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Alexandre Voisard
La poésie en chemins de ronde, Editions Empreintes, 2010.

4ème - Critique, par Françoise Delorme -
In breve in italiano - Kurz und deutsch

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  Critique, par Françoise Delorme

In breve in italiano - Kurz und deutsch

Alexandre Voisard - La poésie en chemins de rondeLe dernier livre d'Alexandre Voisard La poésie en chemins de ronde rassemble des réflexions en fragments de prose, réflexions sur une impossible définition de la poésie. Certaines de ces courtes assertions se contredisent résolument, levant parfois un désaccord qui se dissoudra bientôt dans un assentiment à une autre proposition. En se construisant comme un paradoxe aux mille facettes, elles laissent ainsi, quelques questions comme en suspens sur le faire du poète – ses espoirs comme ses échecs, ses espoirs comme sa mélancolie -, ramifiant ainsi pour le lecteur de nombreuses directions, des chemins, d'où le pluriel troublant du titre, peut-être…Chemins de ronde, on aurait cru n'en parcourir qu'un…

Je me suis étonnée, au premier abord de ce titre. Il induit inévitablement, bien sûr, l'idée d'une veille, permanente, difficile, perspicace, ardente aussi. Mais qu'il s'agisse de « calmer la fougue des mots », de « l'attente inquiète de l'avènement du poème », de « braver les mots », de « prospecter, creuser, insister», de « harceler l’ébauche, la pousser à bout », de ranger les mots « en ordre de bataille », Alexandre Voisard décline la métaphore militaire jusqu' à d'extrêmes conséquences. Le travail du poète s'assimile ainsi à une épreuve, un combat, une lutte âpre, parfois victorieuse, mais toujours à recommencer. Ce serait une guerre permanente et nécessaire pour ordonner et inventer le rapport si vite convenu, aveuglant et assourdissant, entre mots et choses : il m'arrive ainsi de penser que je suis né pour braver les mots. Non pour y mettre de l'ordre en bon sergent de ville mais plutôt pour les aligner en ordre de bataille . Il s'agirait alors plutôt de leur insuffler une sorte de désordre fécond ?
Ordre et désordre, comment savoir d'ailleurs ce qu'il faut combattre, à propos de quoi en découdre, quel pas il faut gagner ? Comment définir cette quête ?

Lutter, c'est aussi éveiller. Une autre métaphore irrigue ces fragments, celle de la lanterne, de la lumière, fragile et précaire qui éclaire le(s) chemin(s), les fait apparaître… « Passant nuitamment, paupières lourdes, fiez-vous à la lanterne qui tutoient tous les secrets des sentes. ». Malgré une assurance, fière et réaffirmée sans cesse, la lumière des poèmes reste ténue, risquant à tout moment, d'être cachée, blessée par les mots qui devraient porter un caractère d'évidence, célébrer : «  La poésie est clarté. Seuls les mots sont troublants. ». Ne parlons pas d'un possible retournement des effets bénéfiques de cette lumière, menaçante aussi : « Comme l'ombre rampant vers sa proie, la lampe de poche du poète sur les mots engourdis. »: ces mots concentrent puissamment en eux la dynamique oxymorique et en partie décevante du travail du poète. Les poèmes, en tenant dans une même forme tous les paradoxes que la poésie se doit de confronter et d'interroger, naissent du seul effort du poète ; la poésie ne naît pas des phénomènes du monde : « Non, la poésie n'est pas cette litanie du vent modulée dans les arbres, ni ces flamboiements du couchant à l'horizon. Elle est dans la main qui en transmet au papier la perception, effervescence de mots, de figures et de sons. ». Mais ce n'est pas si simple. La poésie risquerait de s'abimer dans les miroitements de son propre surgissement. Il est probable qu'aucun poète ne s'en contenterait, ni aucun lecteur. Aussi, le quatrième de couverture, qui reprend un des fragments, rappelle que le poète a aussi pour tâche de « rendre hommage aux choses, aux aléas qui, en me marquant au fer, m'ont donné leçon. »

