En vérité, l’expression philosophique n’a rien d'un schibboleth; bien au contraire, elle procède du Drang poétique. La gerbe de feu que trace une météorite en pénétrant notre atmosphère au terme de son voyage astronomique: voilà la parole du philosophe et du poète, transfigurée par l’alchimie qui de l'intuition a fait verbe.
Ainsi donc, un art épanoui se nourrit toujours de symbolisme, de contamination et de surréalisme; oui, Friederich Vischer, les tableaux — on doit les voir puer; oui, Eduard Hauslicks, c’est à votre nez qu’en a Tchaïkowsky — et puisse-t-il vous le bouffer. Déjà au quatrième siècle avant notre ère, Tchouang-Tseu brocardait les imbéciles qui pensent qu’un tableau doit représenter une réalité.
Ainsi donc encore, le cratère de la pensée doit nourrir son magma de tous feux, et peut-être après une éruption trouvera-t-on parmi les lapilli et les scories quelques pierres d’un éclat inconnu — sinon il reste la grande beuverie, puisque René Daumal la fait commencer par un dialogue laborieux sur la puissance des mots et la faiblesse de la pensée.
À chacun donc sa voix et son timbre, mais silence aux esprits hémiplégiques! Poésie et philosophie sont deux montagnes opposées où l’on parle de la même chose, rappelait Heidegger (et avant lui Descartes dans les Olympiques). Allons plus loin: ces montagnes ne s'opposent seulement tant que l’on y parle pour ne rien dire; poésie lettriste et dialectistique sont alors les cadavres vides dont le terril jette une ombre infertile.
En définitive, avec rime ou raison et insoucieux de la diversité de leurs oripeaux ou peintures de guerre, les créateurs se retrouvent sous l’étendard de Shakespeare:
«But wherefore do not you a mightier way
Make war upon this bloody tyrant Time?
And fortify your self in your decay
With means more blessed than my barren rhyme?»
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