Marius Daniel Popescu
Arrêts déplacés, Editions
Antipode, 2004, 139 pages
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Marius Daniel
Popescu dans nos pages consacrées
aux auteurs de Suisse
Marius
Daniel Popescu / Arrêts
déplacés |
ISBN : 2-940146-48-9
|
L'objectif poétique
de Marius Popescu consiste à faire entendre,
à faire voir. On part à la découverte
sensorielle des objets qui nous passent sous la main,
sans discrimination, et de là, on s'envole
vers des univers plus intérieurs. On ne fait
plus de différence entre une parole banale
et une parole significative, entre un personnage insipide
et un personnage pittoresque, entre un événement
futile et un événement dramatique. Tout
geste, toute parole, toute incidence de la vie contiennent
bien une infinité de données, alors
pourquoi sélectionner, pourquoi hiérarchiser
?
(Extrait de la préface de René-Luc Thévoz)
Marius
Daniel Popescu est né en 1963 à
Craiova, ville du sud de la Roumanie, capitale de
district. Jusqu'à ses 14 ans, il vit en alternance
avec ses parents, ses grand-parents et le frère
de sa mère puis il part au lycée de
sylviculture, dans une autre ville. Après l'armée,
il fait la Faculté de Sylviculture et Exploitations
forestières de Brasov ou, vers la fin de ses
études, participe à la chute du régime
de Ceausescu; peu après le changement du régime,
il fonde dans cette ville l'hebdomadaire "La
réplique" qu'il dirige jusqu'à
son départ pour la Suisse: il est venu chez
nous avec une suissesse rencontrée en Roumanie
et c'est avec une autre suissesse qu'il vit à
Prilly depuis bientôt huit ans; il n'a jamais
demandé asile politique.
Marius Daniel Popescu, Arrêts
déplacés, Editions Antipode, 2004
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A
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Marius Daniel Popescu
Arrêt déplacés
Textes lus par Julien
Burri
Sonorisés par Pierre Lepori
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10
questions à Marius Daniel Popescu
(Pierre Lepori) |
Dans la préface de votre livre, René-Luc
Thévoz affirme: "Ces poèmes ne nécessitent
aucune culture littéraire, ne font référence
à aucun mouvement esthétique ou philosophique,
et ne prétendent donc pas organiser leurs lecteurs
en deux classes, ceux qui comprennent ce qu'on leur dit
et les autres". Pourtant, vos poèmes présentent
une savante construction, un rythme qui s'appuie fortement
sur l'allitération, une attention aux "deuxième
niveau" de l'écriture, qui témoigne d'une
solide culture poétique, et même de références
à la poésie française et européenne
(je pense à Guillevic, par exemple). Assumez-vous
cette vision "anti-littéraire" que le préfacier
vous prête?
J'assume très bien cette vision
"anti-littéraire": ma poésie se
situe souvent "sur le tranchant du couteau", elle
se nourrit dans ce que certains appellent "le banal",
elle montre un "sacré" souvent ignoré;
René-Luc Thévoz voit ici ce que lui et moi
partageons depuis bientôt quinze ans: les sujets littéraires
se trouvent PARTOUT ("vulgarisation" et/ou "exaltation"
des perceptions du poète?); les "formes",
les "styles" littéraires "simples"
font que le lecteur de poésie n'a pas forcement besoin
d'une "spécialisation littéraire"
pour lire et vivre la poésie. Je prends cette vision
"anti-littéraire" comme un compliment,
j'écris et j'assume toutes les critiques.
Comment vous situez-vous par rapport
à la poésie francophone contemporaine? Y-a-t-il
des poètes ou des auteurs qui vous ont marqué
particulièrement, desquels vous vous sentez proche?
C'est à des gens comme vous
de me situer, de me placer dans l'univers de la poésie
francophone contemporaine. Je suis trop pris par ce que
j'écris pour me définir tout seul dans un
univers poétique vaste, complexe et en mouvement
perpétuel. Il y a une bonne centaine de poètes
et encore une bonne centaine de prosateurs qui m'ont marqué
et qui continuent de me marquer dans le travail d'écriture;
ils viennent de toutes les régions du monde et de
toutes les époques. J'ai un grand respect pour tous
ces poètes et prosateurs et je n'ose pas citer l'un
d'entre eux sans penser à tous les autres; comme
la liste risque d'être longue, je ne cite personne,
je les garde en moi, avec moi, pour toujours.