De plus, être poète, c'est «  faire corps avec ses semblables  » (dont on imagine qu'animaux et végétaux, éléments –plus particulièrement l'eau et le feu ). C'est pétrir mais aussi rompre le langage commun, chercher une voie, chercher et trouver une voix, sa propre voix : «  de tout temps m'est venue l'idée que j'aurais à inventer une langue qui serait tout à fait mienne.  » Et Alexandre Voisard affirme à plusieurs reprises que nommer les choses, «  donner un nom aux êtres et aux choses, c'est se les approprier, c'est les faire siens.  » Peut-on jamais faire sien quelque chose ? Et ne serait-ce pas aussi renoncer à cette appropriation qu'accepter de se confronter au trouble du langage ? Ce n'est pas si sûr. Tiraillé entre ces deux positions, le poète avance, et écrit : «  Je m'obstine à frapper à la porte des mots, qui en sortent engourdis et débraillés. Ce ne sont peut-être pas ceux-ci qui me diront d'où ils émergent ni vers quel affluent ils se laisseront dériver ». Finalement, dans un fracas d'embruns, toutes gouttelettes divergent, se heurtent, se bousculent, tout pourrait éclater contre des écueils toujours renouvelés, toujours porteurs de dangers. Les poèmes d'Alexandre Voisard, dans la lignée de ceux d'un Jean Follain, se proposent alors de condenser dans leurs formes si denses et si concises «  une place pour chaque chose  », même et surtout s'ils parviennent simultanément à en prononcer l'éphémère merveille, la précarité absolue, la soumission certaine à une dissolution annoncée.
Et contrairement au poème, chaque fragment de ce livre brille comme une seule facette d'une pierre légère qui brille un instant dans la lumière du soleil et disparaît, trace parmi des traces distinctes d'un arc-en-ciel changeant. Une fois de plus, ces textes sur la poésie pointent la difficulté de cerner dans l'élan d'un seul mouvement ce qui fait justement la spécificité du poème, sa splendide et cruelle nécessité. Ces fragments fusent, l'un après l'autre, mouvants et contradictoires dans «  l'enclos de la clarté et de la règle  », alors que dans le même paradoxe qui se renverse, le poème en «  nous attirant vers les marges  » nous ouvre dans le labyrinthe profus qu'il compose la possibilité d'une complétude sans fin :

afin que nul n'oublie
l'autre chant si pur
des étincelles malmenées
par le vent. »
(Fables des orées et des rues, Bernard Campiche Editeur)

Dans ces proses rapides, le poète réaffirme une grande et allègre confiance en la poésie, peut-être contrepoids à la sombre mélancolie qui irrigue bon nombre de poèmes. Se lève alors une joie, celle de mener à bien une aventure, de «  trouver un ton au bout d'une note que chacun s'accorde à trouver juste  » En ne reculant pas devant la difficulté de la tâche, en ne se cachant pas les échecs possibles de ce combat, Alexandre Voisard reconduit cette joie, du moins lui invente des chemins pour qu'elle se déploie en «  ouvrage de lumière  » et diffuse dans le corps de la société comme de chaque lecteur, non comme un baume, mais comme son sang même :
« Et sur la place publique il arriva, à la stupeur des cantonniers somnolents, que les vers enfin libres crépitent comme des feux d'artifice et illuminent des pans entiers de solitude.
Et nous ouvrîmes des sentiers, puis quelques chemins à ceux-là qui ne croyaient plus pouvoir mettre un pied devant l'autre. »
S'il peut arriver, et ça arrive toujours, que l'on s'abandonne à des doutes destructeurs, un tel enthousiasme est propre à revigorer l'esprit qui se serait peu à peu engourdi. D'ailleurs les mots « éveil » et « engourdi » reviennent souvent dans ce petit livre fervent. Ils se confrontent, et, de leur lutte, jaillissent des mots renouvelés qui «  viennent comme du pollen sur la bouche.  »
Des photogrammes, si délicats, de Jacques Bélat, accompagnent de leur mouvant et fécond murmure, les textes plus terriens, plus violents aussi, du poète. Plumes légères, nervures si fines d'une encre que l'oiseau ; le mot « oiseau » teinte de toute sa fragilité comme de son irrépressible envol, toujours espéré. Qu'il soit au moins comme celui en filigrane sur la vitre d'«  une arabesque de givre  »…

