Pascale Kramer Pascale Kramer / Les Vivants C'est un 8 mai lumineux. Louise, son mari Vincent, son petit frère Benoît, tous trois troublants de jeunesse, d'inconscience et d'immaturité, sont frappés par un drame effroyable. A travers les yeux de Benoît, Les Vivants tente de saisir la stupeur de cette fraction de seconde où le destin bascule, et, au-delà, le mystère, ou le scandale, de l'acharnement de la vie. Parcouru de bout en bout par l'énergie d'une nature en plein été et par la douleur muette de Louise, le livre pose cette simple question : comment croire au pire quand on est jeune et qu'il fait beau, et comment y survivre? Née à Genève en 1961, Pascale Kramer vit et travaille à Paris depuis 1987. Les Vivants est son quatrième roman.
Les Vivants Enceinte à dix-sept ans mais éperdue d'amour, Louise a refusé d'avorter. Vincent l'a épousée. Huit ans ont passé, ils ont deux fils, doux et fragiles comme leur trop jeune mère. Divorcée, la grand-mère maternelle vit avec son fils cadet, Benoît, qui aujourd'hui a dix-sept ans. Une famille bancale se retrouve dans la chaleur de l'été pour quelques jours de vacances ordinaires, dans un pavillon de banlieue, à la lisière des grands ensembles, entre un terrain vague et le parking où se désagrège une station-service abandonnée. Aux antipodes de ce que cette présentation schématique semble augurer, Les Vivants, le quatrième roman de Pascale Kramer, n'est pas un document sur la jeunesse actuelle, ni un réquisitoire gris sur la vie des banlieues et surtout pas l'histoire glorieuse d'un petit monde trop souvent idéalisé par ceux qui ont eu la chance de le quitter. En marge de toutes les fictions répertoriées, Pascale Kramer a écrit une tragédie antique étouffée par les pleurs. Seuls les gestes quotidiens et les propos banals répercutent mezzo voce l'indicible des destins sacrifiés. Le roman commence là où tout finit. Quelques heures après l'arrivée du jeune couple, Benoît et sa soeur conduisent les enfants dans la gravière qui avoisine la maison. Benoît installe les garçons dans la nacelle du téléphérique qui jadis transportait les pierres. Elle s'écrase contre un pylône. Les enfants sont morts. Le refus de leur naissance - huit ans auparavant - s'accomplit ; les anges, médiateurs d'un bonheur possible, sont sacrifiés. Les Vivants est le récit d'un deuil interdit de souffrance, la mélopée sourde d'une culpabilité muette. Louise irradie de douleur et de beauté, heure après heure tendue vers le désir têtu de réconcilier ses "hommes" avec la vie. Vincent, le mari privé d'adolescence, fuit hors du drame et entraîne Benoît, déchiré entre une soeur qu'il adore jusqu'à absorber son malheur et les promesses de renouveau qu'ose à peine suggérer son beau-frère. La mère assiste impuissante à l'anéantissement muet de ses enfants. La romancière sonde l'âme meurtrie de jeunes gens qui n'ont jamais appris à comprendre et à exprimer leurs émotions : "Elle n'avait pas de mots pour consoler une peine pareille, sans doute n'avait-elle même aucune idée d'un tel degré de souffrance." Si la douleur ou le plaisir s'inscrit directement dans la chair, la honte, la solitude, l'espoir, le désir même ne peuvent être perçus que réfractés par le comportement des personnages amputés de parole et qui s'épuisent en de vaines tentatives de communication. Ils en crèveraient si leur extrême jeunesse ne les portait vers la vie. C'est à ces survivants-là que la romancière prête sa voix, des morts prématurés qu'un long et trop cruel été va finir par tirer vers un semblant d'espoir. Tout l'art de Pascale Kramer, écrivain magnifique et secret, est dans ce miracle... Tout l'art de Pascale Kramer, écrivain magnifique et secret, est dans ce miracle : décrire à l'état brut les gestes de tous les jours et les métamorphoses permanentes du décor, décrire les élans tronqués de l'amour et ceux maladroits du plaisir, le mal-être des êtres est saisi à travers les images brutales que Benoît, le plus jeune, perçoit confusément. La romancière décrypte avec minutie la tristesse et la rage de ce guetteur coupable. mais pas d'exégèse. D'où la cruauté souterraine de ce roman du silence qui n'offre pas de baume salvateur. Pascale Kramer a réussi le pari d'un roman apparemment impossible. Dissoute dans le paysage, anéantie dans le temps, diffusée dans la mélancolie, la voix de l'écrivain est le choeur d'une tragédie antique dont les héros ne discernent pas la démesure qui les sauverait du néant. Hugo Marsan
