Claude-Inga Barbey
Le Palais de sucre, Editions D'autre part, 2003
Claude-Inga Barbey / Le Palais de sucre
Dans le lieu clos de son asile, une femme se souvient de son enfance massacrée et de son parcours de vie chaotique.
Au-delà de la simple évocation biographique, le récit de Claude-Inga Barbey révèle une somptueuse écriture, nourrie aux sources les plus fécondes du conte et du roman féminin.
Claude-Inga Barbey est née en 1961 à Genève où elle habite toujours. Comédienne de formation, elle a joué dans les principaux théâtres de la place et au cinéma. Elle est aussi la créatrice du spectacle Bergamote à la radio et sur les planches.
Après ses chroniques Petite dépression centrée sur le jardin. Le Palais de sucre est son deuxième ouvrage publié par les Editions d'autre part.
Le Palais de sucre, Editions D'autre part, 2003
Entretien avec Claude-Inga Barbey, par Patricia Brambilla
«Mon principal défaut? L'imagination!»
Avant de remonter sur les planches, Claude-Inga Barbey sort son premier roman. Un petit conte cruel comme la vie
La maison est imposante. XVIIe siècle, dans toute sa splendeur un peu tassée, à deux pas de la gare de Genève. On passe le portail et on doit longer son profil jusqu'à la porte d'entrée, dissimulée. C'est une maison que l'on aborde de biais, en suivant les fleurs, gueules-de-loup et physalis, belles lanternes orange qui dansent contre le mur. Et puis, soudain, le porche, barré par un énorme punching-ball. Claude-Inga Barbey, c'est ce contraste-là: les fleurs fines et le coussin pour les poings, la dentelle lumineuse des mots et la douleur à vif de la vie.
On la connaît à la scène, touchante et drôle Monique du couple aigre-doux de Bergamote. La voilà du côté sombre de l'écriture, avec un premier roman, Le Palais de sucre (Ed. D'autre part). On y retrouve le style ciselé, la qualité de regard, cette espèce de transparence cristalline façon Virginia Woolf, qui caractérisaient déjà ses Papiers tue-mouches (chroniques publiées dans Le Temps et rassemblées aujourd'hui sous le titre de Petite dépression centrée sur le jardin, même éditeur). Mais cette fois, l'histoire est douloureuse, comme un lent cheminement dans les couloirs glacés de la folie. Claude-Inga Barbey a mis ses mots dans les interstices, là où la vie fait mal, là où elle nous abîme, nous fait des coups tordus.
A 43 ans, la comédienne-écrivain aborde les jours sans complaisance. Avec un regard qui fait face, ses yeux verts bordés d'éclats de lune. Un beau visage, parce que sans déguisement, sans apprêts. Avec ce rire qui sent le café noir et explose à l'improviste. Salvateur.
Comment est-ce qu'on se sent après un premier roman?
Je suis très contente de la couverture! (rires) Pour le contenu, je ne sais plus ce que ça vaut. C'est un livre que j'ai retravaillé quinze fois à la demande des éditeurs! ça m'a pris quatre ans, avec quelques interruptions liées à ma grossesse et à l'arrivée de Marcel (son fils de quinze mois, ndlr). Entre la première version, assez confuse, et la dernière, j'ai transformé beaucoup de choses. Comme dans tout premier roman, il y avait dix histoires en une! A la fin, j'en avais ras le bol. C'est un long parcours avec des déceptions et un travail assidu.
Ce roman ressemble à un conte, mais il cache une douleur terrible. Pourquoi avoir choisi un sujet aussi dur que l'inceste?
Parce qu'il y a des choses qui doivent sortir de soi. Comme dans tout roman, certains faits sont exacts, ne serait-ce que les lieux, la maison, mais je ne voudrais pas que l'on pense que ce récit est totalement autobiographique.
Le conte, est-ce une façon de faire passer l'inacceptable?
Oui... Et puis le conte me semblait intéressant pour expliquer le drame d'un enfant. Je voulais utiliser les pauvres moyens qu'il a. Quand quelque chose est cassé à l'intérieur de soi, on est obligé de se fabriquer une peau dure, froide, qui résiste à tout. On peut se dissimuler sous cette armure toute sa vie, mais à quel prix?
L'écriture de ce livre correspond-elle à ça: enlever une armure?
Je l'ai déjà fait ce travail, dans ma vie. Mais les choses ne sont jamais finies. On a des sursis pendant quelques mois, quelques années, et après il faudra aller encore plus loin. La vie est une belle salope qui ne vous laisse jamais tranquille. Des épreuves sans arrêt, pour arriver à quoi? A essayer d'avoir moins peur au moment de mourir.
Comme Andersen, vous ne croyez qu'aux contes qui finissent mal?
Non, mais il n'y a pas de miracle, pas de sortilège! Pendant des années, j'ai fait comme tout le monde. Je me disais, si j'ai fini de traverser la route avant que le feu soit rouge, j'aurai ce que je veux. S'il y a plus de douze marches dans l'escalier, je vais rater mon examen, etc. Cette espèce de superstition, où on se dit que la vie, c'est toujours après. Où on projette dans l'avenir ce qu'on veut devenir. Ecrire ce livre m'a permis de me rendre compte de ça: il n'y a pas d'après, il n'y a que du maintenant.
Que voulez-vous dire aux gens à travers ce livre?
