Marie Jeanne Urech
La Salle d'attente, Vevey, Ed. de l'Aire, 160 pages

Marie Jeanne Urech / La salle d'attente

Il y a le vent du Nord. Venu de si loin et qui n'apporte pourtant aucune nouvelle Il y a Lucille, qui attend, embaumée dans sa robe nacrée Il y a le père Nodes, visiteur des morts qui, comme chaque visiteur, n'est là que de passage Il y a l'église au milieu du village et un dieu qui protège les fesses Il y a la mère. Femme d'humeur égale à qui rien ne peut arriver, puisqu'elle en a décidé ainsi Il y a le chocolat, qui rend gai et fait pousser les poils Il y a Saturne et Pluton. Frères séparés par des années-lumière et pourtant si proches Il y a le Saisonnier. Petit serviteur du temps, hélas à mi-temps Il y a les démangeaisons de cinq heures et les rires bêtes de quatre heures Il y a les cochons, mais surtout leurs jarrets, leurs groins et leurs côtelettes Il y a le petit Yapaklou, qu'on appelle comme on veut. Le plus souvent Bébé Il y a l'Assistant, qui sans son fouet, n'est plus grand chose Il y a les vieux-pancartes. Armée de moribonds inoxydables qu'il neige, vente ou pleuve Il y a les pluies liquides, cristallisées, évaporées, mais quotidiennes Il y a Lucille, qui attend, à l'abri de sa chrysalide en bois Et puis, il y a le cimetière.

Marie-Jeanne Urech: naît en 1976, l'année de l'autre canicule, à la clinique " la Source " pour compenser le manque d'eau. Papiers encadrés au-dessus du lit : Licence en Sciences Sociales (Lausanne, 1998), Diplôme britannique de réalisation (London Film School, 2001). Tête partagée en deux moitiés égales : réalisation de documentaires et écriture.
Ecriture : Foisonnement dans l'air, Vevey, Editions de l'Aire, 2003 (nouvelles); La Salle d'attente, Vevey, Editions de l'Aire, 2004.
Short Films : Silence (1995); Le goûter de Valflora (1997) Autour du giratoire (1999) ; Dust To Dust (2000), When Pigs Fly (2001).
Documentaires : Sorry, No Vacancies (2001); Le mammouth céleste (2002); Monotone, mon automne? (2005).

La Salle d'attente, Vevey, Ed. de l'Aire, 160 pages

 

Marie-Jeanne Urech répond aux questions de Brigitte Steudler

Le Cultur@ctif, suite à la parution récente de La Salle d'attente a souhaité à nouveau s'entretenir avec vous espérant convaincre nos lecteurs de se laisser emmener dans votre univers fantasmagorique, si particulier et si personnel. Afin de mieux vous connaître pouvez-vous nous parler des auteurs dont vous vous sentez proches ? Et, puisque vous réalisez également des documentaires, quels sont les films et réalisateurs qui auraient exercé un attrait sur vous au cours des années passées ?

J'ai été marquée à quinze ans par Boris Vian. Après Hugo, Zola et Molière qu'on nous sert généralement à cet âge, la découverte de Vian a été une fenêtre sur un nouvel univers avec lequel je me suis tout de suite sentie en symbiose. L'univers des objets animés, de l'absurde et du tout-est-possible. Le premier livre, c'était L'Ecume des jours , mais je lui préfère encore L'arrache-Cœur. Ensuite, le monde de Kafka me plaît énormément. Particulièrement, Le Château. J'ai constaté que je ne me rappelais jamais vraiment ses histoires. C'est l'atmosphère qu'il crée qui est importante et inoubliable. Et puis un style très simple, clair et efficace. Avec aussi ses touches de surréalisme (notamment dans Le Procès) qui en font pour moi un avant-gardiste du genre. Il y a aussi Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude. Là c'est le foisonnement d'idées, la couleur, l'abondance. En un claquement de doigt les personnages meurent, naissent, tout va très vite. Maupassant, les nouvelles en général et Bel-Ami pour les romans. Le roi de la chute. D'une cruauté salvatrice. Un style aussi très simple et efficace. En deux mots, il dresse une description bien cynique et critique. Et qui n'a pas pris une ride. Allessandro Baricco, Océan mer . J'ai trouvé ce livre très poétique, très original. Il crée aussi toute une atmosphère en quelques mots.

