Francine Clavien
Eté visionnaire, Editions Empreintes, 2002.

Francine Clavien / Eté visionnaire

Eté visionnaire laisse émerger le passé pour faire mourir celui qui a commis l'irréparable.

La voix poétique convie la faute à l'oubli. Elle exprime le remords, la souffrance de ne pas être soi, et couvre sa plainte de celle de la victime, ultime cri, dernier oeil qui, de la tombe, regarde le fossoyeur.

Les poèmes convoquent des images primitives du monde, pour que la voix qui reste ne soit plus celle du tyran.

Francine Clavien, Eté visionnaire, Editions Empreintes, 2002.

 

Poème

L'écluse du souvenir

Je visite le quartier immense,
interminable, je visite mon âme,
où les tourniquets ramassent
le paysage sur lui-même :
donnez-nous des nouvelles d'elle.

Les murs endiguent la nostalgie
de l'adolescent qui grimpe
sur le portail et tombe
Les maisons retiennent
les enfants par les bras

Je suis la patineuse au regard
de biais, au-dessus des haies,
la terre se fend
d'une légère cicatrice
et les chiens se taisent
J'ai du muguet sous les ongles.

Extrait de : Eté visionnaire, Francine Clavien, Editions Empreintes, 2002.

 

Quelques questions posées par e-mail à l'auteure

Comment conçois-tu le " recueil ", qu'est-ce qui donne leur architecture aux ensembles de poèmes ?

On constate qu'il y a le plus souvent un projet littéraire d'ensemble, une cohérence d'images ou de forme.

Le recueil " Eté visionnaire " a répondu à une intention assez précise au départ, à l'exploration d'un thème, celui du remords, et au désir de tresser des voix narratives, d'amener des personnages sur les lieux de la faute. Cette unité thématique ainsi que les évocations successives de portraits m'ont paru suffisantes, pour faire tenir ces deux parties dans un ensemble. Si " Ce qui est ajourné " laisse le temps de s'installer dans le paysage de la représentation de la faute, " Consciences " déploie la conscience mordue par son passé, dans tous ses mouvements.

Le terme d'un recueil s'impose souvent à notre insu, précédant une réflexion ou une attitude qui n'appartiennent déjà plus au projet. Par ailleurs, " Eté visionnaire " s'ouvre sur un départ brutal, aliénant, et se clôt par un autre départ, où la voix narrative ne retient plus qu'une question, à savoir: " Qu'est-ce qu'on attend de moi ? ".

Tu n'es pas insensible au monde alentour, et ta poésie lui fait place de manière parfois explicite. Comment envisages-tu les liens entre la poésie et la politique ?

La question " qu'est-ce qu'on attend de moi ? " sous-tend mon écriture, pas seulement à travers le souci d'un lecteur, mais aussi, d'une manière plus existentielle, à travers la parole qui naît de cette " intranquillité ", de la déambulation de celui qui questionne. L'écriture est très proche de ce projet de l'être, et je ne peux les dissocier. C'est à ce projet de l'être que j'aimerais toujours revenir ; à la liberté, à l'intégrité, à la cohérence. Ma poésie exprime la nostalgie d'une politique réellement faite pour l'homme, et voudrait la précéder.

D'ailleurs, on pourrait dire que la poésie précède toujours l'action, et qu'elle n'est jamais coupée d'elle. J'aime beaucoup l'idée développée par René Char lorsqu'il dit que l'action est aveugle et que c'est la poésie qui voit.

D'autre part, parmi les dédicataires d' " Eté visionnaire ", je rends hommage à des requérants d'asile, à des personnes exilées, qui attendent qu'on leur redonne une dignité (ne serait-ce que juridique). La parole poétique est aussi dans cet exil, à guetter la totalité qu'elle pourrait habiter, et où elle pourrait se refaire.

Le recueil a une tonalité très existentielle, même si les événements sont elliptiques et mis en forme. Quel est ton point de départ, plus généralement, quand il s'agit d'écrire ?

C'est effectivement une émotion, ainsi que la nostalgie que j'ai évoquée, qui me permettent d'initier un poème. Parfois, une image naïve désamorce l'intellect, pour le rendre ensuite plus vigilant, dans la recherche d'un rapport juste entre l'affect et la forme poétique, ou le travail sur la langue.

Il me semble que dans ce recueil, l'allusion à l'expérience existentielle " limite " a permis à l'écriture d'être à la fois dans l'affolement des images, de la spontanéité et dans la gravité du questionnement.

Propos recueillis par Jérôme Meizoz

 

