| Peter von Matt
 Sang d'encre, Traduit de lallemand par 
          Colette Kowalski, Editions Zoé, 2005, 352 p.
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 Retrouvez également 
          Peter von 
          Matt  dans nos pages consacrées 
          aux auteurs de Suisse 
           
            |   Peter von Matt / Sang 
                d'encre 
             |   
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                  |  
                      
  ISBN 2-88182-538-9   | 
                       
                        | Dans ce livre, Peter von Matt 
                            embrasse du regard la littérature suisse de 
                            langue allemande, de Gotthelf à Fritz Zorn, 
                            de Keller à Robert Walser, Frisch, Dürrenmatt 
                            et les contemporains Urs Widmer et Gerhard Meier. 
                            Ce regard nest pas seulement celui dun 
                            connaisseur et dun amoureux de la littérature, 
                            cest aussi celui dun citoyen doté 
                            dune conscience historique et politique. En 
                            Suisse plus quailleurs les écrivains 
                            peuvent être caractérisés par 
                            les temps de lhistoire.La violence est partout présente, même 
                            chez des poètes qui semblent en être 
                            si loin, comme C. F. Meyer ou Robert Walser. Une grande 
                            colère habite le «doux» Walser 
                            contre les papes de la critique quil soupçonne 
                            de condescendance à son égard.
 Les écrivains sont présentés 
                            de manière saisissante et souvent poétique. 
                            Car si ce livre est conçu par un spécialiste, 
                            il est écrit par un artiste.
   Peter 
                            von Matt, germaniste, professeur honoraire 
                            de lUniversité de Zurich, est considéré 
                            par le célèbre critique allemand, Marcel 
                            Reich-Ranicki, comme lune des meilleure plume 
                            de la Suisse alémanique.  Peter 
                            von Matt, Sang d'encre, Traduit de lallemand 
                            par Colette Kowalski, Editions Zoé, 2005, 352 
                            p.    |  |  |   
            | Sang 
              d'encre  (Par Carole Wälti) |   
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                  | Aujourd'hui quand nous lisons Stiller, le roman 
                      d'un querelleur pleurnichard empêtré dans ses 
                      peines d'amour privées, nous y reconnaissons soudain 
                      le diagramme d'une époque. Un pays s'installe dans 
                      le système des puissances mondiales, il se construit 
                      une niche dans le front figé de la guerre froide 
                      en prenant un peu parti par ci, en restant un peu neutre 
                      par là et en profitant un peu ici et là. Ce 
                      serait la chance historique de ce pays d'être un lieu 
                      de mouvement entre les fronts fixes et les idéologies 
                      militantes, un espace de pensée libre, hardie, où 
                      le regard plonge sans crainte devant et derrière 
                      dans les trous noirs de sa propre histoire. Mais on se soumet 
                      sans nécessité à toutes les pensées 
                      imposées et à toutes les interdictions, seulement 
                      parce que ne pas le faire pourrait coûter quelque 
                      chose. Anatol Stiller, le névrosé furieux 
                      et sanglotant, n'est pas en vérité une psycho-étude, 
                      mais il présente de façon exemplaire les tourments 
                      de celui qui veut rester vivant dans un monde sclérosé. 
                      [
] Et, des dizaines d'années plus tard, ce 
                      roman peut de nouveau mettre en garde ce même pays 
                      contre la tentation de se chercher aussi vite que possible, 
                      après une grave crise, une nouvelle niche bien tempérée, 
                      avec un besoin de penser réduit et des chances de 
                      marché accrues.
 Sang d'encre. Voyage dans la Suisse 
                      littéraire et politique, P. von Matt, éd. 
