En mai dernier, Bernard Campiche Editeur présentait
le deuxième volume de la nouvelle collection Théâtre
en camPoche, dirigée par Philippe Morand. Après
Mokhor et autres textes de René Zahnd, voici
Huit monologues de Jacques Probst, première
étape de l'édition complète des pièces
de l'auteur genevois. Quels ont été vos sentiments
à l'occasion de la réédition de vos
textes?
J'ai d'abord été réticent
à l'idée de la réimpression de mes
pièces de théâtre. J'avais eu des expériences
assez négatives dans l'édition, avec des erreurs
de frappe qui altèrent les mots, les sens, le rythme,
etc
Et puis je me demandais : " Editer du théâtre,
pour quoi faire ? C'est la scène le vrai lieu de
l'édition du théâtre ! Y a-t-il des
lecteurs de théâtre
". Mais lorsque
Philippe Morand m'a montré le premier volume consacré
à René Zahnd, j'ai donné mon accord.
Car je trouve ces livres beaux, ils ont une vraie qualité
d'impression et de présentation.
Les Editions Campiche proposent
une traversée chronologique d'une uvre où
l'on perçoit l'évolution du style et des thématiques.
Pour ce volume, est-ce qu'il y a eu une étape de
réécriture de ces pièces qui datent
pour certaines de 30 ans ?
Non, il n'y a pas eu de réécriture.
Si je me mets à retoucher ces textes, je risque d'y
passer le reste de ma vie... C'est écrit, c'est écrit
! Ce qui m'intéresse, c'est la prochaine pièce.
J'ai cependant parfois coupé trois-quatre lignes.
Ces coupes étaient-elles
dues à l'écart temporel ? Au fait que vous
ne vous retrouviez pas dans certains propos du texte original
?
Non, plutôt parce que c'étaient
des précisions inutiles. Il n'y a pas eu beaucoup
de coupes à vrai dire. J'ai envoyé à
l'éditeur les pièces éditées
et, pour celles dont j'avais perdu l'édition ou les
inédits, j'ai donné les originaux en tapuscrit.
Ensuite pour la correction des épreuves, j'ai dû
relire mes pièces. Et il y en avait certaines que
je n'avais jamais relues. J'ai centré ma relecture
sur la mise en page, sur le rythme propre du texte. Cela
fait bizarre de se relire après trente ans
Comment cela ?
J'avais peur de me dire. " Non,
ça ne mérite pas d'être édité
", et puis aussi en relisant, parfois je me suis dit
: " Tiens, il y avait déjà quelque chose
qui affleurait ". J'ai aussi compris d'où viennent
certaines amorces, surtout dans le style. C'est précieux
de saisir l'évolution de ma façon d'écrire,
de voir où j'ai élagué ou j'ai conforté
d'autres choses.
La particularité de ce
volume tient aussi à ces petits textes introductifs
qui présentent les circonstances de l'écriture.
Je trouvais aussi l'idée des
notices de présentation intéressante. Contrairement
à René Zahnd qui présente les thèmes
de ses pièces, j'ai préféré
raconter des anecdotes. Cela m'amusait de me remettre dans
le contexte de ce qui s'était passé lors de
l'écriture ou de la création sur scène.
Cela me permettait aussi d'écrire sur Umberto Barberis
ou d'évoquer des amis comme Raul Esmerode ou Charlie
Nelson.
Pourquoi avoir choisi de consacrer
ce volume exclusivement au monologue ?
Bernard Campiche veut éditer
l'ensemble de mes pièces. Je lui ai proposé
de regrouper d'abord tous les monologues dans un seul livre.
Les prochains volumes contiendront les pièces à
plusieurs personnages. La prochaine étape est prévue
pour novembre. Mais cela dépend des moyens financiers
propres à l'éditeur. Je lui ai envoyé
à peu près quinze pièces, en lui faisant
des propositions de regroupement. Je ne veux pas d'une édition
chronologique, mais je souhaite que chaque volume regroupe
des pièces des années 70 à 2005. Il
y a des pièces qui se répondent comme Missaouir
la Ville et Le chant du Muezzin qui, par exemple,
devraient tenir dans le même volume.
Dans Huit monologues, vous
avez également inséré deux petits textes
narratifs La Maison rose et Quelques notes de
jour, quelques notes de nuit.
Je les avais donnés à
lire par amitié à Philippe Morand qui les
a présentés à Bernard Campiche. Aussitôt,
il a voulu les insérer dans le livre. Je lui ai répondu
que ce n'était pas du théâtre, mais
il voulait absolument les mettre, en me disant que mes monologues
peuvent être lus aussi comme de petites nouvelles.
