La terre et la mer : leurs
rapports, leur opposition semblent charpenter votre dernier
livre comme ils dessinent une chronologie des livres. La mer,
qui irrigue toute votre oeuvre, devient de plus en plus présente,
mais la terre, la falaise lui oppose sa fragilité tenace.
Pourriez-vous commenter l'importance de ces liens ?
Oui, la mer devient omniprésente
dans Escorter la mer, et le mouvement s'était
déjà amorcé dans Valleuse. Il
ne s'agit pas cependant à proprement parler d'une
opposition. La Normandie maritime, ce lieu d'ancrage, combine
de toutes façons la terre et la mer. Il y a effectivement,
c'est vrai, une espèce de chronologie, la mer occupait
moins de place dans les précédents recueils.
De même la mère, plus présente aussi
aujourd'hui.
Tout est parti de la recherche du jardin du père
que je nomme, par une sorte de raccourci, un jardin de
mer, accroché à l'aplomb de la falaise.
Il risque d'être avalé par la mer ( d'où
peut-être le terme de Valleuse. La quête première,
c'est celle du jardin, celle aussi des éléments
qui structurent ce jardin, la fraise, le marron, le poireau
( qui sont la matière de livres précédents
où à venir). Au fur et à mesure, dans
l'enchaînement des livres, dans la poursuite de l'écriture,
ces éléments-là, finalement, sont déjà
un appel de la mer. Le marron, c'est déjà
un galet, ... à coup sûr ! La fraise aussi
...j'ai appris que la fraise était un fruit indéhiscent,
terme botanique pour signifier qu'elle ne s'ouvre pas. C'était
bien mon problème, avec le galet ! - ceci par métonymie,
par proximité.
Dans un de mes livres, je me suis aperçu qu'il était
question de " l'échappée bleue des poireaux
" ; un regard d'enfant, à l'horizon du poireau,
le voit dans la continuité bleue, pour faire vite,
de la mer. Oui, quand on est au jardin, on est pour de bon
dans une escorte extrêmement proche de la mer.
La question portait plutôt
sur l'opposition entre la terre et la mer. Vous parlez plutôt
de ce qui les rapproche, ce qui est important, certes. Mais
cette opposition structure bien le livre, en réalité,
non ? La mer et la roche luttent l'une contre l'autre.
Oui, il est toujours question de
cela. Mais j'essayais de nuancer " opposition ",
car en permanence, il y a porosité, infiltration,
pénétration. Mais l'opposition cerne un combat.
La grande donnée géologique et mon obsession
personnelle, c'est la perte du jardin, perte dans la mémoire,
mais aussi perte géologique. La mer avale la falaise.
J'en viendrai alors à la
question suivante : paysages, réels, paysages imaginaires.
pays d'enfance. Une sorte de nostalgie de l'enfance filtre
de vos poèmes. Comment l'amenez-vous à nourrir
l'aujourd'hui, et pourquoi désirez-vous cette fécondation
du présent par le passé ?
Je pense que je dois faire ici un
détour autobiographique ; ce n'est pas vraiment un
détour, d'ailleurs, car le texte aborde aussi cette
problématique : le manque du père. Mon père
est mort quand j'avais 20 ans, ce n'est plus vraiment l'enfance.
Il est tombé dans le jardin, dans le carré
de fraisiers. Ce que je creuse, c'est l'absence du père
au jardin. Mais j'ai du mal à accepter le mot de
nostalgie, il s'agit plutôt d'un manque existentiel,
le manque d'un lien fort au père.
En creusant le jardin, si réel, ancré dans
une toponymie et une topographie, le Pays de Caux, je prends
conscience de la friabilité, de la fragilité
de la craie, de sa tendresse, et de la résistance
du silex, de la résistance de l'écriture du
poète, je creuse car la géologie m'y pousse.
Et je reviens au mot " valleuse ". C'est un va
et vient.
Ce pays, je le retrouve beaucoup dans la langue, je le retrouve
comme une langue. Certes, il y a un regret, mais ce qui
arrive, c'est que je trouve une géographie de la
langue. Je suis travaillé par une sorte d'ambivalence
: le creusement parfois douloureux de la mémoire,
des évidences existentielles, mais ce pays me donne
aussi la jubilation de la langue. L'éboulis, l'effondrement,
le tintamarre, pilotent mon vers, je crois. De la matière
à la manière, on pourrait le dire ainsi.
Quels livres vous accompagnent
ou vous ont séduit récemment ? Un philosophe
? Un poète ? Qu'en diriez-vous pour partager le plaisir
de ces rencontres ?
Je parlerai d'abord d'un philosophe,
d'un livre qui m'accompagne : Ecrits pour moi-même
de Marc-Aurèle, dans une édition, j'y tiens,
présentée et commentée par Pierre Hadot,
vieux monsieur, professeur aux Hautes Etudes, qui a consacré
toute sa vie à la philosophie gréco-romaine
(Ed. Belles Lettres, 1998). J'aime le commentateur, sa belle
écriture, son érudition modeste, une leçon
de vie au service de la recherche de la sagesse.
De plus, je suis très attiré par l'aphorisme.
C'est Francis Ponge qui m'a probablement amené vers
le style lapidaire, je n'entends pas forcément par
là un texte court, mais un texte traversé
par la formule, comme s'inscrit le silex dans la falaise
de craie. Je trouve aussi matière à rêver
à propos de la Grèce et de Rome, un monde
baigné de mer... J'aime aussi cette idée qu'on
s'écrit à soi-même pour tenter de tenir
à peu près debout, dans une verticalité,
vraie descente, en soi, mais aussi vers les autres.
Quant au poète, il s'agit de Jacques Darras, le livre
William Shakespeare sur les falaises de Douvres (Ed.
Le cri d'Hui, 1995). J'aime beaucoup son lyrisme, son ...
polymorphisme ... Il joue avec plusieurs formes d'écriture.
Il renoue avec des formes comme le verset. J'aime aussi
sa manière de s'épancher. Etre bavard n'est
pas forcément négatif. C'est une écriture
qui s'ouvre au monde. Lui s'ancre en Picardie, c'est déjà
la Mer du Nord, je retrouve dans ce livre des problématiques
personnelles. La mer, même si on parle de soi, c'est
toujours le transport ...
Oui, j'ai été emporté par ce livre.
Propos recueillis par Françoise
Delorme
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