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Revue des Arts et des lettres fondée en 1975


  Espaces No 230 Septembre-Octobre 2000 / Sommaire


Au sommaire de ce numéro 230/2000

  • Editorial : Une forme de fidélité
  • L'art du vitrail : Toki
  • Edition de l'Aire : Nouvelles parutions
  • Denis de Rougemont et l'engagement de l'écrivain : De la personne à l'Europe, par Bruno Ackermann
  • Denis de Rougemont et Emmanuel Mounier : par S. Corinna Bille
  • Liguarum peritia : Par Norbert Furrer, historien, Syens
  • Les chapelles de l'Eglise libre vaudoise : Par Dave Lüthi (BHV)
  • Histoire d'une vocation : Par Yvonne de Pourtalès (Etoy)
  • L'espoir dans le brouhaha : Par Claude Bridel
  • Prémices d'automne : Un poème d'Aline Morizier (CRPC)
  • Charles-François Landry : Il y a deux manières de raconter l'histoire (1954)
  • Voici de nouveau l'automne : Une page de Vio Martin
  • Alain-Fournier, le paysage d'une âme : Par Henri Perrochon
  • Terre et cendres : Un roman d'Atig Rahimi, par Claire Julier
  • La Belle Maniera (1520-1610) : Par Giuseppe Patanè
  • Yvette Jaggi : Une sincérité profonde
  • Espace remercie

  Editorial


Une forme de fidélité

Au fur et à mesure que l’échéance s’approche pour notre revue ESPACES et que cette publication bimestrielle, sous cette forme et sous ce titre (emprunté en 1975 à un poème d’Henri Schlunegger) va cesser de paraître, le besoin de jeter un regard en arrière se précise. Qu’avons-nous fait, et comment l’avons-nous fait ? Or, ces questions ne sont finalement pas très importantes. En revanche, relisant, ces jours, « L’amour et l’Occident » de Denis de Rougemont (Coll. 10-18, 1962), cet essai que l’auteur achevait le 21 juin 1938, soit trois mois avant ma propre naissance, je relève ces lignes qui me paraissent toujours essentielles :

Je dis qu’une telle fidélité fonde la personne. Car la personne se manifeste comme une œuvre, au sens le plus large du terme. Elle s’édifie à la manière d’une œuvre, à la faveur d’une oeuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à quelque chose qui n’était pas, mais que l’on crée.

Personne oeuvre et fidélité: les trois mots ne sont pas séparables ou concevables isolément. Et tous les trois supposent un parti pris, une attitude fondamentale de créateur. Ainsi, dans la plus humble vie, la promesse de fidélité introduit une chance de faire oeuvre, et de s'léver au plan de lapersonne.

J’ai essayé, durant ces vingt-cinq années, d’exercer modestement cette « fidélité à quelque chose » qui n’était pas, mais que l’on crée, nous permettant de nous élever au plan de la personne, au sein de l’équipe de rédaction tout d’abord et, en même temps, avec nos lecteurs-abonnés, qui sont devenus comme une grande famille.

Cette création mensuelle, puis bimestrielle, a été un élément rassembleur important. Et cela même si ce personnalisme est un concept qu’il faut aujourd’hui manier avec une grande prudence.

André Durussel

 

  L'art du vitrail par Yoki

Né à Romont le 21 février 1922, Emile Aebischer, dit « Yoki », travaille dès 1938 dans l’atelier de l’architecte Fernand Dumas. C’est l’époque du renouveau de l’art sacré, animé en Romandie par des artistes comme Severini et Cingria, qui encouragent ses premières créations. Il fréquente à Zurich l’atelier de Germaine Richier et, dès la fin de la guerre, celui de Lhote à Paris. Il travaille ensuite avec Maurice Barraud pour l’Université de Fribourg. Après s’être révélé peintre de chevalet, il entame une carrière consacrée à l’art appliqué en devenant essentiellement verrier et tour à tour fresquiste, mosaïste et licier.

Dès 1949, il exécute de nombreux vitraux et des décorations murales pour des églises et des édifices en Suisse et en France, comme aussi en Allemagne, en Angleterre, en Israël, en Italie et en Afrique, Créateur, à Nazareth, de vitraux pour la coupole de la basilique, il réalise, plus récemment, ceux de l’église du Sacré-Coeur de Bâle, de Corsier-Vevey, de Châteauneuf-de-Galaure en France.

Yoki est cofondateur du Musée du vitrail de Romont et auteur du livre « Vitraux modernes en Suisse ». Il est le père de Patrick Aebischer, président de l’EPFL, depuis le 17 mars 2000.

André Durussel

 

  Editions de l'Aire : Nouvelle parutions

Le 25 août écoulé à Vevey, les Editions de l’Aire ont publié plusieurs manuscrits de qualité qui ont retenu l’attention de Michel Moret. Leurs auteurs confirmés ont été présentés à plusieurs reprises dans notre revue et nous sommes heureux de signaler ici ces parutions :

Avant, par Silvia Ricci Lempen. Elle a déjà publié chez cet éditeur de Vevey, en 1991. « Un homme tragique », puis, en 1996, « Le sentier des éléphants ».

Mon bon ami, par Corinne Desarzens, l’auteur d’« Aubeterre » 1 et 2 et de « Ultima Latet » présenté dans ESPACES N° 228, en juin 2000.

Comme un acte de mémoire, par Gilberte Favre, spécialiste de S. Corinna Bille (le vrai conte de sa vie. Editions Z, 1999).

Les Jours funestes d’Algernon Logan, un étrange roman de Marie-Claire Dewarrat, qui avait publié à l’Aire, en 1997, « L’Ame obscure des femmes » et, en 1988, le désormais classique « Carême », lequel demeure un chef-d’œuvre. Algernon Sydney Logan, qui a écrit « Not on the Chart », était un correspondant d’Emile Zola, d’après le Centre d’études du 19ème siècle français Joseph Sablé à l’Université de Toronto (Ontario).

