Que peut la Poésie à
l'aube d'un nouveau millénaire et après un
siècle funeste comme celui qui vient de s'achever?
La poésie est ce murmure qui
traverse les désastres, ce mince filet d'eau que
l'on continue d'entendre au creux de la nuit.- même
les fuyards de Srebrenica l'ont entendu - et qui dit que
nous sommes au monde, vivants, survivants, tendus vers l'espérance
d'un salut.
L'improbable prise de conscience
de la mort - présence stable dans vos poèmes
- est-elle nécessaire afin que l'homme contemporain
s'ouvre à la vie?
"La pensée de la mort
est indispensable pour rendre la perception possible"
(Walter Helmut Fritz).
A l'époque des machines
et de la réalité virtuelle peut-on encore,
comme vous le faites, enraciner la Poésie dans la
terre humble et pauvre?
Nous ne sauverons quelque chose de
la terre qu'à travers plus de technique - déjà
l'éléphant, le tigre ou le lynx se baladent
avec un collier-émetteur ; mais que la terre, notre
séjour commun, soit effacée de la conscience
de nos contemporains ne l'empêche pas d'être
là : pas d'autre fondement à notre existence
incarnée qui s'achève par une mort physique.
La poésie n'est enracinée nulle part sinon
dans le coeur de l'homme, le coeur au sens pascalien. Elle
est une tentative sans cesse mise en échec pour remonter
vers la source du langage. Le Vivant - tel est le seul nom
du dieu qui se manifeste aux yeux de Moïse.
Dans votre Poésie le "tu"
joue un rôle essentiel. Comment l'identifier?
Le "tu" signale la présence
de l'interlocuteur dans le poème, présence
sans laquelle aucun acte de langage n'est imaginable. Dans
chaque texte le lecteur est prié d'identifier, autant
que faire se peut, cet interlocuteur aux multiples visages.
Cet interlocuteur est le Vivant qui obscurément aimante
vers lui le poème. "Le poète, conservateur
des infinis visages du vivant" (René Char).
Propos recueillis par Grazia Bernasconi
Romano
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