Due rive

I

Una barca attraversa l'acqua, poco prima dell'alba:
Si avvicina? Si allontana? Nella luce
metallica, ancora grigia, nell'aria fredda,
tra i vapori e le brume notturne, va sicura
e sposta adagio l'acqua, remo su remo.
Poi arriverà anche il giorno, a illuminare
Quello che era indistinto. Ma la barca
Solca un confine fragile
e scompare. Che sia inutile,
questo viaggio. Inutile ed essenziale.
Nessun trasporto, o luogo dove andare.
Solo l'acqua da attraversare,
la luce da anticipare,
il giorno da separare
dalla notte.

II

Se la vedi, qualche volta, pensi anche
a due rive immaginarie e fuori vista.

Da una parte
rovine, vasti mucchi
di terriccio o di ghiaia, uno scenario
travolto, serale - forse una strada stretta,
di case alte e smangiate e scale grigie, ringhiere,
stanze e bottiglie vuote, il funerale
di coriandoli, un lavandino
che butta per sempre o fino a mai più,
fino all'ultimo fiume
che esplode nelle vene, alla morìa
di spettri laceri, affranti:
non ricordateci, o fatelo, non serve
a restituire nulla, siamo nella pianura
gelata, sotto una crosta dura, non siamo neppure
lì, forse vorremmo soltanto non essere
mai stati -,
una stanchezza del sole e del tempo, atrocità
minime quotidiane: ventuno, ventidue, ventitre,
nessun respiro;
e verso l'altra riva che non c'è
un po' di nebbia vaga, azzurrina,
il chiarore inatteso,
che stupisce e rallegra quando accende
la rinnovata pulizia dell'aria
- stelle, stelline, lucciole, pulviscoli
sulla corrente di un fiume, ali impreviste
che radono o, più semplicemente, dietro l'angolo
la prospettiva di strade che socchiudono
qualcosa, forse un'ipotesi o uno sguardo
più intenso sulle cose, meno greve:
ricorderemo il tuo sguardo dolce, diremo il tuo nome
ai nostri figli come quello di un amico,
ti cercheremo nella pianura, nell'erba rada -,
e un invisibile moto increspa l'acqua,
suggerisce un bagliore cangiante,
alga, pesce o riflesso …

Ma non ci sono rive, non c'è barca
tra loro, o non si vede
già più, rimane l'acqua,
e sopra l'acqua un'ombra sembra aprirsi,
sembra espandersi quasi, collegare
qualcosa che non vedi;
un'ombra, o una scia …

 

Deux rives

I

Une barque traverse, un peu avant l'aube:
elle approche? s'éloigne? Dans la lumière
encore métallique, grise, dans l'air froid,
parmi les brumes, les buées nocturnes, elle avance
et déplace lentement l'eau, rame après rame.
Le jour ensuite veindra éclairer
ce qui était confus. Mais la barque
franchit une frêle frontière
et disparaît. Soit ce voyage
vain. Essentiel et vain.
Pas de fret, nul lieu où aller.
Rien que ces eaux à traverser,
de la lumière à devancer
de la nuit.

II

Si tu la vois un jour, pense aussi
à deux rives imaginaires, hors de vue.

D'un côté:
des ruines, de grands tas
de mauvaise terre ou de gravier, un décor
chambardé, d'avant-nuit - peut-être une ruelle
de maisons hautes, corrodées, d'escaliers gris, de balcons,
de pièces et de bouteilles vides, les confettis
sur les obsèques, un évier
qui dégorge à jamais ou jusqu'à plus jamais,
jusqu'au dernier fleuve
qui explose dans les veines, à l'hécatombe
de spectres haillonneux et harassés:
oubliez-nous ou non, cela ne sauve
rien, nous sommes dans la plaine
gelée, sous une croûte épaisse, nous ne sommes
même pas là, peut-être voulant seulement
n'avoir jamais été -
une fatigue du soleil et du temps, les infimes
quotidiennes horreurs: vingt et un, vingt-deux,
vingt-trois, pas une respiration;
et du côté de l'autre rive qu'il n'y a pas,
un peu de brume vague, de bleu ciel,
la clarté inattendue
qui étonne et réjouit quand elle allume
l'air rafraîchit
- étoiles brillantes, lucioles, poudroiement
sur le courant du fleuve, ailes imprévues
rasant les eaux, ou simplement, à l'angle,
une perspective de rues entrebâillées
sur quoi? peut-être une hypothèse ou un regard
plus intense vers les choses, moins pesant:
nous nous rappellerons ton doux regard, dirons
ton nom à nos enfants comme celui d'un ami,
nous irons te chercher dans la plaine, dans l'herbe rare -
un mouvement invisible frise l'eau,
suggère une lueur changeante,
algue, poisson, reflet …

Mais il n'y a pas de rives, ni de barque
entre les rives, ou bien déjà
l'on n'y voit plus, il reste l'eau
et au-dessus de l'eau une ombre semble s'ouvrir,
presque s'épanouir, et relier
quelque chose qu'on ne voit pas:
une ombre, ou une trace …

traduction de Philippe Jaccottet
© Revue littéraire "Ecriture" 52