Au-delà du désastre Au scalpel, Pascale Kramer décrit la longue traversée de la douleur où dérivent ses personnages Les romans de Pascale Kramer ont la rigueur implacable des tragédies. Le pire y est toujours sûr, que l'on y parvienne en fin de compte ou qu'il faille, comme dans Les Vivants, l'affronter dès les premières pages. Désastre, choc, chute : un instant, "aussi bref qu'un coup de cymbale", suffit à faire basculer des existences, à laisser surgir, vivaces, les passions et les trahisons. Un terrain vague où, parmi les pompes "déracinées" d'une ancienne station-service, le vent parsème de poussière les fleurs de colza. En ce lieu indécis, une maison, au bord de la nationale qui mène à la ville de S. : c'est là que, entre une arrivée et un départ, se joue le drame. En trois actes. Le premier est le plus terrible. Louise revient chez sa mère et son jeune frère Benoît, à qui la lie une affection vaguement incestueuse. Louise, la plus jolie fille de l'école, a épousé à seize ans, "par étourderie, croyait-on", l'agressif Vincent dont elle attendait un enfant : à vingt-cinq ans, cette jeune mère au "charme sauvage" voit périr ses deux fils dans l'effroyable accident du téléphérique d'une gravière désaffectée. Dès lors commence une traversée de la douleur, que chacun des personnages affronte à sa manière : prostration ou colère ; divorce entre l'âme, brisée, et le corps, qu'anime une "énergie d'ogre", une vitalité presque involontaire. Bientôt, l'important n'est plus de chercher des responsabilités, des explications possibles à l'accident, mais d'observer comment chacun se débat contre le malheur. Pour Benoît, c'est un sentiment d'irréalité, qui le pousse à "se décharger d'un drame bien au-dessus de ses forces". Tandis que sa mère tente de préserver pour lui une "part même infime d'insouciance pour plus tard quand il faudrait de nouveau songer à vivre et pourquoi pas à être heureux". Les grands-parents paternels sont brisée par le chagrin et un "besoin de justice" qui restera éternellement frustré. A la violence hagarde du père, Vincent, s'oppose la léthargie de Louise, sa douleur muette, somnambule, qui mine peu à peu la "formidable santé de son corps mince" et lui donne une grâce poignante de "madone" - Louise, qui sent une clairvoyance extrême que sa souffrance est devenue pour son entourage un fardeau, qui se sait "de trop". Pascale Kramer analyse, au scalpel, les disputes et les conflits intérieurs où s'opposent tendresse et frustration, culpabilité et désir de survie malgré tout. Tout se passe dans la vacuité d'un été, où l'oisiveté fait partie de ces "étranges et douloureux bonheurs du deuil", dans le paysage désolé du terrain vague où Benoît tente de rafistoler un vieux side-car. En face, le vis-à-vis inattendu d'une caravane à l'auvent coloré fait signe que la vie, le départ sont peut-être encore possibles. Il n'y a rien à juger : ni les "sourires fêlés" de Louise, sa passivité entretenue par les calmants, sa façon de "s'accrocher au souvenir d'un bonheur rêvé", ni l'égoïsme féroce, inexorable des autres. Tantôt soudés comme des rescapés, tantôt enfermés dans une solitude qui atteint ce "degré de cruauté à partir duquel plus rien ne compte, pas même le bonheur des autres", ces vivants à la dérive, au-delà du désastre, au-delà de la conscience du bien et du mal, cherchent vainement à retrouver leur "virginité d'avant le drame". Monique Petillon
Extraits de presse La mort dans l'âme "... Que devenir après la mort de ces
jeunes enfants qui vous sont nés trop tôt mais que vous aimiez
si fort? Comment rester vivant quand vous êtes amputé d'une
part de votre chair ? Avec une troublante douceur, sans l'ombre d'un voyeurisme
ni d'une complaisance, Pascale Kramer observe la douleur de ceux qui se
laissent couler dans le malheur ou rament au contraire désespérément
vers ce qu'ils imaginent être la lumière et la vie... Elle
a l'art de saisir un geste, un regard, un désir, la couleur d'un
ciel ou le poids de la canicule. Car, nous dit-elle, n'est vivant que
celui qui éprouve dans son corps du désir. Désir
de vivre certes, mais aussi désir de l'autre, du monde, du futur...
