdy y tente d'expliquer que ce n'est pas le sentiment et l'émotion qui font le poème, mais que le lecteur du poème recevra du texte une certaine qualité d'émotion qui va au-delà des sentiments personnels, ­ tels qu'ils ont pu aussi alimenter du reste la poésie du siècle précédent dans le style du lyrisme subjectif. Pour lui, il y a autre chose et il procède à un déplacement lorsqu'il dit qu'il faut «fixer le lyrisme de la réalité». Ce qui suppose précisément qu'au lieu d'être tourné vers soi, vers ses sentiments, c'est dans le regard à l'extérieur que les choses se passent.

P.A.: Savez-vous vous-même pourquoi vous n'avez pas écrit de roman? Pourquoi vous avez privilégié la poésie?

P. Ch.: Je suis incapable de répondre à une telle question. Il faut croire que cela n'a pas dépendu de moi.

Par ailleurs, la prose exige des qualités que l'on trouve trop rarement chez les romanciers, celles dont parle Flaubert dans les très beaux propos rapportés par Maupassant à ce sujet: puissance de raisonnement, sens artiste aigu pour changer à tout instant le mouvement et la couleur du style, savoir mettre une idée en relief entre cent autres uniquement par le choix et la position des termes qui l'expriment, etc.

P.A.: La littérature, ce serait avant tout trouver le mot juste?

P. Ch.: C'est en tout cas cette possibilité de bouleverser l'âme du lecteur, parce que l'on a trouvé le mot juste, quelque chose qui fait passer l'émotion par-dessous, disons, le sens ou le message. Oui, si l'on ne fait pas ce travail, il n'y a pas de littérature à proprement parler. Il me semble par exemple qu'un critère pertinent pour juger de la valeur d'une oeuvre, c'est le fait que de nombreuses, d'innombrables relectures sont possibles. Vous pouvez ainsi relire des dizaines de fois un même poème de Baudelaire sans qu'il s'use.

Patrick Amstutz

30 janvier 1998


Page créée le 05.08.02
Dernière mise à jour le 05.08.02

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