 

  Denis de Rougemont et l'engagement de l'écrivain, par Bruno Ackermann


l'engagement de l'écrivain

C'est par son oeuvre et non par quelque "prise de position" occasionnelle, face à l'événement historique, qu'un écrivain est engagé ou non. Telle est ma thèse principale sur le problème de l'engagement.
Denis de Rougement

Responsabilité de l’écrivain dans la société européenne d’aujourd’hui. Conférence donnée par Denis de Rougemont en 1973 à la Fondation Pro Helvetia. Ce texte (18p, A5) vient d’être réédité par Les Editions du Madrier, CH-1146 Pailly, prix CHF 9.-.

Denis de Rougemont

Né à Couvet en 1906, Denis de Rougemont fut un penseur et un écrivain marquant du 20ème siècle. Son œuvre est à la fois une puissante réflexion sur la civilisation occidentale et un engagement en faveur d’une Europe unifiée selon les principes du fédéralisme.

Après l’obtention d’un baccalauréat scientifique au Gymnase cantonal de Neuchâtel et renonçant aux études de chimie qu’il envisageait, il entre à l’Université, en faculté des lettres, à Neuchâtel, puis à Vienne et Genève. Sa formation en français, allemand, latin, histoire, psychologie et philosophie le conduira à s’intéresser à tous les domaines de la pensée et lui fournira les moyens d’analyse et de documentation qu’exige la défense des nombreuses causes qu’il sert.

L’un de ses premiers essais, Penser avec les mains (1936) montre que théorie et pratique ne sont pas dissociables. Denis de Rougemont l’intellectuel s’engage donc concrètement en faveur de la liberté d’opinion : aux Etats-Unis durant la seconde guerre mondiale, à la présidence du Congrès pour la liberté de la culture (près de quinze ans) ; dans ses prises de parole pour obtenir la libération d’intellectuels emprisonnés.

Fondateur du Centre européen de la culture, à Genève en 1950, Denis de Rougemont a développé ses thèses et convictions européennes dans de très nombreux textes, dont les titres sont en eux-mêmes évocateurs :

  • Fédéralisme et Nationalisme (1954)
  • L’Aventure occidentale de l’homme (1957)
  • Vingt-huit siècles d’Europe (1961)
  • Les Chances de l’Europe (1962)
  • Lettre ouverte aux Européens (1970)

Dans le domaine littéraire, son ouvrage majeur est sans doute le très célèbre essai L’Amour et l’Occident (1938). Cette étude psychologique, historique et éthique du sentiment amoureux dans les populations européennes demeure une référence.

Une vie au service d’une idée fondatrice ne cesse jamais, puisque L’Avenir est notre affaire (1977). Elle ne peut qu’être prolongée à travers le questionnement permanent, lucide et courageux, sur les réalités de l’existence et les limites des institutions.

Denis de Rougemont est mort à Genève en 1985. Le Lycée qui porte son nom entend honorer sa mémoire en enseignant qu’il y a encore beaucoup à donner au monde, dans l’engagement des jeunes et par la sagesse des maîtres.

Penser la région ?

Pour Denis de Rougemont, penser la région, c’est d’abord partir des réalités culturelles qui animent certains coins de ce pays, partir de la base, des gens, de ce qui les rassemble librement, de ce qui les unit, les fait vivre dans le présent et les projette non point dans un avenir souhaitable, mais dans le meilleur avenir possible, qui est la première condition de l’action.

La région ne saurait se limiter à des calculs territoriaux, ou à des additions territoriales de cantons, tout droit sortis de l’esprit peu imaginatif, parce que simpliste et simplificateur, des politiques.

Bruno Ackermann

vendredi 15 octobre 1999, p.13

Denis de Rougemont, le Fédéralisme, la Suisse et l’Europe

Pour nos lectrices et lecteurs qui souhaitent approfondir cet aspect combien actuel de la construction de l’Union Européenne, signalons aussi dans ce numéro la conférence prononcée à l’Alliance Française en 1995 par Anouchka von Heuer (CH-3413 Kaltacker-Heimiswil, BE). Ce document, comprenant 43 pages A5 sur papier violet, a été imprimé par l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), case postale 6, CH-1001 Lausanne. C’est aussi un hommage à Denis de Rougemont et il contient quelques lignes de notre abonné G.-A, Chevallaz en p. 4 : Depuis Maastricht, le mot fédéralisme a changé de signification et prête à équivoque.

Précisons toutefois que les thèses de l’ASIN ne sont pas nécessairement partagées dans leur totalité par la rédaction d’ESPACES.

Denis de Rougemont, une biographie intellectuelle

Bruno Ackermann, né en 1957, Dr ès lettres de l’Université de Lausanne et auteur de l’ouvrage de la collection « Poche Suisse » que nous présentons dans ce numéro d’automne, nous prie de signaler qu’il est aussi et surtout l’auteur d’une thèse de doctorat intitulée « Denis de Rougemont. Une biographie intellectuelle », comprenant 2 volumes (1278p.) et éditée chez Labor et Fides à Genève en 1996. Nous donnons ci-après la liste (presque) exhaustive de ses publications. Dans l’abondante littérature existante sur l’œuvre et la pensée de Denis de Rougemont, relevons encore ici les textes réunis par Sylvia Robert et Maryse Schmidt-Surdez dans la Nouvelle Revue neuchâteloise, N° 47, automne 1995. Ils sont intitulés « Denis de Rougemont, de Neuchâtel à l’Europe » (84p.).