Pour les films, c'est Kusturica avec Le temps des gitans. C'est un film où on rit et pleure dans la même scène. Je trouve que le mélange de sentiments est important, car dans la vie c'est ce qui arrive. On peut rire à un enterrement, pleurer à son anniversaire et dans la même minute avoir cinq sentiments différents. J'aime Fellini pour la générosité et la non-normalité de ses caractères, (E la nave va particulièrement). Truffaut pour ses dialogues et son observation très fine des relations humaines (Baisers volés et Domicile conjugal) et tant d'autres….

Ma deuxième question a trait aux relations particulières (que l'on devine empreintes de tendresse et d'affection très déguisées) que vous semblez entretenir d'une part avec les personnes âgées (personnages centraux de votre premier recueil de nouvelles Foisonnement dans l'air) et d'autre part avec la mort omniprésente au travers du travail accompli (et décrit de façon quasi burlesque) par la famille de croque-morts dans La Salle d'attente.
N'imaginez-vous pas de prime abord pouvoir choquer facilement une partie de vos lecteurs ?

A propos des vieux (c'est plus court à dire que personnes âgées et je n'y vois pas quelque chose de péjoratif) : réjouissez-vous, il n'y a pas que dans mes livres que j'en parle, mais aussi dans mes documentaires. Le dernier en date Monotone mon automne ? est d'ailleurs exclusivement consacré au 3e (voir au 4 e) âge, puisque j'ai suivi pendant une année trois octogénaires. Pour info, le film sortira au festival documentaire Visions du Réel de Nyon en avril. Je ne m'explique pas pourquoi cet intérêt pour eux. J'ai eu des parents relativement âgés, frères et sœurs bien plus vieux que moi, j'ai assez connu mes grands-mères pour les voir baisser jusqu'à ne plus reconnaître leurs enfants, mais beaucoup de gens ont vécu cette situation et ne sont pas marqués comme moi. Alors pourquoi cet intérêt ? Peut-être parce que j'aime bien m'attacher aux gens dont on parle jamais. Or les vieux, ce n'est pas très "sexy" pour prendre un terme à la mode et vendeur. Peut-être aussi parce que je suis admirative devant ces gens qui ont atteint un âge avancé. Il faut beaucoup de courage pour arriver à huitante ans. Quant à la mort, malheureusement elle est fortement liée à ce sujet. Personnellement, je n'ai pas peur de ma propre mort, mais plutôt de celle des autres, de mes proches. J'imagine qu'en parler et la tourner en dérision aide à l'accepter. Espérons !

Pensez-vous que vos études poursuivies (délibérément ou non ?) en Angleterre ont pu à ce point vous imprégner d'une mentalité si différente une fois la Manche traversée ? Reconnaissez-vous dans La Salle d'attente avoir emmené vos lecteurs dans un univers fantastique plus anglo-saxon que latin en choisissant par exemple, et peut-être malgré vous, de mettre l'accent sur la dimension terriblement mouillée et humide de l'histoire, la viscosité, de même que la présence presque obsédante du porc ?

