Une exposition - Des livres....
Le Musée d'ethnographie de
Genève se penche sur les rites que nos sociétés
ont développés pour faire face à la
mort. L'exposition entend offrir aux visiteurs la possibilité
de retrouver un savoir, qui, le jour venu, les aidera à
vivre le deuil.
La mort à vivre
Une exposition sur les rites funéraires.
Voilà qui peut fasciner, intriguer ou rebuter. Avec
son parc plongé dans les douceurs automnales
on pourrait aisément y imaginer un tombeau, le lieu
d'une dernière demeure - l'annexe de Conches du Musée
d'ethnographie de Genève semble le lieu idéal
pour réfléchir sereinement à notre
façon de faire face à la mort. Rarement une
exposition a pris ses visiteurs aussi directement à
partie. Elle lui adresse des questions. Pas moins de trente:Comment
annoncer la mort d'un proche? Quelle entreprise de pompes
funèbres choisir? Quelle cérémonie
prévoir? Peut-on garder le corps à la maison?
Que peut-on mettre dans le cercueil?
Ces questions, posées en vrac,
telles qu'elles surgissent à la mort d'un proche,
sont inscrites sur les fines lattes de bois d'une paroi
ajourée, qui dans la scénographie de l'exposition
signée Bertola casse l'espace en deux: d'un côté,
la reconstitution d'un appartement ramène à
la vie, de l'autre, le lieu de l'accident, l'hôpital,
les pompes funèbres, signifient la présence
de la mort. Entre les deux, éventrant la paroi: un
cercueil. Parce que la mort est une catastrophe qui entre
dans la vie sans crier gare.
Avant cette présentation dramatique,
une pièce sert d'avant-propos, de mise en situation.
Elle nous replace dans le contexte d'où est parti
Bernard Crettaz, conservateur du Musée d'ethnographie.
Là, le sociologue a voulu une commode comme celle
que sa mère a ouverte un jour de son adolescence
dans le val d'Anniviers pour lui donner l'usage des nappes,
cierges et crucifix réservés pour les deuils
alors que son père lui a montré les fromages
et les vins conservés à la cave pour les repas
d'enterrements.
Le sociologue a retrouvé cette
initiation des années plus tard quand ses parents
l'ont livrée à l'anthropologue Yvonne Preiswerk,
qui deviendra son épouse. Elle étudiait les
rites funéraires en vue de son ouvrage, Le Repas
de la mort (Éditions Monographic, 1983). Aussi, le
couple allait-il être amené à investir
de longues recherches sur le champ de la mort. Pressé
par les Pompes funèbres de Lausanne, il allait en
effet fonder la Société d'études thanatologiques
de la Suisse romande, à laquelle participent théologiens,
personnel médical, accompagnants de fin de vie, et
bien sûr, employés de pompes funèbres.
Le projet de l'exposition est né
du souci de ne pas mêler les études de la Société
aux innombrables discours vains que suscite la mort depuis
quelques années. Bernard Crettaz et son assistant,
Christian DeIécraz, ont voulu offrir aux visiteurs
la possibilité de retrouver un savoir qui, le jour
venu, les aidera à prendre les bonnes décisions
à trouver les gestes appropriés, et surtout
à donner du sens à ce comportement. Ils leur
donnent à voir les symboles reproduits de génération
en génération dans nos sociétés:
le miroir que l'on retourne, la pendule que l'on arrête,
les objets que l'on glisse auprès du corps dans le
cercueil, les cierges que l'on allume...
Chacun prend son sens dans un théâtre
social, selon une grammaire symbolique dont il faut connaître
les bases "Les rites funéraires s'inscrivent
dans un moment entre deux temps, un passage essentiel de
lêtre qui touche au sacré, quelle que
soit la croyance", souligne Bernard Crettaz . Le discours
peut paraître évident. Pourtant, depuis la
guerre, les rites habituellement observés dans nos
régions sont tombés en désuétude.
Les vivants ont largement confié leurs morts aux
professionnels De nouvelles formes cérémoniales
sont apparues, qui tendent à escamoter le cadavre,
la vérité de la mort. C'est pour aider chacun
à se réapproprier ce moment, à vivre
le deuil, inévitable, que l'exposition a été
conçue.
"A travers toutes les civilisations
il a toujours fallu assagir le pouvoir des morts".
Ainsi, grâce à la participation active des
conservateurs du musée, l'exposition montre d'autres
façons de vivre la mort, toutes fortement empreintes
de symbolique. On passe ainsi de l'Afrique - avec notamment
cette forte présence d'Éros que révèlent
les sculptures funéraires malgaches - à l'Asie
-beaucoup d'Occidentaux sont aujourd'hui attirés
par la vision bouddhiste du trépas- et à l'Océanie.
Deux ouvrages, parus aux éditions
La Joie de lire, accompagnent l'exposition.
- La Mort
à vivre, illustrée par Bertola, est
une fiction destinée aux adolescents. Eugène
a imaginé les premières semaines de service
d'un jeune croque-mort dans la campagne vaudoise. Son
texte, nourri de témoignages, émeut véritablement.
- Dans le
Petit Manuel des rites mortuaires, Bernard Crettaz
et Christian Delécraz s'expliquent sur leur collaboration
avec une entreprise funéraire. Jérôme
Ducor, conservateur du Département Asie, propose
un abécédaire des rites funéraires
des grandes civilisations actuelles, pour mieux comprendre
leurs symboles. D'absoute à viatique, en passant
par décomposition et toilette mortuaire.
Le livre se termine par un texte
de Christophe Gallaz, " La mort d'Yvonne ". L'écrivain
raconte, avec pudeur et vérité, comment Bernard
Crettaz a dû ce printemps faire face à la disparition
brutale de son épouse. Comment, fort de tout son
savoir thanatologique, il a dû reconnaître dans
la profondeur de sa chair et de son âme qu'il n'était
pas préparé à cette mort. Il dit aussi
l'indispensable aide des proches pour dissoudre l'angoisse
et l'affolement. Le sociologue, l'homme en a tiré
une leçon: " Pour parvenir à s'y retrouver
dans l'immense désordre que crée la mort,
il faut une communauté: le pasteur, les pompes funèbres,
et surtout les amis. Le rite est un lien, un dialogue fondamental
avec la personne qui s'en va. Et pour l'assurer, les amis
sont importants."
Elisabeth Chardon
30.10.1999
Musée d'ethnographie, annexe
de Conches, chemin Calandrini. Tél. 022 346 01 25.
Mardi de 10h à 17h. Jusqu'au 9 avril 2000.
Page créée le: 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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