Quelle merveilleuse tendresse pour
le passé dans ces pages où lhomme mûr
(celui qui fête cette année ses 70 ans!) remonte
jusquà lenfant, non tant, comme cest
le cas si souvent, avec un éblouissement redevenu
enfantin, quavec la gravité, justement, de
celui qui découvre dans lenfance les signes
premiers de ce qui pourrait sêtre répété
plusieurs fois dans une vie:
notre mère prenait son temps
pour pleurer
et jajoutais mes sottises à sa peine -
Cest en ce temps-là,
aussi, que naît le poète:
en ce temps-là (..) que je
devins
celui dont le regard sagrippe au ciel.
Un ciel, cependant, quil ne
faut pas entendre mal: ce nest que le rêveur,
lescaladeur dirréel qui parle, et non
pas lassoiffé dun Dieu quelconque. La
nature de Voisard, celle quil chante, quil nomme,
sur laquelle obstinément il laisse sa trace verbale,
est tout à fait païenne; je dirais même:
ici plus que jamais.
Alors, quelle trace (quel chemin)
devant soi? Ce nest certes plus lengrangement
alterné des saisons; ce nest plus lextension
du marquage; cest devenir:
Dès lors, ayant été
autant quon puisse lêtre au fond,
nous osons dire: voyez, nous ne cessons de devenir.
Et cest là que vient
la fièvre: une hantise du rétrécissement,
lenvie de "retrouver des lenteurs de bête
sauvée des eaux / et hurler" - au moins "juste
le temps dun souffle". Même si, à
lire, le poète pose cette fois son regard en maître
sur le monde - sur le passé et le présent,
les vivants et les morts - se lappropriant au moment
quil le nomme, alors que jusquici, la poésie
de Voisard, pourrait-on dire, entrait plutôt en résonance
avec le monde dans une forme de dialogue.
Il ne faudrait pas que la fièvre
gagne: elle aliènerait à la fois le monde
et lécrivant, et ne lui laisserait même
plus cette "seule noix, un unique papier minuscule
pour dire [son] âge/ pour [s]émerveiller
encore / et survivre."
Alexandre Voisard: Sauver sa trace,
poèmes, Campiche, 185 p.
Monique Laederach
2 déc. 2000
Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
|