Antonin Moeri Antonin Moeri / Paradise Now Pour esquisser le portrait d'une époque fascinante, le narrateur imagine quelques épisodes de la vie quotidienne. Le père de Sophie, par exemple, se réfugie au sommet d'une grue. Avec des photographies et des dessins d'enfant autour de lui, il aimerait retrouver l'éternité, la mer mêlée au soleil, les merveilleux nuages qui bougent, puis disparaissent... Une adolescente révoltée n'est pas persuadée que la vie est un élan. " Faut faire semblant d'y croire", lui disent les professeurs bien intentionnés. Mais Sandrine préférera la boue rouge et noire des paradis artificiels. Elle ne laissera aucun souvenir ni aucune trace...
Antonin Moeri est né en 1953, à Berne. Après avoir grandi à Mexico, il exerce le métier d'acteur en France et en Belgique. Traducteur de Fontane, Robert Walser et Ludwig Hohl, il a écrit cinq livres parus aux Éditions L'Âge d'Homme (Le Fils à Maman, 1989, Premier Prix au concours littéraire le la revue [VWA]; L'Île intérieure, 1990; Les Yeux safran, 1991; Allegro amoroso, 1993, Prix Schiller 1994; Cahier marine, 1995). Son dernier roman, Igor, est paru aux Editions Bernard Campiche en 1998.
Pétillantes et délicieusement ironiques: découvrez sans tarder les nouvelles d'Antonin Moeri Ce Paradise Now est un bijou. Pour une bonne surprise, c'en est une. Ce Paradise Now est un bijou. Les trente et une courtes nouvelles que signe Antonin Moeri sont autant de pierres scintillantes qui vous feront définitivement oublier - si vous le pensiez jusqu'ici - que les auteurs romands sont des donneurs de leçons ennuyeux. Et querelleurs. Moraliste, le narrateur d'Antonin Moeri l'est. Mais pas à la manière d'un prêcheur. Un moraliste au sens noble, observateur des moeurs de son temps. "Simple enquêteur", comme il se qualifie lui-même, il nous fait partager ses étonnements. Les personnages qui peuplent les nouvelles d'Antonin Moeri sont peints sur le vif, souvent campés dans leur univers quotidien, et plus encore dans "leurs petites habitudes cachées qui font de l'homme un curieux mammifère". C'est un grutier qui décide de s'isoler au sommet de sa grue, une femme qui aime se faire frapper pour jouir, des couples qui vivent ensemble en se haïssant... Des gens qui ont des difficultés d'être, de relation ou, du moins, le sentiment d'être un peu étrangers au monde, aux autres et à eux-mêmes. Des gens comme les autres! Ils s'interrogent et cherchent à construire des royaumes dont ils seraient les rois et où ils seraient à l'abri des contradictions qui les traversent. Les thèmes sont parfois graves, les situations douloureuses, Mais, et c'est le tour de force d'Antonin Moeri, le livre n'est jamais pesant. C'est un pétillement continu. On y sent le plaisir de l'auteur qui semble bien plus amusé qu'attristé devant le spectacle des hommes. Si souvent grotesques. Et le plaisir d'un narrateur qui s'ingénie, au milieu de la plupart de ses histoires, à désarmer toute tentative de prise au sérieux. Il brouille les pistes et se fait le spécialiste des coq-à-l'âne et des fins en queue de poisson. C'est le plus grand hommage qu'on puisse rendre à la vie, qui ne se comporte pas autrement. "Racontez ce que vous voyez, sentez, entendez, a-t-on conseillé à l'auteur de ces lignes, soyez le chroniqueur des autres, c'est la seule façon de percevoir l'intimité muette des choses." A l'oeuvre : de l'île au paradis Antonin Moeri (46 ans) a grandi au Mexique avant d'être acteur en France et en Belgique. Sa passion des mots s'est aussi exprimée dans le domaine de la traduction : Robert Walser et Ludwig Hohl entre autres. Ce Paradise Now est son septième livre. Il fait suite à L'île intérieure, Le Fils à Maman, Les Yeux safran, Allegro amoroso (Prix Schiller 1994), Cahier marine et Igor, le dernier roman qu'il a publié en 1998. Charly Veuthey
Antonin Moeri, le voisin qui observe ses contemporains "Paradise Now", recueil de nouvelles, est aussi le portrait d'une époque qu'on dit "formidable". On vit une époque formidable." Si Antonin Moeri le disait, sûr qu'il aurait aux lèvres un léger sourire ironique. Car il n'y a rien de "formidable" dans ce que vivent les personnages de trente et une histoires qu'il raconte avec le ton de celui qui veut se contenter des faits mais qui n'en pense pas moins. Clément bien de constater qu'on lui a tout volé. Félix revoit Léa à la télévision. Le père de Sophie ne veut plus descendre de sa grue. Le petit Samuel écrase des limaces et cache les legos. Paul collectionne les cartes postales que sa mère lui envoie des quatre coins du monde. Roger achète un tableau au-dessus de ses moyens. L'oeil du voisin Derrière l'apparente banalité du factuel, se cachent les tourments des êtres. Déchirures, déceptions, séparations, hargnes, hypocrisie, peurs... La liste est longue de trente et un états d'âme propres à l'homme