Alexandre Voisard
: quelques traces dans la mémoire
Vieillir, prendre des rides, c'est
conquérir le temps de l'écoute, il y a ce
bruissement lointain de la mémoire, étouffé
durant les années vives de l'existence. C'est partir
aussi à la recherche des spectres diffus de l'enfance
oubliée, c'est chercher à reconstituer quelques
bribes de cette vie qui a filé comme le sable entre
les doigts, que l'on croyait assez solides pour tenir les
rênes du destin. Ainsi se présente le dernier
recueil de poésie d'Alexandre Voisard, Sauver
sa trace, des mots pour l'effritement
Le lecteur évitera de s'interroger
sur le sens des deux parties du livre, apparemment deux
recueils, eux-mêmes subdivisés en têtes
de chapitres. Surtout ne pas se perdre dans la quête
d'un signe qui expliquerait cette dislocation fort hermétique
des 200 pages. Ce sont là des caprices d'auteur.
Il suffit de se laisser happer par les poèmes qui
se suivent, riches en émotions, et suivre le fil
rouge de la nostalgie qui les traverse, qui en imprègne
les images, les sons, les parfums.
Car c'est dans une sensualité
éthérée, éphémère,
que la lecture de Voisard séduit, dans ces phrases
suspendues hors du temps, qui savent pourtant si cruellement
le cerner, ce temps d'autrefois.
Poésie imprégnée
des effluves de la nature et de l'indicible, eux exclusivement,
L'auteur, très classique dans son écriture,
dans la narration fluide et souple, ignore le drastique
bourdonnement de la vie quotidienne, inscrit dans la fin
d'un millénaire barbare. Réfugié dans
un ailleurs illusoire, dans un rêve éternel,
tissés d'une beauté mélancolique qui
n'a plus cours aujourd'hui, il entraîne le lecteur
dans une sorte d'amnésie, une vacuité aux
teintes chatoyantes, qui serait l'envers du trou noir où
tourbillonne l'homme solitaire à la recherche d'un
sens à l'existence.
Désormais, Voisard se contente
d'effleurer le monde qu'il n'égratigne même
pas, c'est à peine s'il en relève l'incessante
douleur : "Le monde est plein d'erreurs même
si les saisons s'ajustent par devoir une espérance
de linotte bat son plein sous mon front ah je suis né
voilà pour ne pas tomber des cerisiers en fête
avec un air de parfait ignorant."
Sauver
sa trace offre-t-il une alternative à la dureté
de la grande foire contemporaine ? Tel n'est peut-être
pas le rôle de l'écrivain, ni celui du peintre,
qui édifient une oeuvre avec leur vécu individuel,
leurs aventures, leurs grandeurs et leurs laideurs intérieures,
transcendées par l'acte de création.
Ici, une brise de tendresse
sourd de la création, tendresse qui reste toute
virtuelle, à jamais inatteignable pour un lecteur
assoiffé de paix ou de beauté. Tel est
l'acte de création, à jamais mystique
et immatériel.
Ici, une brise de tendresse sourd
de la création, tendresse qui reste toute virtuelle,
à jamais inatteignable pour un lecteur assoiffé
de paix ou de beauté. Tel est l'acte de création,
à jamais mystique et immatériel.
Il faut bien dire que le poète
jurassien s'y connaît en balades confidentielles et
autres cheminements voluptueux. Du bout de la plume, il
égrène les mots avec son esthétique
personnelle, faite de fines senteurs et de couleurs délicates.
Son livre fleure la fine dentelle d'un passé à
jamais révolu - a-t-il jamais existé ailleurs
que dans les songes de l'auteur ? -, et de regrets murmurés
du bout des lèvres.
Traverser les apparences de ces vocables
mène à ressentir ses propres lacérations.
Le livre refermé, on a envie d'écouter Piaf
: "Non, rien de rien, non, je ne regrette rien"...
Alexandre Voisard : Sauver sa trace,
Campiche Editeur, Orbe, 2000, 200 pages.
Bernadette Richard
11.11.2000
Page créée le: 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01
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