André Durussel

Un autre avis discordant

Si le mot « fédéralisme » a changé depuis Maastricht (G.-A. Chevallaz), c’est aussi que l’Europe a changé et que les célèbres thèses de Denis de Rougemont ne sont plus applicables aujourd’hui dans leur intégralité. C’est du moins l’avis qu’expriment Fabienne Durand-Bogaert et Yves Hersant dans leur très récente anthologie intitulée « Europes » (Editions R. Laffont, coll. Bouquins), tandis que la rationalité économique implacable et le règne des experts sont en train de tuer le vieil humanisme d’Erasme de Rotterdam.

Liste bibliographique de Bruno Ackermann

Bruno Ackermann a publié un recueil de poèmes, intitulé La Demeure des heures de peine, Lausanne, Editions Empreintes, 1985. Cet ouvrage a été présenté dans ESPACES lors de sa parution.

Il est également l’auteur d’une dizaine d’études - résultats de travaux de recherches - publiées dans plusieurs revues ou volumes collectifs :

  • « Cingria baroque, une écriture de la liberté »,
    in Alliance culturelle romande, n° 29, Lausanne, novembre 1983, pp. 63-66.

  • « L’écrivain engagé (Denis de Rougemont ) »,
    in Cadmos, n° 33, Genève, printemps 1986, pp. 95-114.

  • « Le Journal d’une Epoque, Journal non intime ou la quête de la Personne à l’Histoire »,
    in Ecriture 29, Lausanne, automne 1987, pp. 37-69. [Texte repris in Les Cahiers du C.E.R.F., Université de Nantes, n° 6, février 1990, pp. 1-31].

  • « Les Rencontres Internationales de Genève, 1946. L’esprit européen »,
    in Revue Suisse d’Histoire, n° 1, vol. 39, Berne, 1989, pp. 64-78.

  • « Regards sur la Suisse dans l’œuvre de Denis de Rougemont, 1938-1940 »,
    in Equinoxe, n° 1, Lausanne, printemps 1989, pp. 29-5

  • « Les théologies de la libération »,
    in Condor, n° 3, Lausanne, Payot, 1989, pp. 11-30

  • « A la recherche d’une éthique en littérature. L’œuvre de Denis de Rougemont (1906-1985),
    in La Licorne, Université de Poitiers, automne 1989, pp. 421-438.

  • « Denis de Rougemont et le personnalisme. Notes introductives »,
    in Actes du Colloque Du Personnalisme au Fédéralisme européen, Genève, Centre européen de la Culture, 1989, pp. 33-38.

  • « Le Minotaure, c’est nous [Marguerite Yourcenar] »,
    in Equinoxe, Lausanne, n° 2, automne 1989, pp. 133-141.

  • « Présence et rayonnement d’Emmanuel Mounier. Le personnalisme en Suisse romande »,
    in Bulletin de l’Association des amis d’E. Mounier, Paris, n° 73-74, mai 1990, pp. 11-14.

  • « Le dialogue des cultures sur le plan religieux »,
    in Europe-Monde, Lisbonne 1990, Genève, Editions du Centre européen de la Culture, 1990, pp. 55-57.

  • « Les fondements spirituels de la pensée européenne de Denis de Rougemont »,
    in Protestantisme et construction européenne, (Actes du Colloque des Facultés de théologie protestante des pays latins d’Europe), Bruxelles, Ad. Veritatem, 1991, pp.61-76.
    Traduction anglaise : « The Spiritual Foundations of the European Thinking of Denis de Rougemont », in Discernment and Commitment, Jurgen Wiersma (ed.), Lampen, Kok Pharos, 1993, pp. 125-152.

  • « Denis de Rougemont »,
    in Encyclopédie philosophique universelle, Vol. III, Les Oeuvres philosophiques, t. II, Paris,
    Presses Universitaires de France, 1992, pp. 2794-2796.

  • « Denis de Rougemont »,
    in Dictionnaire international du fédéralisme, Bruxelles, Bruylant, 1994, pp. 259-262
    (avec François Saint-Ouen).

  • « Paratextes et Journal non intime »,
    in Littérature, n° 98, Paris, mai 1995, pp. 24-44.

  • « Un jeune écrivain en colère »,
    in Nouvelle Revue neuchâteloise, n° 47, Neuchâtel, automne 1995, pp. 5-16.

  • « Denis de Rougemont, ou la conquête de la Personne »,
    Le fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe de demain, Hommage à Alexandre Marc, Université de Tübingen, Baden-Baden, Nomos Verlaggesellschaft, 1996, pp. 72-85.

  • Traduction italienne : « Denis de Rougemont o la conquista della persona »,
    in Prospettiva persona, n° 12, Teramo, aprile-giugno 1995, pp. 29-36.

  • « Paul Ricoeur. Explorations personnalistes »,
    in Etudes de Lettres, n° 3-4, Lausanne, Université de Lausanne, 1996, pp. 159-178.

  • « Albert Béguin face à la montée des périls. Premières impressions d’Allemagne, 1930-1934 »,
    Le goût de l’histoire, des idées et des hommes. Mélanges offerts au professeur Jean-Pierre Aguet. Textes réunis et publiés par Alain Clavien et Bertrand Müller, Lausanne,
    Editions de l’Aire, 1996, pp. 153-182.

  • « Le cheminement des esprits »,
    in Revue suisse d’histoire, n° 2, 1997, pp. 171-191.

  • « Message aux Européens [avant-propos] / Denis de Rougemont »,
    in Légendes, cahier hors série, Les écrivains de la conscience européenne,
    Herblay, 1997, pp. 177 et 291-295.

  • « Albert Béguin », ibid., pp. 269-271.

  • « Denis de Rougemont ou la conscience d’une époque »,
    Histoire de la littérature romande, [Dir.] Roger Francillon, Lausanne, Payot, 1998, t. III.

  • « L’aventure européenne ou la quête du sens »,
    Actes du Colloque Les intellectuels et l’Europe, Institut d’Histoire du Temps Présent,
    Paris / Université de Salamanque (à paraître 1998).