Dans vos poèmes on perçoit
un balancement perpétuel entre la "transcription"
d'une réalité brute - avec les mots des passagers,
les lieux et les objets - et une ambition plus "structuraliste",
non dépourvue d'ironie, qui nous offre des jeux de
mots, des "spatialisations poétiques" sur
la page (ou alors l'utilisation d'un bout de papier, avec,
en marge, "la somme des factures à payer"):
Quel est votre rapport à l'écriture, au réalisme
et à la distanciation?
Il n'y a pas, il n'existe pas une
définition de la réalité qui soit unanimement
acceptée. Il existe, peut-être, autant de définitions
de la réalité que d'individus humains ou de
planètes dans l'univers. Moi, je vadrouille entre
plusieurs perceptions du monde, entre plusieurs définitions
de la réalité, je me promène dans le
religieux, dans l'artistique, dans le scientifique, dans
le politique, je prospecte dans les cinq sens et, parfois,
je rencontre même l'absurde. Puis, j'écris.
Les lieux sont très présents
dans vos textes: des arrêts de bus, des lieux lausannois
sont nommés avec précision (bien qu'en n'utilisant
jamais de majuscules). Avez-vous un rapport particulier
aux lieux, à votre ancrage dans la ville de Lausanne,
où vous vivez et travaillez depuis 1990?
Oui, les lieux me touchent beaucoup,
je suis aussi très touché par les baptêmes
de ces lieux, par les noms propres ou communs. Un coin de
table, un bout de banc ou de chaise sont pour moi des lieux
aussi importants que la rue Floréal, que la ville
de Prilly ou celle de Lausanne.
Le trolley-bus est une constante
de votre paysage d'écriture: considerez-vous le travail
de chauffeur des TL votre principale source d'inspiration
poétique?
Non, mon travail de conducteur de
bus ne constitue de loin pas ma seule source d'inspiration.
Je m'inspire sans arrêt et partout et de tout, peut-être
même que je m'inspire un peu trop.
Votre langue est très libre,
sinueuse et coquine: vous n'hésitez pas à
utiliser des mots locaux (la jaquette, par exemple) ou à
tordre un peu la syntaxe à des fins expressives.
Quel est votre rapport à la langue française
et pourquoi avez vous décidé d'en faire votre
idiome littéraire? Ecrivez-vous encore en roumain?
Avez vous envie parfois de traduire ces textes français
dans votre langue maternelle (et d'enfance)?
La langue française est devenue
pour moi une sorte de sur jumelle avec laquelle je
partage les impressions sur tout ce que je vis, sur tout
ce qu'elle et moi rencontrons dans la vie de chaque jour.
J'écris toujours en roumain, ma langue maternelle
me permet d'explorer d'autres territoires poétiques,
j'ai quatre livres publiés en roumain et, bien sûr,
j'aimerais voir traduits en roumain mes livres écrits
en français et vivre la traduction en français
de mes livres écrits en roumain.
Quel rapport avez-vous avec le
milieu littéraire suisse (et romand)? Trouvez-vous
des stimuli culturels dans notre pays (où "ils
sont capables d'inventer la bière en poudre")?
Gardez-vous des contact avec des écrivains de votre
pays?
Le milieu littéraire romand,
je l'ai connu tout d'abord grâce à René-Luc
Thévoz, Michel Layaz et Dominique Brand. Puis il
y a eu la rencontre avec l'éditeur Claude Pahud et,
ensuite, la grande rencontre avec Jean-Louis Kuffer qui
est pour moi une sorte de parrain littéraire à
qui je dois beaucoup. Les trois premiers m'ont initié
à la littérature romande, le quatrième
m'a publié deux livres et Jean-Louis Kuffer m'a donné
et me donne toujours l'envie d'écrire de la prose,
le désir de connaître le plus possible sur
les gens, les lieux et la littérature d'ici et d'ailleurs.
Grâce à ces cinq personnes, je suis fier de
pouvoir lire et écrire en français, je suis
content de pouvoir serrer la main de plusieurs femmes et
hommes qui écrivent ou qui s'occupent de la littérature
dans ce pays. Je garde des contacts avec des écrivains
de mon pays, je garde même de très bons contacts
avec mes amis de là-bas. Alexandru Musina, Gheorghe
Craciun, Romulus Bucur et Calin Vlasie sont des auteurs
roumains que je vais garder près de moi toute ma
vie.
Les souvenirs de votre pays sont
assez rares dans vos textes. Ecrivez-vous une poésie
de l'instant présent, bien ancré dans votre
quotidien (lieux et temps)? Et comment dans ce contexte,
travaillez-vous à vos textes: sont-ils couchés
sur papier dans l'urgence, avec beaucoup d'immediateté?
