Lorenzo Pestelli Lorenzo Pestelli / Le long Eté Quand Nicolas Bouvier et Bruce Chatwin réinventent la littérature de voyage, un autre vagabond sillonne l'Asie en un itinéraire expiatoire. Trente ans après sa parution, voici réédité son chef d'oeuvre. Par son ampleur, son lyrisme et son humanité, Le long Été évoque L'Odyssée autant que Le Livre des merveilles. Jil Silberstein - Postface Jil Silberstein - Postface Je ne sais que faire de vos mains hypocrites! Donnez-moi vos lèvres ou rien ! Pestelli - Le long été
Le Long Eté Le Long Été est une architecture
lyrique d'un demi-millier de pages, composée de fragments polymorphes
qui semblent avoir poussé comme des lichens au fil du voyage et
sur l'écran du souvenir, portant la marque de l'improvisation et
d'un grand travail formel à la fois. A travers dix-sept chapitres
pour dix-sept destinations, écrits entre '64 et '68, mais tendus
par la composition du livre sur l'arc métaphorique d'une journée
que scandent de l'aube au crépuscule les animaux du zodiaque chinois
(l'oeuvre comprend ainsi huit parties, de l'"Heure du Tigre"
à l'"Heure du Chien"), Lorenzo Pestelli laisse surgir
et travaille des bribes du voyage qui l'a conduit, en quatre années,
à travers la Chine, l'Asie du sud-est, l'Indonésie, l'Inde
et l'Himalaya, avant de retrouver l'Italie natale et la Suisse, où
il s'est établi jusqu'à sa mort accidentelle en 1977. Multipliant
citations et exergues dans lesquelles Marco Polo tient la première
place à côté de Segalen, Michaux, Ho Chi Minh, Eschyle,
des poètes de l'Extrême-Orient ancien, etc., Lorenzo Pestelli
nous livre entre prose et poésie une écriture baroque et
dense, touffue, sensuelle et multiforme, qui invente et explore ses styles,
ses genres littéraires et sa composition, et parcourt en boucle
avec un étrange mélange d'aigreur et d'amour du monde les
sentiments de la solitude, de l'incommunicabilité, du démembrement
de l'identité. Le parcours commence dans une Chine Populaire que Pestelli a manifestement idéalisée avant même d'y entrer, chargé comme il l'est en début de voyage d'illusions romantiques sur la fraternité entre les hommes, et animé d'une vive foi marxiste révolutionnaire qui ne le quittera pas, mais qui ne trouvera jamais de réalisation. Croyant trouver un pays décloisonné et libéré, il s'écrase amèrement dans la désillusion d'une Chine zébrée d'interdictions, une Chine qui l'exclut, ou aucune rencontre ne survient. Seul (malgré la présence de ses filles et de sa compagne, que le texte, étrangement, ne donnera presque jamais à voir), renvoyé à lui-même par l'impossibilité de communiquer, l'écrivain donne ainsi à lire d'emblée des pages douloureuses et introverties où s'expriment dans un style tourmenté les inquiétudes qui l'accompagneront tout au long de son voyage: "Nombreux sont ceux qui ne terminent pas leur voyage!/Nous serons peut-être de ceux-là, inquiets à jamais, ombres pourchassant l'avenir, impossibles à domestiquer,/ nuages à la poursuite de leur détresse individuelle.../"; "Et nous mourrons peu à peu pour ne pas avoir à quitter le pays qui nous exclut; il faudra bien, après maints départs, répondre de notre séjour; après avoir enjambé autant de frontières, retrouver le fil perdu, noué à maints endroits, îles et archipels de passage, où s'est accrochée pendant un instant notre volonté de survivre. Mais personne ne survit après de si nombreux départs; tour à tour un peu de notre moi se détache et glisse dans la brume des paysages qui s'entassent dans la malle de l'oubli." Le sentiment d'être enfermé en soi-même, enfermé dans l'absence, poursuit Pestelli partout, et c'est peut-être le principal moteur du voyage vers une impossible abolition des frontières intérieures et extérieures; ainsi au Japon, où la géographie mentale de l'auteur se calque sur ces îles et archipels qui illustrent un monde sans sortie ni extrémité, dont on ne peut que faire le tour. Mais après l'autisme forcé du chapitre chinois, l'entrée au Japon correspond aussi, heureusement, à un point d'ouverture, à un tournant à partir duquel le pouvoir d'évocation de l'écriture prend le dessus pour nous conduire au coeur de la perception du monde de Pestelli, sensible et vibrante, tendue comme l'écran du théâtre d'ombres javanais entre le réel et l'imaginaire: l'écriture gagne en perméabilité, à l'image de l'écrivain qui semble pouvoir dès lors s'ouvrir à l'extérieur, aux atmosphères quotidiennes parfois gorgées d'érotisme, aux climats, aux animaux, aux éléments. Le livre se déploie dès lors en d'infinies nuances du regard, des visions mythiques, archétypiques et sexuelles des paysages et de l'univers à la tendresse immense que lui inspirent des scènes simples, et au désir de partage et de communication dont l'auteur sera toujours et toujours exclu, comme s'il était fondamentalement incapable de rencontrer quelqu'un d'autre que lui-même. Poèmes surréels et érotiques, notes éparses, épisodes divers, éclairs métaphysiques: le livre continue ainsi de se développer - sans jamais sortir vraiment des circuits obsessionnels de la solitude et de l'emprisonnement intérieur. Quand, à la fin du voyage, l'Occident se rapproche beaucoup plus vite que prévu, quand le retour prend un caractère inéluctable, alors resurgissent les interrogations de l'écrivain sur une origine qu'il a si ardemment essayé de nier, une identité qui devait se dissoudre et qui a subsisté malgré tout. Des souvenirs d'enfance et de la vie intra-utérine; puis d'étranges pages italiennes, souvent rédigées en italien, éparses, souvent en vers, nous conduisent jusqu'au Tessin et aux Alpes, théâtre de la dernière scène du voyage: les méditations de Pestelli coincé dans une crevasse du glacier de la Ventina: face à face avec la mort, libératrice ténébreuse, exaltante et douce dans le fantasme littéraire, qui franchit soudain la barrière de l'imaginaire et remonte, froide, redoutable, insupportable, dans le réel: comme pour sanctionner au terme du périple l'échec d'une évasion impossible. Publié d'abord par Bertil Galland dans les Cahiers de la Renaissance vaudoise, longtemps épuisé, Le Long Eté a fait l'objet d'une très belle réédition chez Zoé en début d'année, avec préface de Nicolas Bouvier et postface de Jil Silberstein. Francesco Biamonte Né en Italie, de père florentin et de mère belge, Lorenzo Pestelli s'est établi à Genève en 1968 où il vécut jusqu'à sa mort.
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