  • « Denis de Rougemont »,
    Histoire de la littérature en Suisse romande, tome 3,
    De la Seconde Guerre aux années 1970, Lausanne, Editions Payot, pp. 505-518.


 

  Denis de Rougemont et Emmanuel Mounier

Philosophie

Dans son récent essai biographique consacré à Denis de Rougemont, Bruno Ackermann cite souvent Emmanuel Mounier (1905-1950) qui a lancé la revue ESPRIT en 1932, et qui est « l’inventeur » du personnalisme. Dans le contexte actuel où l’individualisme gagne partout du terrain, l’œuvre de Mounier redevient très pertinente. En effet, seule la notion de personne permet de lever la contradiction entre individu et société, la notion de communauté reprenant tout son sens par rapport aux communitarismes fermés et sectes dont la prolifération est inquiétante.

Certes, Denis de Rougemont, né une année après Emmanuel Mounier, a aussi été l’un des pionniers du personnalisme, mais avec un accent plus fortement mis sur l’acte, l’action. Son ouvrage de 1936, intitulé « Penser avec les mains », est une sorte de manifeste : rendre à la pensée une réalité concrète.

La petite réserve que nous formulons dans notre éditorial au sujet du personnalisme de Denis de Rougemont provient effectivement de ces divergences de vues. Bruno Ackermann, même s’il « n’entre pas dans ce débat philosophique serré », en situe bien les enjeux :

Encore convient-il que cette vision de la personne se définisse par rapport aux deux doctrines extrêmes, le matérialisme et le spiritualisme, qui revendiquent, elles aussi, une certaine idée de la personne. L’une et l’autre ont compris les pôles extrêmes de la personne, le fait de l’incarnation et le fait de la liberté. Le malheur du matérialisme, du fait de son déterminisme, est de refuser la liberté, tandis que le malheur du spiritualisme, du fait de sa pureté, est de refuser l’incarnation. L’une et l’autre doctrines nient donc la personne. En séparant le corps et l’âme, Descartes a détruit le « lieu naturel » de la personne. Or, pour Denis de Rougemont « corps et âme sont un seul et même être », ils fondent l’existence de la personne, laquelle se réalise par un acte : « Hors l’acte, la matière demeure abstraite ou tyrannique. Hors l’acte, notre « esprit » demeure abstrait ou impuissant. Dans l’acte, l’une et l’autre se mesurent et se réalisent : la charité de la personne est d’ordonner ce corps-à-corps ».

Pareille Définition de la personne » était de nature à susciter un débat philosophique serré, dans lequel nous n’entrerons pas ici. Retenons cependant l’une et l’autre réserves formulées par Emmanuel Mounier. Elles touchent notamment aux obscurités qui subsistent sur la notion d’acte et à la contradiction entre deux formules utilisées par Denis de Rougemont : « […] la personne est acte, puis : la personne est vocation ». D’où la formule « l’acte est vocation » qui n’aurait dès lors, aux yeux de Mounier, aucun sens. Pour Rougemont, ni l’acte seul, dénué d’intention, et donc d’ordre, ni la vocation seule, abstraite et non actualisée, n’ont de sens détachés l’un de l’autre. Entre les deux notions s’établit ainsi, selon Denis de Rougemont, une égalité de principe ; acte et vocation ne sauraient exister qu’ensemble.

Bruno Ackermann (p. 176-177)

Bruno Ackermann, Denis de Rougemont, De la personne à l’Europe, Editions L’Age d’Homme
Préface de Henri-Charles Tauxe
Postface de Claude Haegi
Poche Suisse

Pour approfondir cette question en cette année où ESPACES a tenu à marquer la cinquantième anniversaire de la mort d’Emmanuel Mounier, signalons ce qui suit :

- Un colloque international est organisé les 5 et 6 octobre 2000 à l’UNESCO par l’Association des amis d’Emmanuel Mounier sous l’autorité d’un Comité de patronage coprésidé par le philosophe Paul Ricoeur et Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne. (Renseignements : Association des amis d’Emmanuel Mounier. Les Murs Blancs, 19, rue Henri Marrou, F-92290 Châtenay-Malabry).

- « Les Carnets de Mounier », journal des années 1930 à l’après-guerre va être édité en 2001 par les Editions du Seuil.

- Les mêmes éditions viennent de rééditer en collection Poche Point « Ecrits sur le personnalisme »,
No 492, série « Essais », 398p.

- De Guy Coq, lire aussi : Dis-moi ton espérance, Seuil, 1999.

(D’après L’ECHO MAGAZINE, 4 mai 2000, p. 11 et 14 sept., p.37).

 

  L’avenir de la presse écrite

Partout dans le monde, le nombre de lecteurs de la presse écrite payante baisse d’environ 2% par an, soit 20% en une décennie. C’est-à-dire qu’un lecteur sur cinq disparaît.

Ignacio Ramonet
(Construire N° 42, 19 octobre 1999, p. 71)

ESPACES vous propose le petit calcul suivant : 2% par an dès 1975 pendant 25 ans, cela donne une diminution de 50% du nombre de lecteurs ! ESPACES a donc retrouvé 100 lecteurs sur les 200 qu’il avait au départ, puisque le nombre actuel n’a pas changé… et qu’il demeure stable avec 200 abonnés.

Or, la baisse va s’accentuer à mesure que progresse la presse sur Internet, sans compter l’érosion naturelle due à l’âge de notre fidèle lectorat. D’où la sage décision de nous arrêter dignement en cette fin d’année 2000.

Votre équipe de rédaction

 

  Plurilinguisme en Suisse

Histoire suisse : Parler en quarante langues ?

Au cours de ces vingt-cinq années de vie éditoriale, ESPACES a souvent présenté des traductions, ou abordé le domaine de la traduction littéraire. Mais nous ne nous étions encore jamais penchés sur le plurilinguisme en Suisse.

