L'auteur explore l'histoire muette
de sa famille
"le viatique des mots a manqué
pour que le deuil soit bien accompli.."
Un chemin de vignes suspendu au-dessus
de la plaine, les toits d'ardoise d'un "village d'ombre",
le ruban noir du Rhône sous la neige, les croix d'un
cimetière, un cierge et une tête d'angelot:
les photographies d'Oswald Ruppen fourniraient-elles une
clé à ces récits formant un seul texte,
à commencer par celle (le chiffre trois d'une serrure
ancienne) qui figure en couverture ? La clé des mots
ou des morts, de ce livre au format étroit comme
une tombe. "Engoncé dans l'angoisse comme dans
une chape de boue froide", l'auteur explore l'histoire
muette de sa famille, de ces trois disparus auxquels le
viatique des mots a manqué pour que le deuil soit
bien accompli: les deux Jean-P., l'arrière-grand-père
maternel qui s'est "foutu au Rhône" et dont
le corps n'a jamais été retrouvé, et
le frère aîné victime d'un accident
de la route; et puis Nanette, la mère, qu'une maladie
inguérissable poussera à se jeter au Rhône
deux ans plus tard. Est-ce parce qu'il ne se souvient plus
avoir prononcé le mot maman que l'enfant est devenu
"un homme de paroles" ? Dans ce court récit
inscrit entre passé et présent, Jérôme
Meizoz renoue à sa façon les fils entre vocabulaire
intérieur, langue de l'école et phrase de
la liturgie.
Isabelle Martin
20.11.99
Jérôme Meizoz plonge
à la source du chagrin
Dans ce bref récit de deuil,
l'auteur valaisan piste les mots et les morts.
Quand Jérôme Meizoz
donne de ses nouvelles, c'est toujours par le biais d'ouvrages
savants, consacrés aux autres. Les autres, ce sont
d'abord les écrivains qu'il affectionne (Ramuz, Chappaz,
Lovay) et qu'il s'applique à relire pour nous, en
commentateur avisé et en vrai passionné de
la littérature. Universitaire brillant, il achève
actuellement à Lausanne une thèse sur "l'âge
du roman parlant" sous la direction de Doris Jakubec.
Cette carrière académique
sans histoire, jalonnée de publications toujours
remarquées, vient de s' accorder une diversion éditoriale
inattendue. Morts ou vif, qui paraît ces jours chez
Zoé ne se lit pas comme un article érudit
de plus. Pour la première fois, Jérôme
Meizoz se risque à la première personne. Le
" je " qui parle ici se souvient des Confessions
de Rousseau. S'il se fait le préfacier de sa propre
existence, il n'oublie pas, dès l'ouverture, de glisser
de la fiction dans un récit supposé véridique.
Les mots proscrits
Le texte commence par se moquer de
la posture d'un narrateur devenu enseignant à la
ville et qui, entre deux leçons de grammaire, se
souvient des mots désormais proscrits qu'utilisait
sa grand-mère lorsqu'elle parlait en patois à
son bétail. Puis, sans prévenir, l'auteur
invite son lecteur à entreprendre une plongée
à la source du chagrin. " Nuit d'avril 1974.
L'enfant ne parvient pas à dormir. Une curiosité.
La soif peut-être, le pousse au bas du lit, il descend
l'escalier. Dehors, les chats hurlent comme des bébés
oubliés. Des lueurs, sur fond d'encre noire, vibrent
dans la maison. "
Cette vibration intime, restituée
à travers une série de phrases courtes, comme
autant d'avancées supplémentaires vers une
vérité douloureuse qui s'affine, sent fort
la compagnie des morts. Quatre bougies se consument lentement
autour d'un coffre de sapin et se mêlent à
l'odeur des fleurs par dizaines autour de la boîte
". Dans le cercueil, le cadavre d'un frère aîné
que la route meurtrière a rendu à la fa mille,
sur un simple et funeste coup de téléphone
qui n'en finit pas de retentir. Le fleuve, lui, se montrera
plus ingrat Le corps de l'arrière-grand-père,
qui jadis s'est " foutu au Rhône ", manque
à l'appel. " Lorsque le suicide entre en lice,
l'angoisse est déposée pour des générations
", commente lécrivain, avant d'évoquer
la disparition d'une mère atteinte du cancer. Les
brefs récits de Jérôme Meizoz revisitent
avec des mots justes et une langue presque apaisée
ce triple deuil. A mesure qu'on s'en approche, l'écriture
se dépouille de ses attributs rhétoriques,
gagne en précision. En sincérité aussi.
