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Tôt déjà , durant ses années
de lycée, Klaus Merz a commencé à écrire
des poèmes, encouragé, inspiré aussi
par Erika Burkart, qui non seulement est une poétesse
de premier plan, mais encore agit en Argovie comme une sorte
d'esprit protecteur de la poésie tel que l'on pourrait
en souhaiter à chaque région. Il a publié
ou pour ainsi dire fait exploser ses premiers petits recueils
à la fin des années 60, à une époque,
donc, où se succédaient les détonations
sociales de moyenne portée, tandis que l'explosion
muette d'une gesse ou d'un poème passait inaperçue.
Toutefois, loin d'être simplement en opposition avec
cette époque très politisée, Merz en
a reçu et développé plus d'une impulsion,
encore qu'à sa façon toute personnelle. On
en perçoit les traces dans les poèmes les
plus anciens du présent recueil, tels Vie
campagnarde (p. 217) ou De
la formation des Alpes (p. 209). Plus que les idées
sociales et critiques, c'est ce qu'il a vécu dans
son enfance et dans sa famille qui l'a profondément
marqué : à savoir que la souffrance et la
mort - comme aussi, rares et fulgurantes, les pépites
de bonheur - sont une partie intégrante de la condition
humaine.
Les impulsions
décisives de ses débuts sont venues à
Merz non pas des protagonistes de la poésie politique,
mais de poètes comme Rilke, Celan, Ingeborg Bachmann,
Erika Burkart, ou encore, ce qui est sensible surtout dans
les textes les plus récents, comme Günter Eich,
dont il partage le sens de l'absurde et l'humour, le plus
sûr recours contre le désespoir. Bientôt,
Merz se tourne vers la prose, renonçant même
à la poésie pendant toute une décennie
pour se vouer à l'élaboration de ses proses
narratives ; elles finiront par lui attirer un succès
mérité (si le succès se mérite),
en particulier un récit sous-titré "à
vrai dire un roman" :Jakob
schläft (Frère Jacques, Zoé, 1998).
Lorsque
Merz rompant son abstinence poétique, publie les
recueils Landleben (1982)
et Bootsvermietung (1985),
il n'a pas simplement évolué.Quelque chose
a changé: dorénavant, il conjugue dans le
même livre poèmes et proses brèves,
et il le fait jusqu'à nos jours, donc également
dans le livre traduit ici, publié en allemand en
1995. Ce panachage de poèmes et de proses représente
davantage qu'une sorte de marque signalétique de
Merz. Si aujourd'hui il se considère surtout comme
un prosateur, ainsi qu'il le déclare dans une interview
récente, ses racines plongent "sur l'autre versant",
côté poésie, justement. Cette identité
complexe se perçoit d'une bout à l'autre de
l'oeuvre, qui, en vers et en prose, démontre avec
éclat que la poésie n'est pas tout entière
dans les vers, mais peut rayonner aussi, non moins belle,
plus libre parfois, dans la prose. Et à l'inverse,
certains éléments narratifs ont leur place
et leur fonction dans les vers de Merz. Coïncidence
nullement fortuite, c'est à l'époque où
se tissait cette nouvelle relation entre les formes que
l'auteur a franchi le pas décisif vers une langue
vraiment personnelle. Sa parole à lui.
[...]
Extrait
de : Déplacement - Kurze Durchsage, Editions Empreintes,
2002
Elsbeth Pulver
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