L’article inédit de Norbet Furrer, historien à Syens-près-Moudon, vient à son heure. Il éclaire d’une manière particulièrement intéressante les thèses de Denis de Rougemont.

Rédaction

« Linguarum peritia » : remarques sur le plurilinguisme en Suisse à l’époque moderne 1)

Entre le milieu du XIIIe et le milieu du XIXe siècle environ, le paysage sociolinguistique de l’Europe occidentale n’a pas subi de changements fondamentaux, ce qui nous permet de parler d’un « régime linguistique moderne ». Il se distingue du régime linguistique médiéval d’un côté et contemporain de l’autre par trois traits essentiels.

Premièrement, un fort morcellement dialectal, soit la coexistence ou la juxtaposition, sur un territoire donné, de nombreux dialectes locaux et régionaux. Deuxièmement, une stratification à trois étages des répertoires linguistiques, autrement dit la superposition de trois niveaux ou types de langues : les langues anciennes et sacrées ( « divinae linguae » ( (latin, grec et hébreu) en haut de la hiérarchie ; les langues « de chancellerie », devenant langues « territoriales », puis « nationales » ( idiomes standardisés et écrits ( au milieu de la hiérarchie ; les dialectes ou patois en bas de l’échelle, qui sont les parlers vernaculaires de la grande majorité des gens et qui échappent aux lois de l’Etat et du marché. Troisièmement, la relative perméabilité des frontières entre toutes ces langues ou, en d’autres termes, les fréquentes transgressions des lignes de démarcation entre communautés linguistiques. Cette perméabilité, ces transgressions sont dues à une mobilité géographique importante, à courte ou longue distance, temporaire ou définitive, plus masculine que féminine et répondant presque toujours à une nécessité. Elles sont dues aussi à une circulation des informations et des idées qui s’accélère et s’étend de façon spectaculaire après l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles autour de 1450.

Nos ancêtres européens ( et suisses ( ont donc été confrontés à une multitude d’idiomes. Dans quelle mesure relevaient-ils le défi de cette diversité linguistique et connaissaient-ils des langues autres que celles apprises de leur mère ? Le plurilinguisme « personnel » ( qu’il ne faut pas confondre avec celui d’un territoire ou d’une institution et que nous laissons de côté ici ( peut être le fait soit d’une collectivité entière, soit d’un individu donné.

Il existe un assez grand nombre de témoignages, plus ou moins fiables, sur des cas de plurilinguisme collectif dans l’ancienne Confédération. Le pasteur et historien vaudois Abraham Ruchat, par exemple, écrit dans Les Délices de la Suisse, parus à Leyde en 1714 (p. 720) : « Cependant dans toutes les parties du Vallais, sur-tout dans les principaux lieux, on s’applique beaucoup à savoir l’Allemand, le Français, l’Italien, & le Latin, à cause du voisinage des Peuples, qui usent de ces Langues, au moins les trois premières. Et ce qui est admirable, & qui sert beaucoup à la louange des Vallaisans, on y void des gens du commun qui savent parler égalément bien ces 4. Langues. » Dans son Coup-d’œil sur une contrée pastorale des Alpes de 1798, le doyen Philippe Sirice Bridel note à propos du bailliage fribourgeois de Jaun (Bellegarde) : « Ce petit Bailliage ne renferme que la seule vallée de Bellegarde, comprenant plusieurs hameaux qui forment une seule paroisse, dont la population peut monter à 450 âmes au plus : tous ses habitants mènent la vie pastorale ; ils en ont les vertus religieuses et hospitalières, et ont donné plus d’une fois des preuves de l’intrépidité la plus énergique : ils parlent allemand ; mais la plupart savent le patois, pour communiquer avec leurs voisins de Charmey. »

Nous ne pouvons parler du plurilinguisme individuel dans une société sans établir au préalable une classification des gens selon leur degré d’instruction (scolaire) ou leur niveau de culture livresque. Ainsi, nous distinguons entre les « érudits » ou « savants », qui écrivent des livres et disposent de bibliothèques ; les personnes « cultivées », qui lisent et écrivent quotidiennement des textes (courts) et possèdent quelques livres ; les gens scolarisés ou alphabétisés, qui lisent et écrivent peu et ont tout au plus une bible, un livre de prières ou un almanach ; enfin les non scolarisés restés analphabètes.

Les « érudits » sous l’Ancien Régime linguistique sont par définition plurilingues et bien souvent polyglottes . En voici quelques exemples :

Le théologien et philologue zurichois Theodor Buchmann, dit Bibliander (v.1500-1564), traducteur de l’Ancien et du Nouveau Testament, éditeur du Coran en latin, avait des connaissances profondes des langues classiques, de diverses langues sémitiques, du turc et du hongrois.

Guillaume Techtermann (1551-1618), chancelier d’Etat de Fribourg de 1579 à 1593, savait l’allemand, le français, l’italien et ( en bon humaniste ( le latin et le grec.

Le pasteur et hébraïste genevois David Le Clerc (1591-1654) connaissait, outre le français, « l’allemand, l’anglais, l’italien, l’espagnol, le grec, le latin, l’arabe, le syriaque, l’hébreu, enfin le chaldaïque. »

Le magistrat et publiciste lausannois Gabriel Seigneux de Correvon (1695-1775) écrivait des ouvrages juridiques et théologiques en français et en latin, correspondait en français, en latin et en italien, traduisait de l’italien, du latin, de l’anglais et de l’allemand.

De Albert de Haller (1708-1777) nous restent des lettres allemandes, latines, françaises et anglaises. Il a écrit de très nombreux comptes rendus d’ouvrages scientifiques latins, allemands, français, anglais, italiens et suédois.

Enfin, le médecin et naturaliste argovien Johann Rudolf Rengger (1795-1832), qui a exploré le Paraguay dans les années 1818 à 1826 en compagnie du Vaudois Marcelin Longchamp, s’exprimait plus ou moins couramment en allemand, en latin, en français, en espagnol, en anglais, en italien et en guaraní.