Les retravaillez-vous après coup, et avec quelle
"méthode"?
Oui, il y a une sorte de "poésie
du quotidien" qui prédomine dans ces arrêts
déplacés mais ailleurs, dans d'autres textes,
écrits en prose et publiés dans les journaux
"Le Passe-Muraille" et "le persil",
je recours à mes souvenirs roumains. Pour le travail
des textes, je prends d'abord quelques notes sur un carnet
que j'ai habituellement sur moi. Puis il y a le travail
sur ces notes. Certaines notes prennent des mois afin de
se voir encrées en texte littéraire, d'autres
notes ont besoin seulement de quelques minutes. Quant à
la "méthode" de travail de mes textes en
fait j'en ai plusieurs. Je m'efforce de ne pas les définir,
je prends plaisir à les découvrir, à
les vivre, à les exercer. Je me permets même
de les oublier.
Bien que très rythmés,
portés par une sorte de mouvement interne - une petite
musique tout à fait reconnaissable -, vos textes
s'étirent souvent jusque vers la prose (non seulement
au niveau stylistique; dans les thèmes aussi, avec
des petites histoires, comme celle touchante du ver dans
un noyau). La distinction entre prose et poésie a-t-elle
un sens à vos yeux?
Oui et non! La distinction entre
poésie et prose vient quand je dois décider
dans quel registre de ces deux catégories j'aimerais
placer un texte. La disparition de la limite entre la poésie
et la prose arrive quand je "perçois" le
"sujet" et quand je le "LIS" en moi-même.
Ici il n'y a pas de barrière. Je peux dire aussi
que le plus beau roman du monde est un seul mot et que la
meilleure poésie du monde est celle où se
trouvent tous les romans écrits sur la planète.
A partir de janvier 2005 vous
publiez un journal mensuel "Le Persil", qui a
cette particularité: touts les textes sont de votre
cru (il y en a, entre autres, qui se retrouvent dans Arrêts
déplacés (Made in rue Floréal, par
exemple): pourquoi ce projet? Comment s'insère-t-il
dans votre travail d'écriture - dans quel rapport
avec "le livre"?
"le persil" est à
la fois un journal et un livre qui n'est pas habituel; je
fais ce journal pour simplement écrire, pour m'exprimer
avec mon écriture, pour m'exercer à l'écriture,
pour me présenter aux autres en tant que poète
et écrivain. "le persil", c'est une aventure,
c'est du travail et c'est une prison. "le persil"
est un clin d'il aux mots, à la langue française,
à la littérature, c'est de l'amour pour les
lecteurs et ceux qui apprécient particulièrement
la découverte et l'invention.
Propos recueillis
par Pierre Lepori
© LeCultur@ctifSuisse,
mars 2005
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Revue
de presse |
Une fois n'est pas coutume : commençons
par la fin. Il y a la table des matières, à
elle seule tout un poème ; des titres en embuscade
(" Bibelot en embuscade ", comme le formule
l'un d'entre eux), " petits grains " (autre
titre dispersé çà et là) semés
comme des énigmes et renvoyant à des textes
aux allures de quotidien, de vie laborieuse, de vie de la
rue, de vie familiale. Juste avant la table, il y a "
Le tueur de livres ", nouvelle-poème dans laquelle
un lecteur impitoyable, qui expose dans son appartement
les dépouilles de ses victimes, proclame que "
n'importe qui peut comprendre qu'un livre peut brûler
les gens ". [
] La vie est là : pas
d'autobiographie dans ces poèmes, pas d'états
d'âme de l'exilé venu de l'Est (si tant est
que l'origine de l'auteur corresponde à ce que suggère
la consonance de son nom), mais une biographie plurielle,
visuelle et auditive, sensible et sentimentale, tendre et
cruelle. Certains textes sont des miniatures, décomposant
la banalité des actes humains pour en extraire l'essence
poétique, relatant en quelques phrases tel petit
fait, telle conversation de coin de rue, telle confidence
d'entre deux arrêts, tel rêve aussi qui vient
colorer le réel citadin de visions oniriques et d'humour
léger. D'autres utilisent le blanc de la page, en
des figurations où le verbe s'associe au graphisme
abstrait pour remplir l'espace, entre horizontalité
et verticalité. Ailleurs encore, les mots se bousculent
en collages, en listes, en inventaires compacts.[
]
Jean-Pierre Longre
Février 2005
Dans l'amical préambule à
ce nouveau recueil de Marius Daniel Popescu, René-Luc
Thévoz prétend que la démarche du Roumain
