Jérôme
Meizoz, chercheur, essayiste, auteur
Jeune écrivain, également
enseignant, Jérôme Meizoz est un amoureux de
la langue écrite. Et le prouve dans ses propres textes
ou recherches.
Né en Valais en 1967, Jérôme
Meizoz enseigne la littérature française à
L'Université de Lausanne et la littérature
romande à l'Université de Genève. Il
est, par ailleurs, l'auteur d'une thèse, d'essais
et de récits. Rencontre avec un auteur prolifique.
Le Courrier: Vous êtes l'auteur
d'une thèse, d'essais et de nouvelles ou récits
brefs. Quels rapports entretiennent en vous l'auteur et
le chercheur ? Dans quelle mesure l'un influe-t-il sur le
travail de l'autre ?
Jérôme Meizoz: Michel
Foucault disait que tous ses travaux étaient des
"fragments d'autobiographie". Je partage cette
opinion: ce qui motive à la recherche, à l'origine,
relève pour moi de questions existentielles qui font
le sel du travail intellectuel... Sinon, pour moi, cela
ne vaudrait pas une heure de peine. Dans mes récits
et essais, ce sont des motifs proches qui sont interrogés
de manière différente : la langue parlée,
l'expérience populaire de la dépossession
culturelle, le rôle de la mémoire, etc. Les
deux faces de mon travail ne s'influencent pas, et aucune
ne prime l'autre: elle se complètent, si vous voulez.
La désignation "d'auteur
romand" a-t-elle un sens pour vous ? Vous reconnaissez-vous
une quelconque spécificité linguistique, ou
littéraire, identitaire ?
- Les auteurs romands n'aiment pas
être considérés comme tels, cela les
restreint trop... Je les comprend: ils se sentent écrivains,
c'est tout. Ceci dit, la situation des écrivain-e-s
en Suisse romande a ses singularités, et induit un
rapport particulier à l'espace littéraire
hexagonal: ils écrivent en français sans être
français, leurs ouvrages sont mal diffusés
en France, malgré les efforts louables des éditeurs,
leur tradition littéraire et linguistique n'est pas
exclusivement française, etc. En ce sens, je ne peux
pas nier que je suis, sociologiquement, un "auteur
romand". Ceci dit, écrire suppose aussi et surtout
de se relier avec des textes qui ne sont pas tous, dieu
merci, romands... L'idée d'une "écriture
romande", par contre, me semble farfelue.
Dans Morts ou vif, votre premier
recueil de textes, le narrateur évoquait notamment
les résonances poétiques qu'avait pour lui
le "patois". En ce qui vous concerne, vous sentez-vous
sous l'emprise d'une langue scolaire, formatée ?
- Comme tous les gens obligatoirement
scolarisés, la langue que j'ai intériorisée
est en partie une langue "scolaire, formatée",
selon les exigences de la communication. C'est la langue
écrite officielle, dans laquelle on me demande de
m'exprimer... Mais au-dessous, il y a un rapport plus affectif
et sonore à une autre partie de la langue, celle
que j'ai apprise avant l'âge de l'écriture:
le français régional et le dialecte, dans
mon enfance en Valais. Une langue sous la langue, en quelque
sorte, réservoir de sensations et émotions
anciennes. C'est cette langue que Morts ou vif convoquait
comme la clef du souvenir.
Dans votre étude sur le "roman
parlant", vous pointez, entre autres, les enjeux, attachés
à l'intrusion progressive de la "parole vive"
(stylisée) dans l'écrit. Dans votre prose,
vous ménagez, dans une écriture à certains
égards classique, ou rhétorique, des effets
d'oralité. A quelles exigences répond ce double
travail de l'écriture ?
- J'essaie justement de concilier
(ou de réconcilier en moi) ces deux faces de la langue:
faire en sorte que dans la langue officielle et "classique"
dont je ne peux me passer pour écrire et communiquer,
il y ait une place pour d'autres dimensions, pour une force
expressive donnée par l'oralité. Si la langue
souterraine vient au bon moment, elle ouvre démultiplie
le potentiel émotif de la langue écrite traditionnelle.
Dans vos textes de fiction, vous montrez
du goût pour les formes brèves, elliptiques.
Pouvez-vous commenter ce choix ?
- Ce n'est pas un choix... Je ne
cherche pas à écrire des "romans",
ces longues choses où il faut à chaque instant
craindre ou jouer l'invraisemblance... Inventer une histoire,
des personnages, je ne sais pas le faire. J'aime raconter
des histoires de vie. Or, celles-ci ne rendent leur plaine
intensité, pour moi, que sous une forme elliptique,
ou décantée. C'est un souhait irréfléchi,
peut-être: qu'une vie, malgré tout son chaos
- comme celle de "Lucien est ailleurs", dans Destinations
païennes trouve, une fois transmuée en mots,
sa forme essentielle (ou celle que je lui attribue, du moins)
en quelques touches décisives. Quelques auteurs majeurs
d'aujourd'hui, comme Pierre Michon ou Pierre Bergounioux,
réussissent à cela...
Jérôme Meizoz, Morts ou
vif, Editions Zoé, 1999.
Jérôme Meizoz, Destinations païennes,
Editions Zoé, 2001.
Les "Destinations païennes"
suivent le fil ténu de la rêverie
On traverse ici des récits
brefs, au lyrisme discret, où l'infime fait événement.