A proposito di Francine Clavien e della poesia romanda

Lo abbiamo detto e ripetuto: la giovane narrativa romanda propone voci che andrebbero conosciute ben oltre i confini della letteratura nazionale. Potremmo fare una lunga lista di romanzi letti in questi ultimi anni che consiglieremmo caldamente alla lettura. Ma per la poesia possiamo dire altrettanto? Da qualche anno a questa parte, vien da dubitare. Diciamolo chiaramente, la Romandia ha per quanto concerne la forza dei suoi poeti, un buon numero di patriarchi. La trimurti dei fondatori della poesia moderna: Roud, Crisinel, Matthey ha lasciato in eredità un'esigenza altissima di poesia, sebbene espressa in tre modi diversi: l'elegia, la confessione, il mito. Dopo di loro Haldas, Chappaz, Chessex hanno continuato su una scia di poesia ad altissimo tenore spirituale, lutulenta, talvolta eccessiva nelle sue mire e nelle giravolte stilistiche. Dietro questa seconda generazione sono venute voci diverse ma importanti, con ardore politico Voisard e Cuttaz, con raffinatezze estetiche Pache e Tâche, con devozione ad un verbo prosciugato Perrier e Voélin. Da ormai almeno tre lustri sono attive José-Flore Tappy e Sylviane Dupuis, poco altro si è manifestato all'orizzonte della poesia romanda. Ci sono certo le nuove voci acerbe ma intense di Claire Genoux e Julien Burri, da cui si aspetta ancora molto. Ma dopo? C'era una certa attesa per i tre libri poetici annunciati per questa stagione estiva da Empreintes, l'editore specializzato in questo campo: oltre a un libro della francese Judith Chavannes, due debutti tutti romandi. E ora che sono sul nostro tavolo, non possiamo nascondere una certa delusione. Patrick Amstutz, giornalista di Bienne ci presenta un librino bianco dal titolo tutto in minuscolo "s'attendre": pochissime le posie, tutte ondeggianti tra accensioni metafisiche non sempre controllate e modestia calvinista ad ogni costo. Il che fa l'effetto, per dirla con un celebre Witz di Umberto Eco, di un cigno che deraglia. Più corposo - anche più compiuto - lo sforzo di Francine Clavien: le sue immagini sono più forti, soprattutto quando s'ancorano in un vissuto che si intuisce dolorosamente segnato dalla figura della madre. Si sente qui una ricerca portata fin dentro la carne viva delle parole, anche se talvolta prigioniera di un'idea di poesia che deve tutto all'osservazione di Verlaine per cui il meglio dell'afflato poetico viene dalle zone grigie. Il che può portare anche a un uso sconsiderato, per non dire stilistico, dell'indeterminatezza e della confusione. Per esaltarci di nuovo sulla poesia romanda, dunque, sorveglieremo i giovani autori e avremo ancora una giusta pazienza. La pazienza che si deve alla poesia.

Pierre Lepori
Rete2 RSI

 

Extraits de presse

[...]
A rapprocher, paradoxalement, des poèmes élégiaques, solaires et nostalgiques d’«Eté visionnaire», de la Lausannoise d’origine valaisanne Francine Clavien. Sa voix sourde et péremptoire, solaire et sensuelle, comme le «rêve d’une prune/ un raisin sucré dans la bouche», couchée dans une vigne à serpents, revient dans un Valais fantasmé, qui l’éveille au secret.
[...]

Francine Clavien, Eté visionnaire, Editions Empreintes, 2002.

Isabelle Falconnier
L'Hebdo
2 mai 2002

"Eté visionnaire" de Francine Clavien

En avril 2001, Francine Clavien a publié Terre arraisonnée, aux Editions Empreintes. Le mois dernier, elle a publié Eté visionnaire, recueil de poèmes paru à nouveau aux Editions Empreintes. Ce texte poétique parle du remords, que chacun tente de nier, de combattre ou d'apprivoiser. Il laisse émerger le passé pour faire mourir celui qui a commis l'irréparable. Il convie la faute à l'oubli. Il exprime la souffrance de ne pas être soi, et couvre sa plainte de celle de la victime.

Les poèmes convoquent des images primitives du monde, pour que la voix qui reste ne soit plus celle du tyran. Le recueil est guidé par la Conscience célèbre de Victor Hugo dans son poème qui, pour échapper au remords, va aux bornes du monde, érige une muraille flottante, y creuse une tombe, où l'oeil de Caïn le retrouve.

Cette insistance peut être vécue comme l'irruption d'une folie, ou comme un sursaut de la dignité du coupable. Ce sont ces retrouvailles de l'oeil et du coeur que Francine Clavien a voulu exprimer.

Francine Clavien est née en 1967 à Miège. Elle a fait des études de lettres et vit et travaille actuellement à Lausanne.

Francine Clavien, Eté visionnaire, Editions Empreintes, 2002.

C
Le Nouvelliste

Eté visionnaire

[...]
En deux volets intitulés "Ce qui est ajourné" et "Consciences", elle revient sur les terres de l'enfance et de la faute, où les "maisons retiennent les enfants par les bras", la "terre adolescente", mais aussi vers "l'habitacle de la mémoire", où "écrire fait mal"
[...]

Isabelle Falconnier
Guide pratique du Salon du Livre
L'Hebdo
mai 2002

 

Notes bio-bibliographiques

Francine Clavien, née en 1967 à Miège. Etudes de lettres à Lausanne et à Genève. Vit à Lausanne et travaille dans la formation pédagogique. Soutient des actions de la LICRA (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme) dans sa lutte contre le racisme et la xénophobie.

A publié en avril 2001, Terre arraisonnée, in « Achevé d’imprimer », aux Editions Empreintes. « Achevé d’imprimer » est un coffret composé de cinq recueils d’auteurs suisses et français (Beat Christen, Francine Clavien, Jacques Moulin, Jean Portante, Fabio Pusterla). Il a été édité, imprimé en typographie, relié et diffusé au Salon du Livre 2001 par les Editions Empreintes. Les visiteurs du Salon ont pu assister chaque jour à la création artisanale d’un livre, ainsi qu’à la lecture du texte par l’auteur.

Vient de publier, en avril 2002, Eté visionnaire, recueil de poèmes aux Editions Empreintes.