Vous avez mis une petite note
préliminaire qui précise que ces deux textes
ne sont pas destinés à la scène, mais
ils pourraient très bien être dits sur un plateau.
Ils n'ont pas été écrits
dans cette intention, mais je les ai lus le samedi 27 août
dernier avec quatre musiciens à Lausanne dans un
festival " les lectures d'Eustache " qu'organisait
Popol Lavanchy. Un mélange des genres dans un endroit
assez intéressant. Le public a beaucoup apprécié
et je pense peut-être en faire un spectacle, avec
l'intégralité des textes écrits durant
cette période.
Vous proposez encore un bel hommage
au comédien François Berthet.
Oui, j'ai demandé à
Campiche si l'on pouvait mettre encore ce texte écrit
à la mort de mon ami François Berthet. Je
l'ai connu à 18 ans. Nous avions fondé le
Théâtre Mobile ensemble et il a mis en scène
l'une de mes pièces L'Amérique. On
a peu joué ensemble, mais nous étions très
proches, comme des frères
Parmi les textes de ce recueil,
beaucoup ont été réalisés avec
la complicité de musiciens.
Parce que je les ai écrits
en pensant les dire entouré de musiciens. Mis à
part Lise l'île ou Le Banc de touche,
les textes sont en lien avec la musique. Pour Torito,
le personnage est un musicien de jazz. Pour Torito II,
je travaillais avec un groupe de musiciens de rock, Karl
Specht, sous la direction de Matthias Langhoff. Personnellement,
je n'aime pas le rock, mais comme c'était un groupe
sympa et que ma fille de 16 ans adorait le rock, j'ai voulu
qu'elle puisse dire à l'école que son papa
avait un orchestre de rock
Votre écriture est très
musicale. Il y a un rythme, une respiration et un souffle
très singuliers. L'écriture se fait-elle au
son de la musique, ou scandez-vous le texte avant de l'écrire?
Je travaille à haute voix.
Une phrase, je l'écris quand je sens qu'elle sonne
juste. J'écoute aussi beaucoup de musique : lorsque
j'écris pour trois acteurs, j'écoute des trios
de jazz ou de musique classique. Je me sens plus inspiré
par la musique que par la littérature. si je pouvais
ne travailler qu'avec des musiciens, je serai un comédien
heureux, car ce sont de grands travailleurs, on ne peut
pas tricher avec eux. Ils travaillent de manière
très concrète sans faire de grandes discussions
Peut-être est-ce aussi une frustration pour moi de
ne pas être musicien. Lorsque j'ai travaillé
avec le batteur Pierre Gauthier sur La Lettre de New
York, il pensait à un quatuor (piano, contrebasse
et batterie), et recherchait un souffleur (sax ou trompette).
Puis, il s'est dit que le comédien était le
souffleur. Lors d'un entretien à la radio, on lui
demandait si c'était difficile de jouer seul à
la batterie pendant une heure, il a répondu : "
Vous rigolez ! J'ai le meilleur sax avec lequel j'ai joué
". J'ai été très touché
de cette réponse. Lorsqu'on travaillait sur La Prose
du transsibérien de Blaise Cendrars, il me faisait
écouter des morceaux de jazz pour voir comment entrait
le sax ou la trompette, comment il sort, et revient. La
musique ne doit pas être un accompagnement ou du théâtre
musical. Je conçois mes spectacles comme des concerts.
Souvent les musiciens me disent en lisant le texte que la
musique est déjà inscrite.
Avez-vous eu des modèles
pour cette écriture très rythmée ?
Je ne sais pas. Ce rythme, c'est
un peu comme l'on respire, comme le sang circule. J'écris
à la main, et il y a quelque chose du geste physique
du bras et de la main qui doit sans doute rester dans le
texte. C'est un acte concret. Lorsque je modifie mon texte,
je le réécris entièrement à
la main. Une phrase que je change modifie l'équilibre
sur la feuille et fait bouger le texte. Je le tape ensuite
à la machine à écrire. J'aime bien
encore le concret de cet objet, le bruit qu'il fait, les
touches qui s'enraient, le tampon encreur qui n'encre plus
très bien
C'est encore quelque chose de physique
et de concret. Je remarque souvent la différence
avec les auteurs qui écrivent directement sur l'ordinateur.