Etre cultivé signifiait connaître au moins trois idiomes : son dialecte maternel, une langue littéraire et le latin. C’est le cas du notaire Jean-Georges Bruat (1697-1789), qui fut l’un des meneurs lors des « Troubles » ayant secoué l’Evêché de Bâle entre 1726 et 1740. Selon l’avis de recherche lancé contre lui le 1er décembre 1740, il parlait « Latin, Allemand, François & le Patois de ce Païs ». Au sujet du pasteur Albert Frêne, de Reconvillier, qui est « accusé d’excès, de déportements, mauvaise conduite, manque de respect au souverain », un signalement du 11 février 1786 précise qu’il « a la langue bien deliée, parle françois, allemand, Italien, ainsi que le langage roman usité dans les Pays françois de la Principauté de Basle. » De par sa profession, Frêne devait également savoir le latin. Enfin un certain Jean Freudenberguer, recherché par les autorités lausannoises en mai 1793, alors âgé de 50 ans, parlait « outre l’Allemand assez bien le français, le Latin & l’Italien ».

La plupart des signalements de police, dont nous venons de voir trois exemples, concernent pourtant des personnes qui n’avaient dans le meilleur des cas qu’une formation scolaire élémentaire. Et c’est notamment grâce à ces signalements que nous pouvons saisir les contours d’un « plurilinguisme des gens communs ».

Ainsi, sur 970 individus recensés entre 1728 et 1849, environ 800 sont pour le moins bilingues : ils parlent soit le dialecte et la langue standard de leur pays d’origine, soit deux dialectes ou deux idiomes non apparentés. Environ 130 personnes connaissent au moins trois idiomes, parmi lesquels figure quatre fois sur cinq un dialecte. Ceux qui restent pratiquent quatre idiomes ou plus. Citons quelques signalements concernant plus particulièrement ce dernier groupe :

« Pierre Antoine Gautier, fils de feu Jean- Claude Gautier, dit Gravonet, originaire de Gi près de Gré dans le Comté de Bourgogne, né dans le Canton de Frybourg du coté de Bul[l]e, âgé d’environ 40 ans, haut de cinq pieds un pouce, taille un peu épaisse & bien pris de corps, cheveux jaunâtres, barbe rousse, visage rond & grandement marqué de la petite vérole, yeux gris, nez un peu courbe & assez gros, qu’on appelloit nez de perroquet, les dents vilaines & croisées l’une sur l’autre. Parle allemand, français & les patoix de Frybourg & de Pourrentruy & trafique avec chariot & cheval de la terre de Bonfol & du verre d’Entlibuch. » (Porrentruy, 3.1.1781).

« Samuel Mermoud, du Bailliage médiat d’Echallens, âgé de 28. ans, et ayant 5. pieds 4. pouces de haut ; les cheveux bruns, qu’il porte attachés, et les yeux gris ; il a les dents blanches, dont une lui manque sur le devant de la bouche, et il porte un chapeau rond, recouvert de toile cirée : un habit bleu, des culottes de peau et des boucles d’argent à ses souliers. Il parle français et patois, ainsi qu’un mauvais allemand, et le langage piémontais. » (Berne, 7.8.1797).

« Jean Divot, appelé aussi Jaques à la Thérèse, de Bellinzone, dans la Suisse italienne, âgé de 19 à 20 ans, taille de cinq pieds deux pouces, visage pâle & maigre, nez long & pointu, presque point de barbe, yeux gris, cheveux châtains-bruns en cadenette ; il parle un peu allemand & françois, ainsi que le patois italien & françois. Il porte un grand chapeau non retroussé, gillet, culotte & veste de coutil en laine gris rayé, bas de fil blanc & de bons gros souliers sans boucles. » (Neuchâtel, 11.12.1797).

« Peter Nicolet, von Murten, Canton Freyburg, ein Korbmacher, 23 Jahre alt, 5 Schuh 11 Zoll hoch, hat schwarze, kurzabgeschnittene Haare, hohe unbedeckte Stirne, schwarze Augenbraunen, braunrot Augen, spitze Nase, kleinen Mund, spitzes Kinn, ovales Gesicht, und ist blatternnarbigt ; er spricht französisch, deutsch, holländisch, italienisch, und das Freyburger Patois. Bey seiner Entweichung trug er die Schallenwerkkleidung. » (Fribourg, 17.6.1819).

« David Semrod [Sémoroz], de Servion, Cercle d’Oron, Canton de Vaud, vigneron de profession, âgé d’environ 47 à 48 ans, taille d’environ 5 pieds 2 pouces, cheveux châtains, barbe rousse, front relevé, sourcils noirs, yeux gris enfoncés, nez pointu, visage maigre, gravé de petite-vérole, teint basanné, un peu voûté de corps, démarche pesante ; il parle français, le patois du Vignoble [neuchâtelois], et un peu l’italien et l’espagnol. ( Décrété de prise-de-corps par la Cour de Justice de Colombier, pour actes de violences graves, propos injurieux contre Sa Majesté, et cris séditieux. » (Neuchâtel, 20.10.1825).

Ajoutons tout de même que le dépouillement des signalements à la recherche de sujets plurilingues a également révélé l’existence d’une cinquantaine d’individus taxés expressis verbis de monolingues, comme par exemple Marie Madeleine Roche-Moret, de Corsier, qui a environ 56 ans en 1777 et « ne parle que le patois du côté d’Ollon » ou Jean Pierre Chollet, « laboureur » originaire de Maracon et Ecottaux, âgé d’environ 23 ans en 1797, « parlant le patois du Pays de Vaud, la langue française ne lui étant pas familière ».

