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Frédéric Wandelère, Alain Lévêque, Jean-Pierre Jossua
Poésie prétexte ; trois soirées autour d’Anne Perrier. La Dogana.

  Poésie prétexte : Trois soirées autour d’Anne Perrier
 

Poésie prétexte, ou Anne Perrier prétexte ? Frédéric Wandelère, Alain Lévêque et Jean-Pierre Jossua (les deux derniers français de France), s’approchant de la poétesse de manière très diverse, parfois même furtive, tissent cependant entre eux trois quelque chose comme la trame d’une poétologie.

Frédéric Wandelère s’inspire d’un mot de Frisch et commente longuement la notion de " simplicité ", " simple " venant de sine plica, sans pli, comme il nous le répète, citant en particulier Les Loisirs de la Poste, adresses postales en quatrains de Mallarmé comme exemple d’une simplicité directement reliée à la réalité. Plus dépouillé encore, soumis à d’extrêmes contraintes (dont le non-recours à la métaphore), le haïku. Selon Wandelère, Anne Perrier serait un " électron libre entre les pôles du haïku et les quatrains postaux de Mallarmé – une définition pour le moins étrange, et pas très éclairante. Néanmoins, Levêque, comme lui, reconnaît la simplicité de la poésie d’Anne Perrier. Il se confronte de façon cohérente et sensible à cette œuvre, poursuivant au gré des livres parus les fluctuations de sa voix à partir d’un état de confiance dans la parole jusqu’à la crise des Lettres perdues, deuil non seulement d’un ami poète mais aussi d’une forme d’innocence, " deuil de la terre rêvée sans mal réenchantée par la poésie ". La voix d’Anne Perrier cependant ne sombre pas lors de ce passage ténébreux : avec le Livre d’Ophélie s’annonce une relation à la parole nouvelle, non pas résignée, mais mûrie, avec la conscience que le mal existe dans le monde – en dépit de toute instance cachée.

Le transcender

Le théologien Jean-Pierre Jossua traite évidemment de la transcendance ; ou plutôt, comme il dit, du " transcender ", des modalités par lesquelles s’opère donc dans le texte ce mouvement vers le dépassement. A travers de nombreux exemples empruntés aussi bien à Victor Hugo qu’à Yves Bonnefoy ou à Anne Perrier, il détecte plusieurs manières de " préserver la trace d’un je qui l’a puisée en soi et portée au-delà de soi, risquer sa quête d’absolu et éventuellement s’orienter vers un Dieu qu’elle cherche ou qu’elle accueille. " Ce pour quoi il faut selon lui à la fois une confiance dans le langage et une transgression.

De la métaphore au Weltinnenraum de Rilke en passant par l’oxymore, les images liminaires ou " l’émerveillement mêlé de crainte ", Jossua dresse quelque chose comme un catalogue du transcender, Anne Perrier étant pour lui quelqu’un qui fait " surgir son [propre] ‘Dieu’ ".

Poètes romands ?

Simplicité, confiance dans le langage, transcendance : la trame tissée ainsi par ces trois essayistes s’applique non seulement à un grand nombre de poètes français, mais à la plupart des poètes romands. A vrai dire, ils sont très rares ceux qui battraient ces critères en brèche. Chessex a parfois des baroquismes plus fulgurants, Chappaz des territorialités plus rugueuses que simples (ou alors, c’est une autre manière de simplicité) ; des poètes comme G. Haldas ou Jean-Georges Lossier demeurent dans une transcendance chrétienne –ambiguë chez Lossier, d’ailleurs ; Pierrette Micheloud remplace Dieu par des divinités plus personnelles, et ce sont elles qui lui assureront dans le meilleur des cas, le passage vers un statu accepté de " gynandre " ; d’autres poètes, comme Jean Pache, jouent avec le paradoxe d’une poésie visant à la transcendance mais au travers d’un sujet (ou un objet) totalement rétif à cela en poésie : l’érotisme ; d’autres encore, comme Ph. Jaccottet, espèrent que l’inassable souci de nommer la terre et la nature deviendra la clef d’une prière.

Il y a des exceptions toutefois. Quelqu’un comme A. Voisard nomme certes somptueusement la nature mais non dans la perspective de la transcender, plutôt dans celle d’y lier un " je " multiplié, ou inversément, de lier la nature à son " je " comme un prolongement de soi. De même, il semble que chez José-Flore Tappy, la poésie renvoie à soi dans une plein perception où l’âme n’est pas séparée, ni séparable du corps. Evidemment, toute parole écrite amorce un mouvement métaphysique par sa nature même, mais pas forcément dans un mouvement de haussement.

Pas d’excès

Ce ne sont là que quelques noms, peu de noms en regard de la richesse créatrice de la poésie romande. Ce qui est frappant, par rapport aux paramètres posés par Wandelère, Lévêque et Jossua, c’est qu’à part Pierre-Louis Matthey et encore, nous n’ayons aucun poète de la profusion comme l’ont été St John Perse ou Aragon par exemple. Mais on sait bien que le Suisse romand craint les excès, dans l’écriture peut-être plus qu’ailleurs encore. Si St John Perse et Aragon sont unanimement admirés, les imiter semblerait de mauvais goût. Et lire de tels poètes fait perdre pied, littéralement. Voilà ce qu’on n’aime pas trop, chez nous.

Frédéric Wandelère, Alain Lévêque, Jean-Pierre Jossua, Poésie prétexte ; trois soirées autour d’Anne Perrier. La Dogana, 79 pages.

Monique Laederach

25 nov. 2000

 

Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

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