Cristal d'Engadine
La célébration des Grisons
de Corinne Desarzens est un pur régal.
PROSE On lit vingt-cinq lettres sur
le mur blanc d'une maison de Basse-Engadine, « IL
MU. MAINT. ES. RAI. DE. L'ETERNITA », relevées
par Corinne Desarzens qui les traduit dans la foulée
(« Le moment est roi de l'éternité »),
et se les rappellera plus tard en accentuant « cette
note mineure, inconsolable, qu'on entend aussi en Irlande
et qui décline le sang, la faim, l'herbe, l'émigration
au loin, cette face sombre si bien brassée à
la volupté solaire du champ que j'en retiens moins
le regret que la légèreté »,
et voilà, tout est dit. Ou plutôt disons que
la mèche est allumée, après quoi l'on
n'a plus qu'à suivre le fil Bickford fulgurant à
travers prés « vert fluo » et par les
traboules des villages aux maisons « harnachées
de ferronnerie, bombées, griffées de dragons
», jusqu'aux petits paquets de poudre planqués
de loin en loin et destinés à la fois à
faire péter les clichés et à illuminer
la face cachée des choses.
Corinne Desarzens écrit en
général à plat ventre, par terre ou
dans l'herbe, mais elle dessine aussi (cinq ou six beaux
croquis émaillent d'ailleurs sa prose) et ce qu'elle
dit du dessin vaut pour son écriture: « Dessiner
met des yeux au bout des doigts, la vie se concentre, palpite,
le reste disparaît, et c'est un peu comme l'amour,
qui fait sortir de soi ... » De fait, tout ce qu'elle
écrit est plein d'amour, au sens de l'élan
curieux hors de soi et d'une curiosité qui sonde
le secret et l'âme des choses. Elle note ainsi que
les maisons grisonnes ont une petite fenêtre pour
laisser l'âme s'envoler, et que le mot secret désigne,
en langue romanche, les lieux d'aisance ...
Curieuse au point d'apprendre l'un
des cinq idiomes du romanche et de nous en servir au passage
une louche de chuintantes (« Tschinch chatschaders
van a chatscha da tschinch chamuoschs e tchinchtchient tschiervis
», ce qui signifie bien sûr « cinq chasseurs
vont chasser cinq chamois et cinq cents cerfs »),
Corinne Desarzens ne cesse de lier saveurs et savoirs, sensations
et sonorités verbales. Du même coup, elle nous
apprend des Grisons une foultitude de détails, et
par exemple qu'on y appelle les migrants hirondelles («
randulinas »), que les sauterelles d'Engadine sont
« vert pois » et qu'une certaine église
« pourtant minuscule a une antichambre avec une potence,
pour suspendre le gibier à bénir ».
Afin de lui rendre la pareille, gibier
de cette chasseresse au pied léger, le lecteur bénit
à son tour Corinne Desarzens qui lui a rappelé
que « les sirènes ne se montrent qu'à
ceux qui sont prêts à partir avec elles »
...
Jean-Louis Kuffer
20.01.2004
Corinne Desarzens chante les Grisons
[...]
Avec sa langue où chaque mot fait tableau, Corinne
Desarzens semble faite pour conduire à la découverte
d'un pays proche et lointain. Ses Sirènes d'Engadine
chantent et enchantent. Le désordre des chapitres
permet d'y mêler l'histoire à la géographie,
le particulier et l'universel sans que le lecteur s'y perde
trop. Il se sent juste un peu ballotté, comme dans
un vrai voyage. Normal donc que ce petit livre, illustré
par l'auteur, finisse dans une collection intitulée
Terre d'encre. Toutes les encres ne sont pas de Chine.
Etienne Dumont
17.11.2003
Page créée le: 03.05.04
Dernière mise à jour le 03.05.04
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