A l'origine, l'idée était de partir à l'étranger, voir autre chose. Ça aurait pu être la France, l'Allemagne. C'est finalement l'Angleterre où j'ai été acceptée pour mes études. Oui, le livre a été fortement influencé par Londres. En premier lieu, l'idée centrale : ce sentiment d'enfermement, d'être dans un endroit d'où on ne peut pas partir. Car à Londres, il n'y a pas d'espace. Tout est étroit, serré, sans vue et étouffant. J'avais constamment le sentiment d'être dans une boîte coincée sur une île avec l'impression que je ne rentrerai jamais chez moi. L'idée des vieux-pancartes, je l'ai racontée à la question deux. Les croque-morts sont aussi d'origine britannique, car à Londres chaque quartier a son funeral store. Celui de mon quartier était tenu par John Nods and sons et je passais tous les jours devant en sortant du bus. Et j'allais oublier les cochons ! Ils m'avaient déjà inspiré pour un court-métrage de fiction. Car mon voisin avait l'habitude de donner des têtes de cochon en guise de nourriture à ses molosses. Il les plantait sur un pieu et les bêtes venaient les mastiquer. De ma chambre, j'avais la vue sur les ossements. Un vrai cimetière. Fatalement, cela marque ! Par contre, l'atmosphère climatique fait plutôt référence au Jura.
Donc oui, les ingrédients principaux du livre sont made in England et c'est vrai qu'il y a un certain humour anglais qui m'attire. Maintenant à savoir si c'est écrit avec une mentalité anglo-saxonne ! Je ne pense pas car le premier livre Foisonnement dans l'air a été écrit avant mon séjour à Londres et je pense que La Salle d'attente est dans la même veine. Si toutefois mon écriture a un style anglo-saxon, cela ne peut venir que de mon 16e de sang écossais. Je ne vois pas d'autres explications !

Appréciant beaucoup la nouveauté de votre style ainsi que la particularité de votre univers, je me demande malgré tout s'il vous est possible de vous imaginer pouvoir continuer de nombreuses années dans les deux voies que vous avez choisies, soit d'une part l'écriture (solitaire, intense et productive, deux parutions se suivant en peu de temps) et la réalisation de films documentaires (action collective à plusieurs composantes) ? Ou alors, quels sont les projets fous, secrets ou osés qui pourraient traverser votre esprit dans les années à venir et dont l'énoncé pourraient nous aider à mieux vous connaître ? Auriez-vous des modèles en matière d'écriture et de réalisation cinématographique auxquels il vous plairait de ressembler dans quelques années - en restant bien entendu convaincue que vous êtes unique et avant tout, vous, Marie-Jeanne Urech ?

Beaucoup de questions en une. Disons que toutes les questions liées au futur m'angoissent, parce que malheureusement, je nage dans une complète incertitude (et en plus je ne suis pas une bonne nageuse). Le désir de continuer est une chose, il dépend de moi et je continuerai jusqu'à ce que je fasse une syncope ou que je n'aie plus rien à dire, mais la concrétisation de ce désir en est une autre et elle dépend beaucoup du monde extérieur. En effet, je ne sais jamais si je vais obtenir les crédits pour un nouveau film, si l'éditeur va apprécier le manuscrit et le publier et même si j'obtiens les deux, je ne sais quand même pas comment payer mes factures à la fin du mois ; si je n'obtiens aucun des deux, je ne sais pas en quoi je pourrais me recycler et encore moins comment payer mes factures. Disons que dans le meilleur des cas, je sais ce que je ferai dans les six mois à venir et que j'aurai toujours une facture qui m'attendra quelque part. Alors devant ces perspectives charmantes, j'avance en évitant de me poser ces questions qui renvoient le reflet irrationnel de ma situation et je me dis que ce qui a été fait, c'est déjà tout ça de pris sur l'adversité. Eh oui, des fois les lieux communs ont une valeur curative.

Merci de me rappeler que je suis unique et que je suis moi, cela dissipe au moins quelques incertitudes. Je ne suis pas trop du genre à avoir des modèles.

Disons que mon projet fou pour le futur serait d'arriver à vivre de ces multiples activités tout en restant intègre dans mon travail et ma conception du monde. De manière plus concrète, je suis en train d'écrire un nouveau roman et j'ai un projet pour un nouveau documentaire. A part cela, je n'en sais pas plus !

Propos recueillis par Brigitte Steudler
© LeCultur@ctifSuisse, mars 2005