et à son époque. Rien ne se dit, tout se sait et Antonin Moeri est un rapporteur. Un observateur aussi. Il est ce voisin de pallier qui entend des bruits la nuit. Il est ce passager du train qui voit le père et son fils éclater de rire. L'écrivain ne se livre à aucune confidence personnelle. Il est loin aussi de l'analyse, du billet d'humeur ou du coup de gueule. Simplement, il fait un joli tour d'horizon de ce qui peut se passer dans la vie ou dans la tête d'un de ses contemporains. Souvent, il prend le lecteur à partie, lui signalant que décidément, il ne peut pas tout dire, par humilité, parce que la morale le lui interdit, parce qu'il estime qu'une plus vaste explication serait superflue. Un joli tour de passe-passe pour l'écrivain bernois qui semble s'être donné pour règle de ne pas dépasser six pages par nouvelle. "Les enquêtes ont toujours été difficiles à mener, Notre époque ne nous facilite pas la tâche. Des empires s'écroulent, les opinions changent, les gens ne se reconnaissent plus dans les miroirs de matins blêmes. Malgré cela, et heureusement pour chacune et chacun, les humains préservent un équilibre, sourient, ont l'air de se respecter, jouent au chat et à la souris, dansent, économisent, assouvissent leur curiosité, leurs convoitises, parfois leur vengeance, mais motus, ce sujet est à éviter dans un texte de ce genre", écrit-il à mi-parcours. Prix Schiller MAG
Antonin Moeri : Plus délicieux que toute certitude Un petit garçon apprend à pêcher à la ligne. Verra-t-il apparaître un poisson ? Est-il d'ailleurs bien certain qu'il y a des poissons dans l'eau ? Non, de grâce, ne répondez pas, vous vous montreriez d'un conformisme tout-à-fait rabat-joie ! Car l'important, dans cette situation, c'est "la volupté de l'attente. Cette attente remplie d'espoir (...)". Et, maintenant, la lunette d'observation de l'auteur se déplace sur la longueur d'un demi-rêve, et nous montre un autre garçon, peut-être le futur géniteur du premier : "dandy sceptique (...), un sourire en coin", planté dans l'angle d'une photographie de famille, où "(s)a seule présence semble créer un climat d'incertitude". Ces deux scènes n'évoquent pas seulement l'enfance en soie (vécue ou imaginée), mais en quelque sorte l'enfance de la création, l'état essentiel, constitutif, de la création littéraire d'Antonin Moeri. L'attente, la joie de bichonner une émotion intime, le scepticisme, le sentiment d'une altérité difficile et cependant farouchement protégée, tout cela, qui est exprimé dans les deux scènes citées, est à la fois l'origine et le devenir de l'oeuvre d'Antonin Moeri, le réservoir des thèmes. Cette réflexion, sans doute déjà faite au moment de la lecture des oeuvres précédentes s'impose encore à la lecture du nouveau livre d'Antonin Moeri, Paradise Now. Les trente et un textes brefs de ce recueil n'explorent pas tous directement ces thèmes caractéristiques, mais le ton, l'ambiance de l'ensemble en sont imprégnés. Appeler nouvelles ces textes de Paradise Now est une facilité, il aurait fallu trouver autre chose, parce que c'est effectivement autre chose cette manière, chez Antonin Moeri, d'aborder une histoire à fond de train, puis ralentir, d'introduire les excuses et insinuations d'incertitude d'un narrateur sujet (ou d'un enquêteur, ou d'un témoin médiat), puis de s'engouffrer dans une digression qui s'avère tantôt simple fantaisie, tantôt concordance de sens, puis enfin brise là, comme si l'écrivain éprouvait une soudaine fatigue, ou comme s'il regardait ailleurs, l'esprit déjà séduit par une autre histoire, ou, qui sait, comme s'il se sentait la voix brisée par la pudeur, par la crainte de se démarquer, par un de ces effarouchements d'hypersensible. Ces narrateurs déroutants et déroutés racontent des moments de vie, quelquefois à peine perceptibles (comme ces "bruissements innombrables dans les futaies (...), incessante vibration de papier de soie"), quelquefois fracassants et banals, révoltes d'adolescents, naufrages familiaux et professionnels. Dans ce monde observé, épié, réorganisé par l'imagination, les personnages semblent s'arrêter un instant dans la lumière d'un rêve secret, d'un espoir, d'un désenchantement ou d'une utopie. Dans Paradise Now, une adolescente meurt parce qu'elle ne trouve pas de raisons de vivre : ici la lumière noire et l'échec des éducateurs absolu. Dans Imaginons, quelqu'un rêve d'une école "en bois (...) pour questionner ces choses qu'on nomme travail, devoir, solidarité, compassion, sensation, sentiment, désir et angoisse", mais le rêve tourne court à l'apparition d'un "vaillant personnage" sans poésie ni souffrance. L'enfance et l'adolescence possèdent aussi des lieux plus personnels : un mur au bord du lac où une fille songe à la liberté, à "un rêve sans contours" qui soudain prend l'apparence d'une sirène amoureuse d'elle ; un tracteur "rouge tomate de fabrication américaine" conduit par un garçon éperdu de joie : une boutique fourre-tout d'où un autre garçon ressort avec du pain sec pour les canards du lac. Le surréalisme affleure lorsqu'un grutier décide de vivre suspendu dans le ciel, lorsqu'un homme qui aurait aimé naître fille nage dans la piscine et dans l'eau trouve de ses pensées, ou lorsqu'un fonctionnaire préfère définitivement les lions et les bons repas de sa mère à la vie professionnelle qui est "un train qui file de plus en plus vite à travers les espaces glacés, sous un ciel où rien ne luit". Mais bien sûr, bien sûr, tant de choses autour de nous sonnent comme de monstrueuses musiques codées, mariages ratés, séparations propre en ordre avec assurances sur mesure, villas et vacances, cartes postales et carrières, douleur médiatisée, tant de choses absurdes, humiliantes, révoltantes, auxquelles tant d'hommes ne peuvent répondre, même si "les épines de la vie, si on sait les mettre en valeur, servent (...) à quelque chose". l'écriture est aussi un thème, dans ce recueil... Critique et observateur des ruptures sociales, comme des infimes fissures individuelles, Antonin Moeri fait un inventaire des désenchantements réels et des enchantements créés pour survivre, pour trouver une place dans le cosmos, il le fait avec un curieux mélange d'ironie, d'humour, de faux détachement et de profonde inquiétude. L'écriture semble alors vouloir "partager une joie qui teint d'avantage de l'anomalie que du propos rassurant", à coup d'images inattendues, de ruptures de ton qui instaurent ce climat d'incertitude propre à l'art d'Antonin Moeri. Car l'écriture est aussi un thème, dans ce recueil, et peut-être le plus cher à l'écrivain, son trésor qu'on voit briller dans La Chambre vide des premières pages et qu'on reconnaît tout à la fin, dans l'histoire de l'écriture "cette utopie d'exactitude, ce temps rare qu'on arrache à la mort". Une sorte de solitude enchantée. Pour finir, jouons au jeu des préférences que le nombre des textes du recueil autorise. C'est le texte intitulé L'Ecureuil que je préfère, pour ce qu'il dit et suggère, pour le style : vision rapide et gracieuse d'un écureuil qui évoque au narrateur-promeneur la fin de la vie de son père, et l'enfance heureuse, et l'apprentissage des mots, tandis que, tout autour maintenant, "un monde émerge que nous ne connaissons pas." Rose-Marie Pagnard Le paradis du nouvelliste C'est un recueil de nouvelles comme on aime les lire : vif, singulier, inquiétant. L'écriture du romancier genevois Antonin Moeri fait merveille dans ce genre réputé difficile. Son talent se découvre sous la belle couverture des Editions Campiche, sous le titre "Paradise Now". Il figure en bonne place sur les présentoirs de vos libraires. Ne le manquez pas. Antonin Moeri excelle dans l'art du bref Nouvelles : Le romancier signe un très convaincant recueil chez Campiche A la question "Pour qui écrivez-vous ?" posée par les responsables de la revue Ecriture dans leur dernière et passionnante livraison, Antonin Moeri répond par une évocation malicieuse. "J'ai toujours imaginé mon lecteur en vieille dame pleine de charme, aux belles et nobles manières, écrit-il. Son sourire rappelle celui des Mexicaines qu'on peut croiser dans un marché de Guadalajara. Elle tourne les pages du livre sans nervosité, nullement impatiente de connaître la suite." Il est permis de ne pas se reconnaître dans le portrait que dresse ici le romancier genevois de son lecteur et se sentir bien dans son premier livre, Paradise Now, paru comme le précédent, Igor, chez Bernard Campiche. Un livre qui révèle au grand jour le talent si particulier qu'exige la nouvelle. Elles sont au nombre de 31, ces histoires courtes qui ne dépassent jamais quatre pages. On les lit avec une allégresse justement impatiente, pressé à chaque fois de découvrir la suivante. Pour certaines d'entre elles, le recueil mériterait d'être acheté dans l'heure, C'est que l'auteur excelle dans l'art difficile du bref. Sa phrase sait où elle va, elle nous achemine vers un moment de crise, sans traîner ni prétendre, en route, épuiser tout ou partie du mystère des personnages, à l'inverse précisément du roman. Et pourtant, même si le genre demande aux images un supplément de vitesse, la rencontre narrative a bel et bien lieu. Notamment avec ce grutier qui choisit la réclusion volontaire au sommet de son engin, interdisant même à sa fille de gravir les échelons en fer pour le rejoindre. Plus loin le romancier croise la fureur enfantine d'un petit garçon refusant de partager ses jouets, avant de partir sur les traces d'une jeune adolescente insurgée prénommée Sandrine, jusque dans ces "ruelles de la peur" où rôde une mort annoncée. Un libre fort, à l'écriture rigoureuse, écrit pour un lecteur d'aujourd'hui. Thierry Mertenat
Traduction
|