Mais ce n’est pas l’émerveillement qui m’étouffe, c’est l’angoisse. La peur de jamais ne émerger de cette majorité qui jonche l’histoire de l’humanité et qui, à défaut d’avoir compris le souffle novateur de son époque, a foulé aux pieds jusque dans la négation le génie de certains de ses contemporains. Plus proche de nous, ce pauvre Modigliani qu’on a fait pourrir dans la misère et que l’on glorifie maintenant à l’égal d’un Rembrandt. Où se situe la limite du génie? Par manque de modération nous en sommes arrivés à un véritable culte de la personne où l’on ne sait pas très bien si le nom d’un artiste ne désigne pas simplement une marque de produits artistiques. L’art est bien plus subtil; il est une révélation qui procède du Rien et non pas du Néant. La perspective de l’art n’est pas de révéler à l’être le non-être, il ne consiste pas à créer ce qui manque, car le manque on le devine et, en ce sens il n’est pas intéressant, mais de créer ce qu’on ignore et ce qui est insoupçonnable.
Pourtant j’ai beau m’astreindre à ce travail d’intellection, la dialectique de la plupart des mouvements artistiques m’échappe. Passer pour un abruti aux yeux des générations futures, voilà mon sort. J’espère seulement qu’elles verront autre chose que la simple volonté de modifier le regard de la société face aux valeurs qui forgent notre conscience et nos convictions.
Toutes ces taches de peinture, ces bricolages, ces formes géométriques; variations sur toîle blanche, pseudo-érotisme pornographique et assemblages de déchets. Or c’est parmi cet amoncellement d’expression «artistique» qu’apparaissent des œuvres douées de maturité et de sensibilité. Des œuvres que l’on croise dans les hauts d’une atmosphère d’hypocrisie et qui semble durer par je ne sais quel miracle. Des œuvres qui nous rattachent à notre plus digne expression.
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