Quand avez-vous ressenti le besoin
décrire et pourquoi ?
Jai toujours eu besoin décrire.
Pour exprimer, communiquer, fixer les choses. Mais entre
écrire et publier, il y a un monde, et de nombreuses
années.
Quels sont les auteurs que vous appréciez
particulièrement ? De quelle façon vous ont-ils
marquée ? Sont-ils présents, en filigrane,
dans vos écrits ?
Flaubert, Hugo, Proust, Aragon, entre
autres. Les latino-américains contemporains comme
Vargas Llosa, Bryce Echenique, García Marquez
Je crois quAragon ma beaucoup « inspirée
» en tout cas dans ma réflexion sur lécriture
et sur le style. Son livre Les Incipit a été
une révélation pour moi à ce propos.
Parlez-nous de "l'acte créateur":
quels processus suivez-vous pour écrire? Quel est
pour vous le lieu propice à l'écriture?
Je ne peux pas dire grand-chose de
lacte créateur. Lécriture simpose,
ce qui ne veut pas dire quelle soit aisée ou
automatique. Je travaille au contraire énormément.
Mais ce qui fait que « ça marche » ou
pas méchappe. Il y a un très long processus
de maturation. Jécris de préférence
la nuit, le soir très tard. Avec mon stylo plume.
Dans la solitude.
Certains thèmes semblent vous
appeler : quen est-il ?
Ça, tous les lecteurs peuvent
répondre mieux que moi. Lengagement politique,
lHistoire qui traverse les histoires individuelle,
le vieillissement du corps, le souvenir, la passion, la
mort, Paris, mon quartier, lamitié des femmes
Bon. Cest du pêle-mêle, mais je ne peux
pas me liver à une analyse thématique de ce
que jécris. Trop long et fastidieux.
Vous dites souvent que le rôle
dun écrivain nest pas de se dire, de
« mettre ses tripes sur le papier », mais bien
plutôt de « dire » la société
qui lentoure, le monde dans lequel il vit
Oui, je dis ça. Et je le pense
! Je déteste la veine purement autobiographique,
même si je pense que lautobiographie nourit
toujours la fiction romanesque. Mais je fais mienne la phrase
de Malraux « quimporte ce qui nimporte
quà moi ». Pour reprendre le titre d'un
texte en forme de boutade que je viens de donner à
la revue belge "Balises" : «Je suis un écrivain
du XIXe siècle.» C'est à dire que je
crois à la responsabilité sociale et politique
-au sens large- de l'écrivain, et même de l'artiste
en général.
Vous publiez exclusivement chez Campiche
: heureux hasard ou choix délibéré
?
Choix absolument délibéré,
ou lévidence (cest de loin le meilleur
éditeur de Suisse romande, tant du point de vue de
la qualité de son travail que de lattention
quil porte à ses auteurs) se joint à
lamitié et à la fidélité.
Votre livre intitulé Le Temps
des cerises semble vous tenir tout particulièrement
à cur
Pas plus que les autres
Mais
comme les gens laiment bien, ils men parlent
souvent. Cest aussi celui qui pose le plus de questions
politiques. Mais jaimerais bien quon me parle
aussi des autres, en particulier de Septembre qui na
pas été compris à mon avis par pas
mal de gens dans les milieux de la critique ou de la lecture
professionnelle.
Comment vous est venue lidée
décrire LItalienne ?
En rencontrant MR De Donno. MR De
Donno est quelqu'un d'extraordinaire et j'ai ressenti presque
tout de suite pour elle une admiration et une amitié
qui d'ailleurs ne se sont jamais démenties depuis.
J'ai pensé que je pouvais mettre ma plume au service
de ce qu'elle avait à dire. Et que cette histoire
pouvait intéresser beaucoup de gens.
Votre dernier ouvrage, Amour et autres
contes, sort ces jours de presse ; de quoi sagit-il
? Votre titre laisse supposer que lamour serait un
conte : comment faut-il lentendre ?
Comme ça
(vous avez parfaitement
compris le titre, bravo). Un conte de fée, un conte
à dormir de bout, un conte de bonne femme
Un
truc auquel on croit quand on est petit. Quon se raconte.
Un mensonge. Et aussi une merveilleuse histoire dont on
a besoin le soir pour sendormir... Il s'agit de textes
courts (plus deux textes plus longs) sur la vie, l'amour,
le désamour, l'amitié, les hommes....D'aucuns
trouveront cela bien léger. Je pense que la légéreté,
comme l'humour, est parfois une façon...polie de
dire le plus grave et le plus douloureux.
Quel constat tirez-vous de cette expérience
: écrire « sous la contrainte », dans
un style donné, avec des délais, etc ?
Cétait intéressant
et formateur. Mais épuisant, anxiogène. Jai
tenu 3 ans. Cest plus quassez. Mais ça
a débloqué quelque chose en moi.
En même temps que votre recueil
de nouvelles, Campiche sort un livre dun auteur argentin
dont vous avez assuré la traduction et que vous appréciez
énormément
Oui. Lauteur est Argentin,
sappelle Daniel Mayer. Il vit en Suisse depuis longtemps,
et cest un ami très cher. Dabord jadore
lespagnol qui est ma 2e langue, et la traduction littéraire
a été pour moi un défi à relever.
Ensuite, je connaissais ce roman depuis longtemps. Daniel
lavait écrit et jeté dans un tiroir.
Il la ressorti et je lai convaincu de me laisser
le traduire. Cest une histoire terrible, de lépoque
de la dictature militaire en Argentine, et qui a des bases
autobiographiques. A lire absolument. Le titre français
(si on peut dire) est Puerto final.
Nouvelles, romans, chroniques, porte-parole,
traduction : chaque nouvelle parution est une surprise ;
et impossible de vous attribuer un genre littéraire
particulier
Cest ça qui est marrant.
Je naime pas les étiquettes. Dans la vie non
plus
De façon
similaire, difficile de vous attribuer une identité
bien définie : Française exilée, Suissesse
dadoption, Hispanique de cur : vous sentez-vous
quelque part chez vous ? Ces composantes multiples servent-elles
votre écriture dune façon ou dune
autre ?
Je me sens chez moi dans mon appartement, avec mes livres
et mes chats. Je me sens chez moi à Paris, parfois
. Je me sens chez moi avec les gens que jaime, surtout
cela. Alors ça peut être partout, ou nulle
part, vous avez raison. Un peu suisse en France, très
française en suisse, partout un peu latino. Jexplique
les uns aux autres aussi, ça cest un rôle
décrivain. Un peu juive aussi, par moment,
face à lantisémitisme ou encore à
la honte causée par la politique israélienne.
Tout ce quon est sert lécriture. A condition
den faire autre chose.
Entretien réalisé par Line-Claude
Dayer et Sabine Leyat
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