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Comment dire cette progression sans trahir les mouvements
instables de l'âme ? Un art se découvre ici
par lequel les images suggèrent et disparaissent
aussitôt, où la mobilité des scènes
nous apprend à ne pas vouloir garder pour nous ce
qui nous fut donné. Les poèmes sont courts,
le plus souvent, ils semblent capter des éclats d'énergie
du monde. En même temps, à la façon
d'une basse continue, revient le thème, ce vis-à-vis
existentiel avec le seigneur, compagnon d'inquiétude.
Cela donne une parole furtive, étrangement volontaire
avec sa part de feu, et pourtant comme abandonnée.
Sans doute parce qu'au point subtil où s'écrit
le poème. les scories sont tombées, ne laissant
apparaître qu'une forme gagnée : "L'ange
dans ma chair ce violon parle en seigneur et se moque de
la roue." En d'autres lieux, il conviendra d'étudier
les contours et l'architecture de ce livre qui prolonge
les trois recueils antérieurs (Chrysalide, Le Cantique
du Feu, D'outrenuit) et s'en distingue, comme une oeuvre
s'accroît de pierre en pierre pour dessiner un jardin
insoupçonné.
Expérience de vie, art du
langage, ce recueil porte en fin de compte un éthique.
Elle ressemble à une lampe
allumée en hiver, un drap blanc tendu à la
fenêtre de toute guerre, "la même pluie
qui tombe sur Venise et Calcutta". Au-delà des
angoisses éprouvées, des tensions reconnues,
de l'âpreté des refus, Laurence Verrey oeuvre
sur cet autre versant de la parole toujours miraculée
qui nous fait exister, nous relève, nous ressuscite
à sa façon pour nous changer en "crieurs
de vie". Avec ses armes blanches, elle nous enseigne
la science du guetteur. Que nous vivions, que nous écrivions,
que nous lisions, c'est toujours en ce pays-là pour
qu'un visage advienne. Ici, sur cette "seule terre
toujours vierge qu'est le visage humain", a lieu le
rendez-vous d'un instant dédié par l'écriture,
qui fait écho à la conscience universelle
des hommes et des femmes de maintenant. "Terre ! Terre
!" Minuscule vertige de ce rien, infiniment précieux,
dès lors qu'à notre tour nous nous mettons
en chemin.
Voilà pourquoi il faut relire
ces pages une à une, consentir à la lenteur
tenue où se déchiffre leur musique. Il faut
se laisser entreprendre par leurs façons souvent
changeantes, leurs obliques ferveurs, leurs appels amoureux.
Ces mots, ces phrases, ces vers qui, bien sûr, "ne
servent à rien" s'ajouteront à notre
vie pour que le reste ne s'écroule pas.
C'est là, en "buveurs
d'herbe haute", que nous nous rejoindrons, semble nous
dire une soeur en poésie.
Dominique Sorrente
Saint-Julien en Champsaur, décembre
2002
Page créée le: 02.06.03
Dernière mise à jour le 02.06.03
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