L’omniprésence et la perméabilité des frontières linguistiques n’expliquent qu’en partie pourquoi beaucoup de nos ancêtres connaissaient plusieurs langues. D’autres facteurs entrent en ligne de compte. En général, la « linguarum peritia » apportait du prestige et l’ascension sociale passait par l’acquisition d’autres langues. Celle-ci commençait souvent très tôt, hors de l’école, sans grande pression normative, de façon ludique, en recourant à des méthodes d’apprentissage que nous réinventons aujourd’hui, et en faisant preuve d’une surprenante curiosité et disponibilité intellectuelle. Quoi d’étonnant alors de lire sous la plume d’esprits éclairés comme Bullinger, Comenius, Locke, Buninger, Mozart, Herder ou Goethe, que les langues pouvaient s’acquérir rapidement et, somme toute, assez facilement.

Si la richesse des répertoires linguistiques de l’homo praeindustrialis est le reflet des multiples contacts entre communautés linguistiques, ces contacts se manifestent encore ailleurs. D’une part dans les comportements linguistiques de nos ancêtres, à savoir leur difficulté de bien séparer les idiomes qu’ils connaissent ou leur penchant pour le code-switching, le va-et-vient entre différentes langues au sein d’un même énoncé ; d’autre part dans les très nombreux emprunts de tout genre que les idiomes se faisaient les uns aux autres sans souci de pureté.

Norbert Furrer, Syens

1) Le présent texte est basé sur une étude intitulée Die vierzigsprachige Schweiz : Sprachkontakte in der vorindustriellen Gesellschaft (15.(19. Jahrhundert), à paraître en automne 2000 aux éditions Chronos (Zurich).

 

  Les Chapelles de l'Eglise libre vaudoise, par Dave Luthi

Les Chapelles de l’Eglise libre vaudoise 1847-1965 (Histoire architecturale)

L’Eglise évangélique libre du canton de Vaud est fondée en 1847 par 157 pasteurs démissionnaires de l’Eglise officielle, dite nationale ; ils souhaitent ainsi se libérer de la tutelle de l’Etat radical, anticlérical et autoritaire. Durant son existence, l’Eglise libre construit près d’une centaine d’édifices, lieux de cultes, presbytères et bâtiments destinés à l’enseignement. Cet important patrimoine bâti témoigne aujourd’hui encore de l’importance qu’acquiert l’Eglise libre dans la vie religieuse du canton de Vaud pendant plus d’un siècle.

Ces édifices, souvent modestes, reflètent plusieurs influences architecturales, notamment celles des chapelles indépendantes britanniques, genevoises et neuchâteloises. Les architectes de l’Eglise libre sont des constructeurs majeurs de l'époque, tels les Lausannois Jules et Henri Verrey, le Veveysan Samuel Késer et le Genevois Edmond Fatio. Le style adopté par ces derniers évolue rapidement, passant d'une grande discrétion, dans les années 1850, à des formes néo-médiévales puis à un vocabulaire régionaliste, au tournant du XXe siècle. Durant l’Entre-deux-guerres, plusieurs salles de cultes reçoivent des peintures monumentales, œuvres du peintre Louis Rivier, qui participent du mouvement plus général d’introduction des images dans les temples protestants.

André Durussel

Bibliothèque historique vaudoise, Grand-Chêne 8, CH-1002 Lausanne. Collection dirigée par Antoine Rochat. Publication N° 118, Fr. 46.- (256p).

 

  Histoire d'une vocation, par Yvonne de Pourtalès

Marguerite Waddington-Delmas

Marguerite Waddington-Delmas, née le 9 août 1870 au château de Saint-Légier, à Darnetal, près de Rouen, a fondé en 1926 la Congrégation des Bénédictines Missionnaires, devenues Bénédictines de Sainte Bathilde. Issue d’une grande lignée protestante, mariée et mère de six enfants, elle se tourne vers la foi catholique après la mort prématurée de son mari, survenue le 5 août 1911. Marquée dès sa première année par les ravages de la guerre, elle le sera encore plus en 1914, puis en 1939. Trois fois, elle verra la France envahie par les troupes allemandes, le pays occupé, les siens mobilisés. Son père était absent à sa naissance, mobilisé contre l’avance des Prussiens qui occupaient sa maison ; en 1914, son fils et ses gendres se battent en premières lignes face aux Allemands qui parviennent aux portes de sa propriété sur la Marne, puis, en 1940, ce sera l’exode avec toute sa communauté religieuse lors de l’entrée des Allemands à Paris, la mort et les camps pour les siens.

Cette « Histoire d’une vocation », écrite par Yvonne de Pourtalès, petite-fille de cette Révérende Mère Bénédictine et cruellement frappée à son tour à l’âge de 21 ans par la mort de son mari1), s’étend jusqu’à l’année 1926. Elle est suivie d’annexes bibliographiques fort intéressantes, ainsi que d’un lexique.

Marguerite Waddington-Delmas est âgée de cinquante ans lorsqu’elle commence son noviciat, le 27 novembre 1920, à l’Abbaye Notre Dame de Jouarre fondée dans le diocèse de Meaux vers 630 sous la Règle de saint Colomban. Yvonne de Pourtalès évoque avec raison les difficultés que va rencontrer sa grand-mère :

La voilà dans cette grande abbaye, volontairement séparée du monde par les grilles qui en sont le signe concret, de ses enfants, de tout soutien spirituel autre que celui de la Mère Abbesse et de la Maîtresse des Novices qu’elle ne connaît presque pas.

La voilà face à la vie quotidienne, aux horaires, aux durs travaux matériels, aux exigences de la vie communautaire, à la nourriture fruste, souvent bien contraires à ses goûts et ses habitudes ; la fatigue physique, la lutte contre le froid, l’humidité ou la chaleur, le manque de sommeil, les accrocs de santé, viennent rendre ses journées bien différentes de celles auxquelles elle s’était efforcée de se préparer depuis dix-huit mois à Mantes et à l’avenue de Ségur !