Certains m'ont fait la démonstration de l'efficacité
de l'ordinateur, du copier-coller. Mais quand je lis un
texte, je sens tout de suite la phrase rajoutée,
le collage
Et puis l'ordinateur nous donne l'impression
que notre texte est bon, car il apparaît propre et
clair à l'écran
Souvent vous avez porté
vous-même à la scène vos propres textes,
quelles sont vos impressions quand d'autres comédiens
s'en emparent?
J'en suis heureux, c'est bien. Par
exemple, Mauro Bellucci va jouer prochainement Torito
au Grütli, il en avait envie depuis longtemps. Pour
Le Banc de touche, j'ai été emballé
par la prestation de Raoul Pastor la saison passée.
Il était précis dans le texte, mais aussi
dans le geste, on voyait bien un entraîneur. J'avais
écrit ce texte pour la radio et je l'avais montré
à René Gonzalez [directeur du Théâtre
de Vidy-Lausanne, ndlr] pour rigoler un soir. Deux
jours plus tard, il me proposait de le monter avec Joël
Jouanneau et Roger Jendly.
Quand vous écrivez un monologue,
vous pensez d'abord à un acteur ?
Au départ, c'est pour moi.
Pour les monologues féminins, je pense à une
actrice pour le dire comme à Lise Ramu pour Lise,
l'île, ou à Laurence Montandon pour Aldjia,
la femme divisée. En la voyant jouer, j'ai été
content, car je l'ai entendue dire le texte comme je l'entendais
en écrivant
Pour les pièces à
plusieurs personnages, il m'arrive de penser à un
acteur. Mais c'est rarement lui qui le joue
Car parfois
il est mort. Il y a beaucoup de rôles que j'ai écrits
pour François Simon, l'acteur le plus génial
que j'ai jamais vu. J'ai travaillé avec lui et je
l'admirais beaucoup. Avec Philippe Mentha, ce sont mes deux
maîtres. J'avais un peu l'impression d'être
l'enfant de ce couple de grands acteurs
Dans ce livre, vous parlez aussi
de votre dépendance à l'alcool et de la cure
que vous avez suivie pour en sortir. Avez-vous eu des craintes
de perdre votre inspiration?
Oui, un moment et puis après
ça ne s'est pas justifié. Maintenant, j'écris
beaucoup plus qu'avant et avec beaucoup plus de précision.
Je suis plus exigeant. Avant je buvais, maintenant le temps
que je perdais à boire, je le consacre à l'écriture.
Je suis sans indulgence, je travaille, je reviens sur ce
que j'écris, je corrige, etc. J'avais peur de perdre
l'inspiration, mais c'est illusoire. Quand on dit l'inspiration
par l'alcool, c'est du romantisme à la petite semaine
Moi-même je pensais que j'avais besoin d'alcool pour
écrire. Par exemple, Jack London a écrit Le
Cabaret de la dernière chance, une sorte d'autobiographie
sous l'angle de l'alcool. Et c'est fou comme ça lui
a bouffé la vie. Je pense aussi à Artaud,
à ses textes que je trouvais formidables adolescent,
maintenant je trouve cela triste. C'est fort, mais quelle
souffrance terrible. C'est affreux à vivre, je pense
que s'il avait pu, il aurait écrit autre chose
Vous avez cité François
Simon, Philippe Mentha ou François Berthet, comme
maîtres et amis. L'auteur de théâtre
Michel Viala a aussi beaucoup compté pour vous
J'ai connu Viala à 17 ans,
il en avait 35. Dernièrement, je l'ai revu au Poche
lire ses poèmes et je le retrouvais tel qu'il les
lisait à l'époque. Je retrouvais ses textes
ligne à ligne, mot à mot, c'était émouvant.
Dans un entretien à la radio, Jean-Marie Félix
demandait à Viala ce que le nom de Jacques Probst
évoquait pour lui et il a répondu : "
Probst, c'est mon fils
". jean-Marie Félix
me l'a fait écouter un peu par surprise, j'ai été
choppé, c'était très émouvant.
Quand on s'est rencontré avec Viala, il jouait un
petit monologue, il a rajouté un rôle pour
moi et on a tourné dans toute la Suisse romande ensemble.
Il m'apprenait à parler, à dire les poèmes,
il m'a payé durant six mois les cours du Conservatoire
C'était aussi un superbe acteur qui m'a souvent épaté
comme dans La Cuisine de Wesker qu'avait montée
Charles Apothéloz. Michel Viala m'a écrit
un long poème Les Enfants du siècle,
avec comme dédicace " Pour Jacques Probst pour
qu'il le dise
"
Propos recueillis par François
Marin
© Le Culturactif Suisse, septembre
2005
|