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La définition du mot «art» telle que nous la concevons aujourd'hui aurait uniquement pour but de satisfaire un plaisir esthétique et non de répondre à une quelconque utilité. Cette définition est bien trop restrictive et, de plus, inexacte. Il est indéniable que les démarches artistiques, aujourd'hui comme dans le passé, ont une utilité. |
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Prétendre le contraire revient à mettre de côté des millénaires d'Histoire où l'art a revêtu une fonction religieuse ou magique, en plus de son contenu esthétique, et d'ignorer sciemment tous les messages spirituels qu'il a pour vocation de transmettre.
Il ne s'agit évidemment pas d'une utilité au sens où nos sociétés la conçoivent aujourd'hui. Et pourtant, cette aptitude de l'art à communiquer une certaine conception du monde dépassant les aspects matériels de notre existence n'est-elle pas conforme à l'idée d'être utile? Existe-t-il la moindre opposition entre les termes «art» et «utilité»? Au contraire, il s'est toujours trouvé une étroite association entre la fonction esthétique et la fonction utilitaire, religieuse, magique ou philosophique.
Nous pouvons sans autre étendre cette idée à l’art des origines. L’art du Paléolithique supérieur apparaît en Europe il y a quelque 35 000 ans en même temps qu’un nouveau genre humain (homo sapiens). Révélateur d’un esprit moderne, d’une capacité de synthèse et d’abstraction élevée, cette expression artistique n’a été reconnue comme telle qu’à la fin du XIXe siècle, après des épisodes douloureux. L’idée même que ces populations préhistoriques avaient acquis une aptitude à créer un art accompli a dû faire son chemin. Elle doit encore d’ailleurs faire face à certains préjugés. Il est en effet surprenant que, dans la majorité des cas, les historiens de l’art arrêtent leurs recherches à l’Antiquité.
Une datation directe au carbone 14 de la grotte Chauvet n’a-t-elle pas surpris les plus éminents spécialistes lorsqu’elle a fait reculer certaines des plus spectaculaires images de l’art paléolithique de 32 000 ans à compter d’aujourd’hui? En effet, ces chasseurs sont encore communément perçus comme des êtres sans aucune culture, ni système de valeurs, quasi simiesques. En résumé, ils ne répondent pas à l’image mentale que la modernité s’est forgée d’eux dès les débuts de l’Histoire. Il faut pourtant imaginer des êtres dont l’aspect et l’intelligence sont similaires si ce n’est en tous points pareils aux nôtres. Ces populations paléolithiques avaient sans doute d’importantes connaissances sur le fonctionnement du monde qui les entourait et leur intégration dans celui-ci, autant que sur eux-mêmes; connaissances que les millénaires et surtout l’évolution de nos différentes civilisations nous ont contraints d’oublier. Leur art se définit comme les premiers signes d’une pensée abstraite, née du besoin de dépasser le concept de survie immédiate. Il exprime indiscutablement le Beau tout en étant lié à des comportements symboliques organisés. L’étude de cet art tente de recréer la perception et l’usage des images par les peuples du passé et de saisir ses expressions religieuses, philosophiques ou métaphysiques.
Bien sûr, notre société ne doit pas s’enliser dans le passé. Elle doit percevoir et considérer l’avenir, comme il est nécessaire à l’art d’être novateur. Toutefois, contempler ces toutes premières tentatives d’expression nous offre la possibilité de comprendre un passage de l’aventure humaine. Le passé fait partie de nous, il enrichit notre patrimoine conceptuel. La connaissance de ce passé nous offre à coup sûr une salutaire leçon de modestie ainsi qu’une sérieuse remise en question des valeurs établies. Mais il implique surtout un héritage spirituel inaliénable qu’il nous est nécessaire de percevoir.
Cécile Laurent
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