Le dictionnaire du Littéraire
Publié sous la Direction de Paul
Aron / Denis Saint-Jacques / Alain Viala
Le dictionnaire du Littéraire, Editions Puf, 2002.
Le dictionnaire
du Littéraire |
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A un vieux Grec, qui demandait
au chêne de Dodone s'il fallait accueillir les
noms impénétrables des dieux étrangers
en même temps que ces dieux, ou leur donner
des noms lisibles, l'oracle répondit : garde
les noms barbares. Vers 1330 l'Anglais Guillaume d'Occam,
théologien, dans une injonction coupante passée
à la postérité sous le nom de
Rasoir d'Occam, tempéra l'enthousiasme de l'oracle
: "Ne multipliez pas le nombre des entités
au-delà de ce qui est nécessaire."
Entre ces deux anecdotes, qui disposent diversement
de la vie des mots, l'une avec générosité,
l'autre avec avarice, se tient l'espace périlleux
où sont choisies les entrées d'un dictionnaire.
Le dictionnaire de Dodone serait infini, puisque les
dieux de la terre sont en nombre infini. Celui de
Guillaume d'Occam, de taille en coupure, ne retient
peut-être que le seul mot Dieu.
La littérature aussi
est un dieu - encore faut-il délimiter ses
terres et ses temples, définir ses attributs,
ses avatars, le divin, qui s'appelle ici le littéraire.
Ce n'est pas une petite affaire, tout choix est hérétique
au regard des autres choix, et sacrilège au
regard du dieu.
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Si j'étais Guillaume d'Occam
(Dieu m'en préserve !) j'aurais rasé la plupart
des entrées ; si j'étais le chêne de
Dodone (les dieux ne l'ont pas permis), j'aurais laissé
s'ébruiter dans ces pages tous les vieux mots tombés
en quenouille, les grecs et les latins, ceux de la Pléiade
et de Port-Royal. Le dieu et le littéraire ne s'en
seraient pas satisfaits davantage. Le dieu et le littéraire
sont rétifs, capricieux, duplices : tout discours
d'escorte leur est un frein, une injure, une entrave. Ils
s'y débattent comme dans les mailles d'un filet.
Pourtant le filet qui l'arrête
laisse voir un instant le dieu, entre ces mailles que sont
les entrées. A affects, à écriture,
à incipit, à énonciation, à
rythme, c'est lui, c'est son souffle et son pas, c'est lui-même
; à bibliothèque, c'est le temple ; à
poète, c'est l'enfant de choeur, à roman,
les chanoines ; à grammaire, à forme, c'est
le rite; à inspiration, c'est ce qui excède
le rite; à chef-d'oeuvre, c'est le don du dieu -
ou son simulacre. Le dieu n'est pas très content
qu'on voie tout cela, les manoeuvres des prêtres et
les coulisses du temple, la cuisine de l'au-delà.
Mais nous, lecteurs, nous le tenons, nous jubilons, nous
allons voir ce qu'il a dans le ventre. Dans un même
mouvement nous le démasquons et nous l'encensons.
Nous ouvrons ce livre.
Pierre Michon
Le dictionnaire du Littéraire,
Editions Puf, 2002.
Parmi la centaine de chercheurs
francophones qui ont collaboré à la réalisation
de cet ouvrage collectif, citons les auteurs travaillant
dans le cadre d'Universités suisses
- ADAM Jean-Michel, professeur à
l'Université de Lausanne
- COLLET Olivier, maître d'enseignement
et de recherche à l'Université de Genève
- FOEHR-JANSSENS Yasmina, professeur
à l'Université de Genève
- JACKSON John E., professeur à
l'Université de Berne
- LUCKEN Christopher, maître
de conférences à l'Université de
Genève
- MAGGETTI Daniel, maître-assistant
et chercheur à l'Université de Lausanne
- ROMAGNOLI Patrizia, assistante
à l'Université de Genève
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Extrait
de la préface |
Les notices comprennent, sauf
exception, trois parties principales :
- Une définition du domaine
ou de la notion en une dizaine de lignes au maximum. Elle
donne les principales acceptions du terme dans ses usages
ancien et contemporain, en mettant, selon les cas, l'accent
sur l'évolution du sens ou sur l'intérêt
de l'une ou l'autre acception.
- Un historique de la notion ou du
domaine, présenté de manière chronologique,
qui relate l'évolution du concept (de la chose
et non pas du mot). Le propos est illustré par
les oeuvres, les mouvements ou les repères les
plus connus ou les plus importants.
- Une problématique qui comprend
quatre parties - qui ne sont pas toutes obligatoires :
1) thématique (que recouvre, au total, la notion
?) ; 2) rhématique (comment elle en parle ?) ;
3) institutionnelle (dans quel champ, quelle est la légitimité
de la notion ou des débats qui portent sur elle
?) ; 4) épistémologique enfin (quel est
son lien avec d'autres objets ? Qu'en est-il de la notion
dans l'espace de la critique, et de son devenir ?).
L'ensemble de ces notations peut
faire apparaître un parti pris, une position engagée,
de l'auteur de l'article, mais toujours à partir
des données factuelles aussi précises qu'il
se peut.
Extrait de : Le dictionnaire du Littéraire,
Editions Puf, 2002.
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Extrait de presse |
Le littéraire
entre les mailles du filet
Fruit de quatre années de
travail, Le Dictionnaire du Littéraire a été
réalisé par une centaine de chercheurs francophones
sous la direction de Paul Aron (Bruxelles), Denis Saint-Jacques
(Laval) et Alain Viala (Paris/Oxford). Ceux-ci l'ont promis
à un usage diversifié : à la fois usuel
pour public amateur et spécialisé, mais aussi
mise au point théorique sur le vaste domaine du "littéraire"
[...]
Sans doute la plus grande nouveauté
de l'ouvrage réside-t-elle dans une série
d'articles absents d'autres dictionnaires proches, qui décrivent
et retracent l'impact d'institutions et de pratiques décisives
quant à l'évolution littéraire. Ainsi
des entrées comme "Cafés littéraires",
"Sociabilité littéraire", "Littérature
engagée", "Internet", "Poète
maudit", "Périodisation" ou "Génération
littéraire".
[...]
Le dictionnaire du Littéraire,
(dir. Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala),
Paris, PUF, 2002, 672 p. 77 FS, 45 Euros jusqu'au 31 août
2002, puis 55 Euros.
Jérôme Meizoz
Samedi Culturel - 25 mai 2002
Page créée le 27.05.02
Dernière mise à jour le 27.05.02
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