 

  En bref

In breve in italiano

L'ultimo libro del giurassiano Alexandre Voisard, nato nel 1930, una delle più importanti voci della poesia romanda, riunisce frammenti di prosa che trattano dell'impossibile definizione della poesia. Alcune delle asserzioni fatte cadono in contraddizione, lasciando così in sospeso le domande sul fare del poeta – le sue speranze, i suoi fallimenti – offrendo al lettore una ramificazione in più direzioni, da cui, forse, il titolo della raccolta.
Titolo che fa pensare all'idea di sentinella (i chemins de ronde sono i camminamenti che permettono alle guardie di pattugliare le mura di una fortificazione, N. d. T.), la cui lampada appare più volte nei testi, e che contribuisce alla metafora militare sulla quale l'autore torna con insistenza. Il lavoro del poeta viene infatti assimilato a una guerra permanente intrapresa per cercare di riordinare e reinventare il rapporto tra parole e cose.
I componimenti di Voisard, sulla scia dei lavori di un Jean Follain, cercano di condensare nelle loro forme concise «a ogni cosa un suo posto», soprattutto e anche quando riescono a enunciarne simultaneamente una meraviglia effimera, la loro subordinazione certa ad una dissoluzione annunciata.
Nelle sue rapidi prose, il poeta riafferma poi un'allegra fiducia nella poesia. S'alza allora una nota gaia ad accompagnare un'avventura che vuol essere a lieto fine. Una scelta di delicati fotogrammi di Jacques Bélat accompagnano i testi più terreni, a volte anche violenti, del poeta.

***

Kurz und deutsch

Das neueste Buch des Jurassiers Alexandre Voisard, 1930 geboren und eine der wichtigsten Stimmen der Lyrik der Romandie, versammelt Gedichte und Prosafragmente über die Unmöglichkeit, die Poesie zu definieren. Einige Aussagen widersprechen sich, lassen etliche Fragen über das Schaffen des Dichters offen – seine Hoffnungen, seine Misserfolge – und bieten dem Leser ein breites Spektrum von Richtungen, von daher vielleicht der Plural des Titels ( Chemins de ronde ist der Wehrgang rund um die Stadtmauern, Anm. d. Ü.).
Der Titel lässt auch an einen Wächter denken, dessen Laterne im Text oft vorkommt, doch deutet er auch auf militärische Metaphern hin, welche der Autor mit ziemlicher Insistenz dekliniert. Die Arbeit des Dichters wird hier mit einem permanenten Krieg gleichgestellt, in dem es darum geht, die Beziehung zwischen Sprache und der Ordnung der Dinge neu zu definieren.
Die Gedichte von Voisard, ganz auf der Linie derer von Jean Follian, nehmen sich laut Aussage des Autors vor, in ihren knappen Formen «einen Ort für jeden Gegenstand» zu verdichten, selbst und besonders dann, wenn es ihnen gelingt, gleichzeitig ihre vergängliche Entzückung zu äussern, die sichere Unterordnung einer angekündigten Auflösung.
Später bekräftigt der Dichter wieder sein Vertrauen in die Poesie. Freude steigt also auf, ein Abenteuer zu einem glücklichen Ende geführt zu haben. Eine Auswahl feinfühliger Photogramme von Jacques Bélat begleiten die bodennahen, aber auch die gewaltsamsten, Texte des Autors.

 

Page créée le: 14.10.10
Dernière mise à jour le: 28.10.10

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