On prend congé d'elle au terme de ces 74 pages comme
on tire doucement derrière soi la grille d'un cimetière.
Connivence funèbre
Jérôme Meizoz pourrait
reprendre à son compte la remarque du romancier
Jean Rouaud " La compagnie des morts commençait
à me peser " pour justifier la parution
de ses récits aujourd'hui. Mais la comparaison
avec le romancier de chez Minuit s'arrête là.
"Je ne ferai sans doute jamais de roman ",
précise le jeune auteur né en 1967 dans
le Valais. Je ne suis pas un imaginatif, Ce livre-ci,
je l'ai d'abord écrit pour moi.
J'ai éprouvé
à un moment donné le besoin de retraverser
mon histoire personnelle avec les mots. "Avec les
images aussi, puisque la collection de Zoé dans
laquelle il sinscrit implique lillustration.
"
Avec Marlyse Pietri, on a immédiatement
pensé à Oswald Ruppen. Je connaissais
ses images, notamment celles, magnifiques, de Maurice
Chappaz chez qui nous étions allés ensemble.
Il a lu mon manuscrit avant de me faire une série
de propositions." Entre le texte et l'image sinstaure
ainsi, dès la couverture une sorte de connivence
funèbre qui ajoute encore à la qualité
de l'ouvrage.
Thierry Mertenat
Morts ou vif de Jérôme
Meizoz aux Éditions Zoé, 74 pages.
En noir et blanc
HYMNE À LA MORT Les deuils,
les absences, les espoirs et les renaissances en Valais:
tout est dans le petit livre subtil et troublant de Jérôme
Meizoz et du photographe Oswald Ruppen
Sur fond de deuil et de douleurs
enfantines, voila un beau mariage. Celui d'un texte qui
s'attache aux étranges liens qui unissent les vivants
et les morts, avec des photos qui disent le temps et le
souvenir infiniment profondément et délicatement.
Mort du frère. Bien des années
plus tard, je cherchais toujours des yeux, lorsque nous
passions devant le cimetière à voitures, au
pied du mont, la carcasse blanchâtre de la Coccinelle
dont on mavait parlé.
Mort de l'arrière-grand-père,
qui s'est suicidé voici quelques décennies,
après la mort de sa fille, laquelle suivit de si
près sa mère dans la tombe. " Et ce deuil
lui lance qu'il a tout perdu, brise le grand corps déjà
soucieux, tordu par le travail, le guide un jour que je
veux imaginer ensoleillé vers le Rhône..."
Quelque chose qui nous échappe
Et puis Judith, "pas un seul
vrai souvenir d'elle ", " trépassée
elle aussi à la lisière de la jeunesse".
Et Nanette, qui petite fille pleurait à chaudes larmes
quand on tuait le cochon ou que le cheval de la ferme s'éventrait
sur la herse. Nanette devenue mère, mère de
l'auteur, qui cache son corps malade au retour de l'hôpital:
"Je veux que tu me montres la cicatrice qu'ils t'ont
faite, la où ils t'ont coupé, enlevé
une partie cachée, tu ouvres ta robe de chambre en
m'expliquant, c'est une énorme trace rose et bombée
comme un ver, plus longue qu'une main qui te traverse la
poitrine, ton sein a disparu, chair arrachée a ta
maigreur déjà effrayante, la source est tarie,
tu le sais ".
Et puis les secrets, l'enfant qu'on envoie à la montagne,
quon éloigne du lieu de souffrance " à
une période où d'ordinaire je vais à
l'école, comme c'est étrange , les amis atterrés,
et plus tard encore l'adulte qui revient vers son passé,
juste pour observer, entendre, "suivre le voyage des
visages ".
Deuils accomplis, absents, toujours et encore attendus désespoirs
et renaissances tout est là. Les pensées de
Meizoz, les photographies d'Oswald Ruppen, tout nous parle
de quelque chose que l'on croit tenu et qui nous échappe,
mais nous traverse sans cesse. Ce petit livre est un vallon
noir et blanc où Ion sarrête pour
reprendre son souffle et que l'on quitte à contrecur.
Philippe Dubath
Jérôme Meizoz, "
Morts ou vif ", photographies d'Oswald Ruppen, Editions
Zoé
A lire: " Le Valais entre deux mondes " d'Oswald
Ruppen - Éditions Slatkine
Page créée le: 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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