Comment donc définir le « prométhéen » ? La mythologie grecque reconnaît au titan une essence mi-divine, mi-humaine, mais surtout elle le présente comme celui qui a séparé l’humanité du règne animal en lui faisant don du feu (volé à Héphaïstos et à Athéna) en tant que symbole conciliant arts, sciences et techniques. Selon certaines versions du mythe, il aurait même façonné l’homme à partir de terre et d’eau, geste qu’il partage avec le Dieu judéo-chrétien. Ainsi, Prométhée est représenté comme celui qui crée, qui feint (du latin fingere, « faire avec les mains, mouler ») l’humanité et qui lui donne une forme. Pourtant, d’un point de vue anthropique, il est aussi, en tant que héros d’un récit mythologique, une production fictive de l’humanité. Le prométhéen serait donc aussi la capacité qu’a l’homme de créer des figures le transcendant, de dépasser la souffrance animale qui l’habite et le menace constamment par la détention du secret des dieux, tel Prométhée, enchaîné à un rocher par Zeus et condamné à se faire dévorer le foie par un vautour. L’homme ne deviendrait être humain, ne surgirait du non-être et de l’informe que lorsqu’il produit ce qui le forme et non pas lorsqu’il se laisse informer, se soumet aux flux d’informations.
Il s’agit donc de ne plus penser l’humanité quantitativement, en termes de masse d’individus : l’être humain n’est pas une particule, mais a lieu dans cette particule, que le langage courant nomme « homme », et dans son interaction avec les champs d’ondes qui l’environnent et qu’il a la capacité d’in-former, c’est-à-dire de former de l’intérieur. L’humanité devient ainsi une potentialité inhérente à chaque individu qu’il est impératif d’actualiser dans le temps afin de créer des présents ou pré-sens, de donner le temps. Car le présent, tout comme l’humanité d’un individu, n’est pas donné : il n’émerge que lorsque la matière physique actualise son potentiel métaphysique qui est toujours-déjà là, mais qui se révèle toujours après (comme le confirme l’étymologie du préfixe méta-). Le futur, et donc le temps, se créent à partir d’une origine qui n’est pas passée, mais présente. Le présent est un processus prométhéen qu’il incombe à nous, à l’humanité, de produire, jamais de consommer. Le vivre est synonyme d’intensité, implique de se situer dans la tension originaire toujours constitutive, non pas de la résoudre. Il faut penser l’être en tant que processus, vibration, tension électrique entre deux pôles qui peuvent être l’humain et le divin, mais aussi le « je » de l’auteur et le « tu » du lecteur, points fixes entre lesquels l’écriture et la lecture, en tant que métaphores du processus vibratoire vital, peuvent se développer. L’être ne peut être que devoir être. Devoir d’être ce que l’on peut être. Devoir d’être dans l’effort pour atteindre une synthèse prométhéenne ou christique de l’humain et du divin, des arts et des sciences ; synthèse vibratoire qui reste toujours à venir, certes, mais dont nous voulons croire que la lecture des pages qui suivent en augure la possibilité et en suggère la nécessité.
Christophe Herzog
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