Loin des clichés larmoyants, de la morale ordinaire, de la provocation
malsaine, la romancière suggère qu'il est une survie possible
après la mort de l'autre. Elle nous donne à voir les errances,
les faux pas, les maladresses de ces garçons - Vincent et Benoît
- foudroyés par le malheur et la culpabilité, mais qui s'accrochent
à un objet, à un corps offert et désirable, à
une chanson, à un projet, à un voyage en guise de salut.
Fuir le malheur pour se sauver..." Télérama n°2644 13 septembre 2000
Comment vit-on après ça?... "... Comment vit-on après ça, avec ça, c'est ce que raconte Pascale Kramer dans ce roman suffocant. Elle épie les premiers gestes maladroits du père, de la mère, de l'oncle, de la grand-mère. Les paroles étranglées, les hurlements, les silences tumulaires, les crises de nerfs. Les prénoms qu'on n'ose plus prononcer. Le passé, pourtant gris, dont on a la nostalgie. Les têtes assommées par les tranquillisants et l'alcool, les corps sans emploi. Et la lumière verticale qui, à midi, fait si mal. La douleur ne supporte pas le soleil, et l'été de ce drame est caniculaire. Des mouches se collent à la souffrance. Le ressentiment et le désespoir cuisent à l'étouffée, exhalent une vieille odeur d'essence, de sueur et d'herbe grillée. La famille brisée se renferme sur elle-même et son paysage pétrifié. Les hommes cherchent à fuir comme de sales gosses, les femmes, hébétées, essaient de cacher sous le maquillage leurs visages boursouflés. Car s'il n'y a pas de mots pour exprimer ce malheur-là, il n'en manque pas à Pascale Kramer pour décrire, ainsi qu'une tribu lointaine et inquiétante, ceux qui l'éprouvent." Jérôme Garcin Un malheur figé dans le silence "... Saisissant là une vérité
psychologique autant que sociologique, la romancière formule la
détresse de ceux qui n'ont pas les mots pour la dire. Pourtant,
l'encombrante blessure se calfeutre dans les replis du quotidien, et seule
l'indication de détails - gestes, silences - évoque pudiquement
la tragédie familiale. Si bien que Les vivants échappent
à la tentation du pathos grâce au traitement de personnages
qui paraissent flotter à la surface d'un monde tour à tour
allusif et incisif, comme l'est la plume de Pascale Kramer." Marie Alstadt
C'est toute la réussite de Pascale Kramer... "... C'est toute la réussite de Pascale Kramer. Faire vivre l'insoutenable à ses héros, sans révolte, sans cri, sans haine. Rendre coup pour coup à la mort en se servant de la vie. Avec les armes du bord, la jeunesse, la beauté, l'amour. Ne pas laisser le beau rôle au drame. On ne peut pas l'évacuer, mais alors, qu'il ne la ramène pas ! Couché là, comme un chien dressé dont on évalue la force mais qu'on a appris à maîtriser. Sans toutefois en ignorer le danger. Le talent de l'auteur tient dans cette tension. Jamais relâchée." Martine de Rabaudy Elle raconte les lendemains d'un effroyable drame... "... Pascale Kramer procède en amassant les images ténues ou fulgurantes. Avec ses personnages sans passé, ni avenir, elle joue comme une marionnettiste. Plus que tout autre que ses consoeurs - Marie Nimier par exemple -, elle refuse les ivresses documentaires, les charpentes sous-jacentes, les déguisements biographiques. Elle préfère mettre sous la couverture jaune de la collection dirigée par Martine Saada d'étranges événements qui, jure-t-elle, ne la concernent pas. Le lectorat ferait bien de la croire. Après tout, Pascale Kramer vient d'ici. Elle n'a peut-être pas oublié la limpidité du lac..." Alain Penel Survivre ."... Autant la scène de l'accident est rapide et foudroyante, autant le travail de deuil est lent et long. Pascale Kramer prend son temps. Elle décrit chaque geste des parents accablés, chaque silence, chaque nouvelle journée, chaque bruit, chaque odeur, avec des précautions de convalescente. Cela donne un poids terrible à son roman, qui est écrit dans un style si près du réel, si soucieux de détail, si juste, qu'on a l'impression, soudain, d'être un proche de la famille. C'est dire combien ce livre est beau et dur."
Jérôme Garcin
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