                      Zoe, 2005, p.258  La culture est "l'horloge qui 
                      révèle l'heure à laquelle (dans l'Etat) 
                      forme et chose ne coïncident plus". Empruntée 
                      à l'historien bâlois Jacob Burckhardt qui la 
                      formula au milieu du XIXe siècle, cette métaphore 
                      est reprise par le germaniste et professeur honoraire de 
                      l'Université de Zurich Peter von Matt dans l'un des 
                      essais rassemblés pour constituer son Voyage dans 
                      la Suisse littéraire et politique, récemment 
                      paru en français sous le titre Sang d'encre 
                      (Die tintenblauen Eidgenossen, 2001. Lauréat du Prix 
                      Charles Veillon en 2002).  Au pays de la précision et 
                      du coucou - autre gloire nationale dont Sang d'encre 
                      interroge le destin dans des pages des plus savoureuses 
                      -, il est en effet dangereux de cultiver le décalage 
                      et par là de mettre en évidence l'écart 
                      existant entre les structures établies, structures 
                      politiques surtout, et la dynamique réelle qui empreint 
                      la vie des citoyens. Or, de Gotthelf à Dürrenmatt, 
                      de Keller à Walser, de Meyer à Frisch, le 
                      fracas et la violence des révolutions et des guerres 
                      de ces trois derniers siècles résonnent dans 
                      la littérature alémanique - bien davantage 
                      que dans la littérature romande - et c'est à 
                      l'écoute de ce phénomène que s'est 
                      mis Peter von Matt.  Donnant à la constatation 
                      de Burckhardt un prolongement qui en souligne la pertinence, 
                      il invite à lire ces auteurs, ainsi que de nombreux 
                      autres moins connus, en rapport avec la substance du temps 
                      historique dans lequel leurs uvres s'inscrivent, substance 
                      qu'elles révèlent et, à des degrés 
                      bien sûr différents, contestent. Fondée 
                      sur l'un des mythes suisses parmi les plus éculés, 
                      l'assimilation de la culture à une horloge permet 
                      en fait de tracer, par-delà les limites temporelles, 
                      des parallèles par le biais desquels von Matt - et 
                      c'est là un des traits qui rend son ouvrage culturellement 
                      si précieux - nous aide à appréhender 
                      le présent dans toute sa complexité.  Ainsi, lorsqu'il remonte aux origines 
                      des légendes helvétiques autour des Confédérés 
                      et de la politique conséquente de neutralité, 
                      il montre en même temps ce que celle-ci doit à 
                      la bienveillance des nations limitrophes et renvoie du même 
                      coup aux infographies des téléjournaux de 
                      20 heures où la Suisse continue de faire littéralement 
                      tache au milieu de l'Europe. Qu'il nous parle du mythe de 
                      Tell - dont il a d'ailleurs effectué une lecture 
                      psychanalytique -, ou qu'il convoque les figures clés 
                      de la symbolique identitaire - d'Heidi au "bouêbe" 
                      -, Peter von Matt pratique une lecture vigilante et alerte 
                      qu'il enrichit de son érudition, sans jamais tomber 
                      dans l'académisme.  Pimenté de citations et d'anecdotes, 
                      son ouvrage est celui d'un "observateur de la littérature" 
                      au regard très avisé. Les essais consacrés 
                      spécifiquement à certains écrivains 
                      qui complètent son Voyage sont ainsi fort 
                      instructifs pour qui désire comprendre pourquoi le 
                      qualificatif d'insaisissable sied si bien à Robert 
                      Walser ou pour qui s'est interrogé sur le sens du 
                      mot "Stoff" prononcé si fréquemment 
                      par Dürrenmatt lorsqu'il parle de sa création. Peter von Matt, tout en accordant 
                      une large place aux représentants du "patriotisme 
                      critique" (Frisch, Dürrenmatt, Meienberg, etc.) 
                      qui ont contribué au "dégrisement" 
                      des années d'après-guerre et renouvelé 
                      l'idée que la Suisse se faisait de l'écrivain, 
                      invite les auteurs actuels à ne pas se laisser enfermer 
                      dans la fonction de producteurs de discours subversifs qu'on 
                      s'est habitué à leur voir remplir. Ils joueraient 
                      là en effet le jeu d'une écoute consentante 
                      mais jamais attentive au fond du propos et rateraient ainsi 
                      l'occasion de dire leur mot dans la définition nouvelle 
                      de la Suisse qu'exige un contexte mondial nouveau. Par Carole Wälti   |  |   
            |   Entretien 
                avec Peter von Matt (Carole 
                Wälti) |   
            | 
                 
                  | - Vous placez votre Voyage dans la Suisse littéraire 
                      et politique sous le signe de l'Histoire et montrez 
                      que les grandes dates - 1830, 1848, 1870, 1939-1945 - résonnent 
                      dans les écrits de la plupart des auteurs alémaniques 
                      qui en livrent d'une certaine manière les vérités 
                      cachées. Dans quelle mesure Gotthelf ou Keller ont-ils 
                      joué le même rôle de "pourfendeur 
                      de mythe" qu'a indéniablement joué Frisch 
                      ?
 Peter von Matt : Du temps de Gotthelf 
                      et de Keller, le problème des mythes nationaux se 
                      posait de façon complètement différente. 
                      La Suisse, en plein Sonderbund, traversait une crise existentielle. 