(Elle réfléchit) Peut-être qu'il parlera à ceux qui ont souffert de la pathologie de l'abandon ou de parents toxicomanes, qui ont vécu dans cette prise de responsabilité, de culpabilité, jusqu'au dégoût de soi-même. Quand on sombre dans un état dépressionnaire profond, on a l'impression que les périodes de crise sont seules réelles et que le soleil n'est qu'un mensonge. Peut-être que ce pavé de 160 pages aidera ces gens à se sentir moins seuls.
Pourtant, il faut beaucoup aimer le monde pour le regarder d'aussi près, comme vous le faites...
C'est dû à mes deux grand-tantes qui m'ont élevée, qui étaient des femmes du petit, dans tous les sens du terme, calvinistes à souhait. Les hérissons, les fleurs, j'ai appris tout ça avec elles. On passait des heures au jardin botanique. Ce sens de l'observation est aussi lié à l'attente. Quand on passe sa vie à espérer, ça développe une capacité à décrypter le monde et à le déformer. Du coup, les objets inanimés prennent une vie. Mais c'est aussi une calamité, l'imagination!
Vous en avez beaucoup?
Terrible, c'est mon principal défaut! Je prends des notes, tout le temps, enfin moins depuis le bébé. Mais j'observe, j'écoute, j'écris dans ma tête. C'est pour ça que le quotidien sauve des gens comme moi, parce qu'on est obligé de faire des courses, d'aller aux réunions de parents, on est obligé d'être là dans la réalité. Si je n'avais pas d'enfants, il y a longtemps que je ne serais plus là. Vous pouvez être au bord du suicide, mais si c'est 16 h 10, vous devez aller chercher votre môme à l'école. Tout à coup, les priorités changent. Alors, ça vous fait tenir un jour de plus et encore un... C'est pour ça que j'ai autant d'enfants! (rires) Ils sont merveilleux, j'ai beaucoup de chance.
Après «Bergamote et l'Ange», vous aviez dit stop. Et là vous repartez avec un nouveau spectacle...
Je le devais à mes camarades. Toute la tournée de l'année dernière a dû être annulée parce que je ne voulais pas quitter Marcel trop longtemps. Alors là, on jouera à Carouge. Après avoir préparé le souper, j'irai prendre le tram à 19 h 30, je ferai le guignol jusqu'à 21 h 30 et puis je reprendrai le tram et à 22 h je serai au lit! (rires)
Vous vous réjouissez de retrouver la scène?
J'ai un peu la trouille... En fait, je ne suis pas quelqu'un de la scène. Ce livre, c'est bien plus moi. Bien sûr, Bergamote m'a permis de survivre, c'est l'humour, pilier de résilience principal. Et puis, je suis contente de retourner dans un petit théâtre où on ne se pète pas trop la tête avec de gros cachets. Ces dernières années, c'était devenu un énorme bastringue... Là j'aimerais qu'on reparte à zéro, que l'on recommence à être petit.
D'autres livres après celui-là?
Si j'écris autre chose, il y aura beaucoup de dialogues et ce sera plus léger! (rires). En fait, j'aimerais vendre cette maison, avoir suffisamment d'argent pour ne faire qu'écrire. Ce n'est pas une envie, c'est un besoin. Je ne peux pas vivre sans écriture.
Propos recueillis par Patricia Brambilla
Construire No 40
http://www.construire.ch/
30-9-2003
Le palais de sucre, par Pierre Lepori
E' un libro strano, che abbiamo fatto fatica a finire. Ma non si spaventi il potenziale lettore. Gli è che questo Le palais de sucre è scisso in due. Con una lingua a dir poco sublime, incantata e visionaria, questo primo romamanzo di Claude Inga Barbey si apre su una scena surreale, fiabesca, su un mondo popolato di angeli e galline strambe, in cui una bimba dalla voce spaurita vede colare innarrestabile il proprio sangue, va in ospedale, fugge e si rifugia in una lavatrice, si avventura su uno stagno ghiacciato in cerca di un principe alato. L'incanto si spezza, d'un colpo, a metà libro: la voce narrante è una donna lacerata, malata di nervi, che cerca di fermare un'emoraggia con evidenti origini psicologiche soggiornando in una clinica e fuggendo nei suoi sogni. Ma che nella vita comune è una specialista di favole (e non a caso, in epigrafe l'autrice cita Bruno Bettelheim). E' quasi con tormento, a malincuore, che si esce dall'incanto "salvatore" per immergersi in un vissuto psichico forse un po' troppo esibito, un po' troppo raccontato. Ci si blocca un po', a metà libro. Ma vale la pena di proseguire. D'allora in poi il romanzo incrocia le due percezioni del reale, quella deterministica, che cerca le ragioni della deriva (fino alla spiegazione psicanalitica), e quella allucinata che c'immerge nella deriva medesima. Ci sono, evidentemente, momenti bellissimi anche sul ciglio del reale: il ricordo di uno spettacolo di marionette, cui la protagonista assistette bambina, il rapporto intenerito con la compagna di stanza, l'ancor più smarrita Linda. Claude Inga Barbey oscilla tra i due poli, così come la sua scrittura, costantemente inquieta, oscilla tra l'incanto gelido dell'oblio e il calore dell'infanzia ritrovata, e sa bene che il romanzesco si nutre più dell'immaginazione che della razionalizzazione che porta nel mondo degli adulti. Ci lascia tra le mani un libro bizzarro, che non ha forse trovato il suo vero equilibrio, ma è scritto magnificamente e c'istilla la nostalgia di un sogno di ghiaccio, anche se quel sogno, per la protagonista, era il rifiuto della vita.
Pierre Lepori
http://www.rtsi.ch/
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