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Monique Laederach

 


Nos voix seulement dormaient

Lorsque j'ai voulu descendre
à la rencontre de moi-même
dans ce terreau très vieux d'où je
pensais que l'on naissait;
lorsque j'ai commencé à descendre
une couche après l'autre, silencieusement,
dans ces ténèbres rouges, une
couche après l'autre dans les terroirs vécus de la mémoire
cherchant cette femme gisant perdue,
jamais née peut-être,
cherchant une jumelle que je serais
mais entière mais non réduite mais non séduite,
ce que j'imaginais comme un noeud de prières
suspendu hors d'images,
il m'a fallu franchir des marches infinies
de dissonances
hissées à mi-chemin sur le fond des mutismes,
vertigineuse et froide
une étoile noire que je ne fus jamais.

Je creuse pourtant, je creuse.
Le feu sous la langue qui défait l'écorce et le cercle,
le premier cercle,
l'autre ensuite des millénaires, tous les
millénaires de goût d'odeurs de sensations d'oreille
(les yeux fermés mimant le noir pour
ne pas perdre)
épelant chaque couche, la retournant,
recto verso la page entière sur le fil de sa tranche,
passive tantôt, étendue quelques fois,
lassée, dans la jouissance apparente,
puis rejetée hors d'elle,
et bien plus loin
palpant et devinant du milieu du silence
la seule trace - un fil,
cheveu de pur hasard -
qui m'aurait pu constituer.

Mais tu est dire trop
déjà sur ce commencement.
J'étais intime, c'est tout.
Et le mutisme est noir,
seulement noir,
ne se souvient de rien.
Intime n'est que le balancement
d'une vague, un sable qui n'est pas le Temps,
comme s'il n'y avait rien, jamais,
qui ne soit pas blessée quand la voix parle.

 

Si vivre est tel © L’Age d’Homme- Lausanne - 1998
Traduction: Pierre Lepori

 


Le nostre voci dormivano soltanto

Quando ho voluto scendere
ad incontrar me stessa
nell'humus antichissimo da dove
pensavo si nascesse;
e quando ho cominciato
a scendere strato su strato, silenziosamente,
nella tenebra rossa, strato
su strato nelle lande vissute della memoria,
cercando quella donna, stesa perduta,
mai nata, forse,
cercando una gemella che sarei
ma intiera ma non ridotta ma non sedotta,
quello che immaginavo essere un nodo di preghiere
sospeso al di fuori dell'immagine,
ho dovuto solcare scale infinite
di dissonanza
irte a metà del cammino, tra pareti di mutismo,
vertiginosa e gelida
una stella nera che mai non fui.

Ma scavo, invece, scavo.
Sotto la lingua il fuoco che spezza la scorza e il cerchio,
il primo cerchio,
l'altro poi dei millenni, tutti
i millenni di gusto odore sensazione orecchio
(gli occhi chiusi mimando il nero per
non perdere)
pronunziando ogni strato, rigirandolo,
recto verso la pagina intera sul bordo di ogni strappo,
passiva a volte, distesa altrove,
stanca, nel godimento apparente,
poi rigettata di fuori,
e oltre ancora
tastando e indovinando nel centro del silenzio
la sola traccia - un filo,
capello di puro caso -
che mi avrebbe potuto sostanziare.

Ma tu è dir troppo
già in questo inizio.
Ero intima, è tutto.
E il mutismo è nero,
solamente nero,
non ha memoria di niente.
Intima è niente più che il dondolio
di un'onda, una sabbia che non è il Tempo,
come se non ci fosse niente, mai,
che ferito non sia, quando la voce dice.

 

 


Si vivre est tel

Debout, depuis quand ? debout
dans cette pauvreté, les oreilles comme des
embouchures de trompettes
sous le ruissellement féroce des tonnerres et des
foudres, et creusée cependant,
pas à pas dépouillée davantage,
comme s'il fallait
que le corps soit labouré pour qu'il fleurisse,
trop de dimanches se succédant sous un ciel vide,
tant de regards du ciel et
pas un oeil voyant,
debout absurdement, sans racine, sans couronne,
et tout cela se creuse et se dénude,
ma pauvreté,
cette vacillante obscurité,
cette régressive tentation d'ordre
Ceci la Chair Ceci l'Esprit,
Voici la Pierre et l'Eau, le Pain,
ce retour ombrageux à la première faim
quand encore il suffisait d'entendre
les yeux fermés
les mots de ceux dont je croyais qu'ils savent
quand ils ne savaient pas.

Tant pis debout maintenant. Ordre de pauvreté,
la peur lovée comme un couteau entre
la langue et le palais, les yeux ouverts.
Les yeux ouverts. Les yeux ouverts.