                      Le Conseil fédéral de la nouvelle Confédération 
                      de 1848 était composé de membres issus d'un 
                      parti unique, le parti radical. Il était aussi nécessaire 
                      de consolider l'unité du pays, ceci autant dans le 
                      camp des vainqueurs que dans celui des vaincus. C'est à 
                      cela qu'a servi la coalition des héros nationaux 
                      communs. Bien qu'ennemis politiquement, Gotthelf et Keller 
                      ont favorisé ces images et ces légendes nationales. 
                      C'est aussi à cette époque que les monuments 
                      importants ont été érigés en 
                      Suisse, ceci pour la même raison. - A plusieurs reprises, vous évoquez, 
                      dans une perspective qui rappelle celle de Kundera, l'oubli 
                      qui menace la littérature, oubli face auquel vous 
                      préconisez des "stratégies du souvenir". 
                      Quels sont les processus qui en Suisse amènent un 
                      auteur à finir dans ce que vous nommez avec beaucoup 
                      d'à-propos l'"Alpenglühen littéraire" 
                      ?  Une culture qui est vivante favorise 
                      les artistes vivants et elle maintient vivante la tradition 
                      culturelle. Ce sont là deux missions différentes. 
                      Elles sont aussi importantes l'une que l'autre. En ce qui 
                      concerne les grands auteurs comme Ramuz, Keller, Walser, 
                      Dürrenmatt, Frisch, le travail de mémoire est 
                      plus facile car leur réputation est internationale. 
                      Pour les écrivains connus plutôt au niveau 
                      national ou régional, le danger existe que leurs 
                      livres disparaissent des rayons des librairies et qu'ils 
                      soient peu à peu oubliés. Tout à coup, 
                      les jeunes lecteurs ne connaissent plus certains noms. Parmi 
                      les auteurs importants qui ne devraient pas être oubliés 
                      figurent Regina Ullmann, Meinrad Inglin, Jakob Schaffner, 
                      Kuno Raeber, Hermann Burger, Adelheid Duvanel. - Sang d'encre est assez 
                      largement consacré au patriotisme critique, qu'on 
                      peut définir comme la volonté de regarder 
                      l'Histoire en face et qui d'après vous détermine 
                      depuis la deuxième moitié du XXe siècle 
                      l'écriture de l'auteur responsable. Vous rappelez 
                      d'ailleurs à ce titre la maxime de Brecht selon laquelle 
                      il faut "montrer le froid à ceux qui gèlent". 
                      Mais vous insistez également sur une autre influence, 
                      moins connue, celle de l'existentialisme français, 
                      ce que vous appelez le "facteur Paris"
  C'est de Paris, de Sartre qu'est 
                      venu le concept de "littérature engagée". 
                      Et c'est aussi de Paris que venait la philosophie la plus 
                      actuelle après la guerre, l'existentialisme, qui 
                      a imprégné l'uvre de Sartre, de Camus 
                      et les meilleurs films français. Tout cela a eu valeur 
                      de modèle pour les jeunes artistes alémaniques 
                      d'alors. Il s'agissait de mettre en avant et de défendre 
                      la liberté du particulier, de l'individu contre les 
                      contraintes collectives. Parmi elles figuraient les vieux 
                      mythes nationaux, mais aussi la pensée "en bloc" 
                      de la guerre froide. - L'un des traits caractéristiques 
                      de ce patriotisme critique est de s'en être pris aux 
                      mythes identitaires, et en particulier à la "fable 
                      des fables", celle de Guillaume Tell, que Frisch déconstruit 
                      en 1971 avec son Guillaume Tell pour les écoles. 