établi à Lausanne " n'est pas de la littérature
", ce qu' on admettra à la rigueur dans la mesure
où cette écriture est toute de simplicité
apparente, mais risque de confiner l'auteur, conducteur
de bus atypique et auteur unique du journal Le persil, dans
les marges du pittoresque. Plus judicieux, le préfacier
précise ensuite que " l'objectif poétique
de Marius Popescu consiste à faire entendre, à
faire voir ". Et d'ajouter qu' " on part à
la découverte sensorielle des objets qui nous passent
sous la main, sans discrimination, et de là, on s'
envole vers des univers plus intérieurs ". De
fait, c'est à partir des " événements
" les plus anodins en apparence, que le poète,
employé aux transports lausannois, compose ce collage
de sensations et d'émotions dont le premier mérite
est de rendre aux mots leur densité première,
comme par le truchement d'un rituel. Telles des " cellules
" poétiques, une suite de petits grains (d'un
à onze) cristallisent des instants simultanés,
du plus simple (" toutes / les femmes / sont / belles
") à de plus complexes intersections, comme
pour faire percevoir tout ce qui se trame à la même
seconde, ici et partout. De la chose vue à l'émotion,
il suffit parfois d'un lien de mémoire comme celui
qui associe, " événement rare dans ces
contrées ", ce chien noir et sans laisse errant
en ville et l' " un des passages de ta grand-mère
parmi une foule d'hommes qui buvaient des bières
debout "
Arrivé en Suisse en 1990, Marius
Daniel Popescu pratique notre langue avec une étonnante
maîtrise, alternance de limpidité et de baroquisme
inventif, en usant (et parfois en abusant) de procédés
formels ou typographiques rappelant les expériences
lettristes. Pourtant le noyau vif de cette poésie
doit moins aux " trucs " qu' à la perception
fraîche (" quand / la pluie sursaute autour de
toi / comme une gitane ") et à l'accueil de
" cela simplement qui est ", selon l'expression
d'un Cingria, restituant la présence des proches
(les enfants, la compagne ou les amis), de telle vieille
dame assise à la gare de Lyon, de tel moribond étendu
sous un drap blanc au pied d'un immeuble, de toutes ces
vies qui se croisent (" de plus en plus de gens qui
parlent seuls "), et l'on oscille du minimal haïku
aux plus amples coulées de La sept ou du Tueur de
livres, dans une atmosphère d'intimité collective,
si l'on ose dire, rappelant un peu la poésie d'un
Raymond Carver (Travail manuel ou Big-bang en sont de bons
exemples) ou les icônes profanes d'un Charles Bukowski.
Parfois insuffisamment transposée, la matière
poétique de ces Arrêts déplacés
n'en est pas moins habitée et frémissante,
fraternelle en son regard et généreusement
accessible à tout un chacun, comme l'était
celle d'un Prévert. D'ailleurs " les paroles
dorment sous les gouttes d'eau comme des moineaux ",
écrit Marius Daniel Popescu, dont les pépites
du verbe étincellent dans le tout-venant des jours.
J.-L. K.
15.02.2005
Marius Daniel Popescu en est persuadé:
la poésie est partout. C'est une question de regard.
Cet ingénieur forestier, venu de Roumanie en 1990,
s'applique à la débusquer dans les moindres
éléments qui font la vie de tous les jours:
tickets de caisse, instantanés, choses vues ou entendues.
Et comme il conduit les lourds trolleybus lausannois du
haut en bas de la ville, il en voit et en entend beaucoup.
[
] L'ouvrage a été publié grâce
à un subside des Transports publics lausannois, un
exemple original de sponsoring de poésie! [
]
Jamais de jugement ou de prise de position: des constats,
parfois des souvenirs d'enfance, des réminiscences
du pays qui se glissent dans la vie d'ici comme elle va.
Dans Le Persil, Popescu s'adresse au lecteur, comme il le
fait souvent: "Je parle de vous/et/ vous parlez de
moi,/sans qu'on se demande la permission,/on est de drôles/de
machines à écrire." Lui, en tout cas,
est un drôle d'enregistreur du quotidien. A peine,
parfois, un dérapage vers l'absurde ou l'étrange,
telle l'histoire de ce "Tueur de livres" qui a
peur du pouvoir du langage et qui ne brûle "que
les livres qui [le] brûlent". Et qui s'en explique:
"C'est ma manière de juger les mots, c'est ma
façon de voter."
Isabelle Rüf
19 janvier 2005
Page créée le: 28.02.05
Dernière mise à jour le: 04.03.05
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