Le narrateur nous entraîne dans ses explorations immobiles:
l'évocation d'une ville, le souvenir d'un humble,
d'un déviant - rongé par l'alcool (ou le rêve)
- autant de vies qu'il se figure en quelques traits. Mais
ces visions sont aussitôt ternies par une tristesse
toujours latente. Car il y a aussi, chez celui qui dit avoir
"habit[é] toute la coupole de [ses] paupières",
l'attente d'une "vie" qui n'advient pas : une
insatiabilité. "Je sais m'orienter dans les
rêves", dira le narrateur dans "Partance".
Et ça sonne comme un défi lancé à
cette "porte du réel [qui] se tient close".
Du "réel", dont le narrateur se sent privé,
aux vies ratées qu'il ne lui reste plus qu'à
"imaginer", des mondes s'échappent, d'autres
se recomposent. Dans les Destinations païennes, la
formulation de la compassion peut paraître, à
certains endroits, artificielle, et l'humanisme du propos
un peu convenu ("Je me détourne des mendiants.
Ils me font honte. De moi.") Mais quelques récits
("A demi-né seulement", "Lucien est
ailleurs", "Sainte lascive" témoignent
d'une prose concise et tranchante qui devrait séduire
les lecteurs de récits poétiques.
L'écriture de Jérôme
Meizoz dispose minutieusement ses effets, se déploie
avec délicatesse - préciosité diront
certains - mais touche juste, pourtant, au gré d'une
dislocation ou d'une ellipse: "Les beaux jours, je
rejoins presque la fragile et mystérieuse condition
des oiseaux : dans ma carcasse, ça chante."
Jérôme Meizoz, Destinations
païennes, Editions Zoé, 2001.
Marc Van
Dongen
12-13.01.02
[...]
"Dans Morts ou vif, l'autobiographie était très
présente, pudiquement tenue à distance mais
explicite. Ici, elle sous-tend certainement plus d'un passage,
mais de façon plus allusive. Beaucoup d'êtres
blessés, cassés, hantent ces pages. Un enfant
trop protégé, pas assez aimé, hésite
au bord de la vie. Un fils se dédouane de la mort
de sa mère: entre les lignes de son récit
indigné, incohérent, se dessine une longue
tragédie sur plusieurs générations.
Des vieux ronchonnent au bout d'une existence dont ils n'ont
rien pu maîtriser. Meizoz convoque ceux qui le sont
rarement dans l'univers de la fiction: saisonniers, mendiant,
clochard, bûcheron taciturne puis définitivement
bâillonné par la maladie ou infirme, comme
l'Aleijadinho, sculpteur génial du baroque brésilien
qui attachait des outils à ses moignons."
[...]
Isabelle
Rüf
Samedi culturel, 27 octobre 2001
Lire
la suite...
Frères farouches
Jérôme Meizoz, avec
sa deuxième fiction, investit un territoire poétique
prometteur.
[...]
Jérôme Meizoz pose ici les premières
bases d'un univers poétique tout à fait personnel,
où interfèrent le monde "sauvage"
des individus singuliers et la nouvelle société
connectée et aseptisée. "Je viens d'un
pays de bergers d'Epinal devenus cols blancs", dit
l'un des personnages de ces esquisses de nouvelles évoquant
un peu les pointes sèches de Jules Renard (nous pensons
à Nos frères farouches, entre autres merveilles),
donnant parfois lieu à de très belles évocations
(Rébus de pierre, Terrasse) ou à quelques
portraits (Fred, Lucien, Robinson) qui ressortissent à
la Suisse sauvage de Walser, Cingria, Soutter, ou d'un Wölffli
hardiment convoqué en couverture.
Enfin et surtout : une voix nouvelle,
un ton et un regard, une intelligence et une perception
originale de la réalité composite de notre
pays pourraient se développer à partir de
ces proses très surveillées.
[...]
Jérôme Meizoz, Destinations
païennes. Zoé, 71 pp.
Jean-Louis
Kuffer
4 décembre 2001
Regards fraternels
[...]
Portraits dindividus vus de loin, ou fréquentés
sans parler, évocations de moments solitaires et
délicieux, fantasmes autour de pays vus en photo
se succèdent pour construire en miroir limage
dune conscience rêveuse et le portrait de villes
sans nom, qui sont les nôtres. Quelques exclus les
parcourent, quelques médiocres, quelques inconnus
suscitant sans raison un sentiment de fraternité
; quelques souvenirs denfance aussi (la présence
des migrants méditerranéens), une permanente
aspiration vers le sud, lItalie, le Portugal. Une
sensibilité à lhistoire des choses sy
profile, à la lente et mélancolique construction
de cette civilisation dont le narrateur ne peut ou ne souhaite
pas faire complètement partie.
Évanescence et précision
Toute la qualité de cet opuscule
réside dans le rapport étrange entre évanescence
et précision de lévocation. Lauteur,
avec un rythme en tout petits paragraphes et un très
beau vocabulaire, trouve vraiment un ton bien à lui,
le reflet dun état de conscience particulier
et bien perceptible doù lintimité
qui relie ces images et ces pensées.
[...]
Destinations païennes, Jérôme
Meizoz Editions Zoé, 2001
Francesco Biamonte
Page créée le: 28.03.02
Dernière mise à jour le 28.03.02
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