II

Je suis allée marcher dans la forêt
parmi l'humus, les herbes hautes, les fougères,
comme tant de fois, sans nulle appréhension -
Et brusquement, j'ai entendu
le craquement des écorces, les grincements et les cris
dans la terre et dans les plantes,
j'ai entendu ce même cri dans mon corps,
ce vieux cri dispersé, et pourtant comme un noeud,
le cri de l'Ordre et de l'Oeil, ce
vieux cri de ma peur,
et j'ai vu les serpents dans l'herbe,
le grouillement des insectes, le
grouillement des larves,
j'ai entendu le ventre de l'humus
se bomber de frayeur et de misère,
je l'ai vu éclater sous son silence -

Alors, je me suis faite furtive tout d'un coup,
je me suis repliée,
j'ai ramené contre moi cette couverture ma peur,
cette vieille couverture,
je l'ai serrée contre moi
et je suis ressortie de l'ombre comme d'un larcin.

Et c'était un larcin, c'était cela qui s'était amassé là-bas
tressé comme une couronne,
un trésor de larcin, un puits inconsolable
où mon pied, voyais-je,
juste à la lisière, restait posé exactement
dans la trace de mon pied de jadis, il y a très longtemps,
quand je marchais encore protégée
parce que Leurs voix, croyais-je, savaient
retenir enchaînées les pointes de l'obscurité,
leur venin,
et que nos pas marquaient la trace d'un royaume
exempté d'ombre et de fureur,
marquaient sur les sentiers comme un triangle
parmi les arbres,
parce que nous étions Trois, et que la terre
nous avait reconnus pour chiffre.
Croyais-je.

 


Si vivre est tel

Ritta in piedi, ma da quanto? Ritta in piedi
in questa povertà, le orecchie come
fauci di tromba
sotto la gragnola feroce dei tuoni e delle
folgori, e tuttavia scavata,
a poco a poco sempre più spoglia
come se fosse necessario
che il corpo venga arato per fiorire,
troppe domeniche una dopo l'altra sotto il cielo vuoto,
quanti sguardi dal cielo e mai
un occhio veggente,
ritta in piedi assurdamente, senza radici e fronde
mentre tutto si scava e si denuda, la mia povertà,
quest'oscurità vacillante,
questa regressiva tentazione dell'ordine
Questa la Carne Questo lo Spirito
Ecco la Pietra e l'Acqua, il Pane,
un ritorno corrucciato alla fame primigenia
quando ancora bastava sentire
ad occhi chiusi
le parole di coloro che credevo sapessero
mentre invece non sapevano.

Peggio così, in piedi adesso. Ordine di povertà,
la paura accovacciata come un coltello tra la lingua
e il palato, gli occhi aperti.
Gli occhi aperti. Gli occhi aperti.

II

Sono andata a camminare nel bosco,
tra il terriccio, tra l’erba e le alte felci,
come tante altre volte, senza timore —
E bruscamente ho sentito
lo schiocco delle scorze, lo stridere e le grida
nella terra e nelle piante,
ho sentito lo stesso grido nel mio corpo,
vecchio grido dissipato, e tuttavia come un nodo,
il grido dell’Ordine e dell’Occhio, quel
grido antico della mia paura
e ho visto i serpenti nell’erba,
il brulicare degli insetti, il
brulicare delle larve,
ho sentito il ventre del terriccio
gonfiarsi di terrore e di miseria,
l’ho visto esplodere sotto il suo silenzio —

Allora, d’improvviso mi sono fatta furtiva,
mi sono ripiegata,
ho tratto a me la solita coperta mia paura,
quell’antica coperta,
l’ho stretta a me
e sono uscita dall’ombra come si esce da una ruberia.

Ed era proprio una ruberia, che si era ammassata là sotto,
intrecciata come una corona,
un tesoro di furto, un pozzo inconsolabile
in cui il mio piede, ben vedevo,
sul ciglio del bosco, era posato esattamente
nella traccia del mio piede di allora, molto tempo fa,
quando ancora camminavo protetta,
perché le Loro voci, credevo, sapevano
tenere unite le estremità del buio,
il loro veleno,
e i nostri passi disegnavano i confini di un regno
esente d’ombra e di furore,
disegnavano nei sentieri una sorta di triangolo
tra gli alberi,
perché eravamo Tre, e la terra
ci riconobbe in quella cifra.
Credevo.

 

© Monique Laederach, Si vivre est tel, L'Age d'Homme, 1998.
Traduction en italien: Pierre Lepori


Page créée le: 09.10.01
Dernière mise à jour le 15.12.04

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