                      Or, dans la lignée de l'Histoire d'un peuple heureux 
                      de Denis de Rougemont ("La volonté, le goût 
                      et parfois la passion qu'ont les gens de ce pays d'être 
                      Suisses sont des bienfaits que la connaissance exacte des 
                      antiquités helvétiques dans leur complexité 
                      réelle n'eût pas été capable 
                      de susciter"), vous rappelez que ces légendes 
                      ont aussi une valeur positive car elles ont contribué 
                      au processus de démocratisation. Comment se situent 
                      les auteurs alémaniques d'aujourd'hui par rapport 
                      à la démythification des symboles nationaux 
                      ? Le temps où les écrivains 
                      devaient se battre contre les fausses images de la Suisse 
                      est révolu. La patriotisme nationaliste qui a fleuri 
                      lors de l'Expo nationale de 1939 et durant la Deuxième 
                      Guerre mondiale n'existe plus aujourd'hui, ou seulement 
                      chez les extrémistes de droite. Par ailleurs, en 
                      politique, les tâches sont devenues plus pragmatiques, 
                      plus techniques, plus économiques. Seule la question 
                      de l'adhésion à l'Union européenne 
                      a encore suscité des passions patriotiques. On diabolise 
                      l'union des pays européens comme si la Suisse vivait 
                      seule sur un continent. Les écrivains d'aujourd'hui 
                      devraient vraiment s'exprimer clairement sur ce sujet.  - On retrouve dans l'uvre 
                      de nombreux auteurs - Otto F. Walter, Kurt Marti, Peter 
                      Bichsel pour en citer quelques-uns - une tendance à 
                      la dépréciation de soi-même, à 
                      la représentation négative dont l'"étroitesse" 
                      de Nizon est la formulation la plus fameuse. A vous qui 
                      vous intéressez à la psychanalyse, qu'est-ce 
                      que cela révèle de l'état d'esprit 
                      collectif de la Suisse ? La Suisse est un petit pays et on 
                      connaît très mal son histoire en France, en 
                      Allemagne ou en Italie. La conscience de cela induit deux 
                      réflexes contradictoire en nous: une auto-dépréciation 
                      exagérée et une auto-glorification exagérée. 
                      Ces deux positions alternent. A l'auto-glorification dans 
                      les années 40 a succédé l'auto-dépréciation 
                      dont le mot-clé a effectivement été 
                      cette idée d'"étroitesse": suisse 
                      allait avec petit, étriqué, insignifiant, 
                      non héroïque, retiré de l'histoire du 
                      monde, etc. Aujourd'hui, on se situe dans une phase intermédiaire, 
                      mais le problème se pose encore. La psychologie des 
                      petits pays a beaucoup à voir avec la psychologie 
                      du narcissisme. Le moi narcissique se voit grand et magnifique, 
                      puis il se déteste à nouveau parce qu'il n'est 
                      en fait pas si grand et magnifique et se vilipende car il 
                      se trouve petit et odieux. - A côté des auteurs 
                      qui se rattachent au patriotisme critique, vous décelez 
                      l'émergence d'un nouveau courant que vous nommez 
                      "surréalisme helvétique" peu connu 
                      en Suisse romande. Quels en sont les auteurs les plus représentatifs 
                      et surtout quels en sont les traits caractéristiques 
                      sur le plan littéraire ? Ce courant a surtout été 
                      important dans les années 70 avec des gens comme 
                      Franz Böni, Gertrud Leutenegger, Jürg Laederach 
                      et également Urs Widmer. Ils ont écrit dans 
                      une langue qui se distingue très fortement de celle 
                      du réalisme suisse traditionnel en privilégiant 
                      la fantaisie et les jeux de mots. Peter Weber, un auteur 
                      important parmi les plus jeunes, continue sur cette voie-là. - Dans une nouvelle des Gens 
                      de Seldwyla, Keller plante un décor archétypal 
                      : celui d'une salle d'auberge crasseuse dont les murs sont 
                      recouverts d'un papier peint représentant les Alpes, 
                      mais ce décor alpestre censément majestueux 
                      est en fait plié et recouvre aussi le plafond car 
                      il s'agit d'un papier peint d'occasion pas du tout adapté 
                      à la petitesse de la salle
 Vous y voyez une 
                      allégorie de la relation entre l'Etat et les images 
                      à travers lesquelles il se donne une existence. Cette 
                      allégorie est-elle encore valable aujourd'hui après 
                      la crise des fonds en déshérence, la débâcle 
                      de Swissair, les polémiques autour d'Expo.02 ? Keller, dans ses oeuvres de vieillesse, 
                      a critiqué l'auto-glorification qu'il avait pourtant 
                      lui-même exploitée dans ses écrits de 
                      jeunesse. Son dernier roman Martin Salander est très 
                      proche du patriotisme critique de Frisch, Dürrenmatt 
                      ou Meienberg. Après la crise des fonds en déshérence, 
                      la débâcle de Swissair, les critiques internationales 
                      contre la Suisse, la perte de l'image d'un pays accueillant 
                      et innocent, il existe aujourd'hui une chance de se percevoir 
                      de manière objective et impartiale, avec nos forces 
                      et nos faiblesses. Mais le danger de retomber dans le cycle 
                      auto-détestation/auto-glorification existe également. 
                      Empêcher cela est aussi un devoir de l'écrivain.
 Propos recueillis par Carole Wälti    Page créée le: 14.03.06Dernière mise à jour le: 14.03.06
 
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