Le changement de vie auquel elle doit faire face n’est pas une petite affaire à son âge, avec des habitudes devenues une seconde nature, avec ses goûts, ses besoins d’indépendance légitimes ; son corps souffre et se regimbe, même si sa volonté tend à la maîtrise. Dans l’ordre des sentiments, alors qu’elle croit s’être préparée à la souffrance de la séparation, elle sent croître en elle une tendresse maternelle souvent refoulée par son éducation protestante et anglaise ; ses sentiments de mère et de grand-mère se révèlent et grandissent ; au milieu de ce branle-bas physique et moral, la lutte la plus difficile qu’elle ait à affronter est la lutte contre elle-même.

Suite à la parution, en février 1926, de l’encyclique du Pape Pie XI intitulée « Rerum Ecclesiae », dans laquelle il exhorte les Supérieurs Généraux des Ordres contemplatifs à introduire et à étendre de plus en plus leurs activités missionnaires, Mère Bénédictine recevra, le 24 juin 1926, par Décret d’approbation de Rome, l’autorisation de fonder la Congrégation des Oblates Missionnaires de Saint-Benoît.

André Durussel

1)Raymond de Pourtalès, fils de l’écrivain Guy de Pourtalès, s’était marié le 11 mars 1940. Il était né le 25 novembre 1914 à Genève, au pays de « La Pêche miraculeuse ». Il est tombé sous les balles allemandes au Touquet, un lieu-dit de la petite commune de Bois-Grenier, près d’Armentières, le 28 mai 1940. On consultera à ce sujet avec profit le « Journal II de Guy de Pourtalès », 1919-1941, Editions Gallimard, 1991.

De Pourtalès Yvonne : Histoire d’une vocation, Marguerite Waddington-Delmas. Editions P. Lethielleux, 18, rue Condé, F-75006 Paris, mai 2000. ISBN 2-283-60183-5, Buchet-Chastel, Pierre Zech Editeur, 170p. 25/18 cm, relié. Avec un avant-propos d’Alexis de Pourtalès et une postface de Sœur Lazare de Seilhac, osb, Vanves, Saint-Thierry, datée du 30 novembre 1999.

PS : Une Fraternité œcuménique d’accueil, animée conjointement par des Diaconesses de la Communauté de Saint-Loup et des Bénédictines de Sainte Bathilde, a œuvré à Etoy pendant une quinzaine d’années.

Yvonne de Pourtalès vit actuellement à Etoy (La Romanèche).

L’avenir de la religion en terre vaudoise

Claude Bridel, professeur de théologie et ancien recteur de l’Université de Lausanne, avait autorisé ESPACES à reprendre en décembre 1979 (N° 51) un article publié initialement dans la Gazette de Lausanne & Journal de Genève en novembre 1979 et son portrait figurait sur la première page de notre revue culturelle.

Aujourd’hui, alors que nous « bouclons la boucle » de cette belle aventure éditoriale, nous sommes heureux de pouvoir reproduire, vingt années plus tard, un extrait de son article intitulé « Le défi de l’ouverture » publié en pages 42 et 43 du remarquable cahier spécial de 24Heures N° 304, décembre 1999, « Le siècle des Vaudois, qui ils sont, ce qu’ils ont fait ».

Merci, M. Claude Bridel, vous qui avez toujours discerné l’espoir dans le brouhaha, un peu comme le prophète Jérémie.

André Durussel
(votre ancien élève du SCT)

 

  L'espoir dans le brouhaha

Vers quel avenir se dirige la religion en terre vaudoise ? Nul ne peut le prédire à coup sûr. Il est simplement probable que le discrédit porté à notre époque sur les institutions rigides et bien nanties ne désarmera pas au tournant du millénaire. Raison suffisante pour que lesdites institutions, à commencer par celles que l’on pare de la qualification de religieuses, se recentrent sur l’essentiel de leur mission. Il n’est question pour elles ni de récuser la vivante tradition évangélique ni d’ignorer les interrogations de la modernité. Le grand effort de réforme structurelle entrepris par l’Eglise réformée sous le titre Eglise A Venir, et qui a reçu l’aval du Grand Conseil, va dans ce sens. Les confessions majoritaires dans le canton sont au défi de découvrir aussi bien la plus large ouverture sur une société décidément plurale qu’une attention toujours plus nette aux individus altérés de spiritualité vraie. C’est assez dire que l’heure n’est pas au repli dans un jardin clos ni aux déclarations générales et péremptoires. Si les Eglises réussissent à apporter leur part de clarté dans la confusion des esprits, et cela en coopérant avec tous ceux qui ne se résolvent pas à la catastrophe, si elles apprennent à mieux communiquer en actes comme en paroles leur espérance vivante, on pourra parler de religion parmi nous.

Du Festival de 1903 à la Fête des Vignerons de 1999, que de musiques religieuses ou profanes sur notre terre vaudoise ! Elles n’assourdissent que ceux dont l’oreille a perdu l’habitude de discerner, dans ce brouhaha, l’espoir et la quête d’une harmonie.

Claude Bridel (Prilly)

1) A propos d’harmonie, nous recommandons vivement aux lecteurs d’ESPACES intéressés par ce domaine l’excellent petit ouvrage de Shafigue Keshavjee intitulé « Vers une symphonie des Eglises » publié par les Editions Saint-Augustin, CH-1890 Saint-Maurice et les Editions Ouverture en octobre 1998. Cet ouvrage contient sur 67 pages l’essentiel des enjeux du dialogue intra et interecclésial d’aujourd’hui. (ISBN 2-88011-131-5).

L’avenir de la Bibliothèque des Cèdres (BCU/C) à Lausanne, lié au futur « Observatoire des religions en Suisse », est dans ce contexte une évolution heureuse qu’ESPACES salue avec joie.

 

  Prémisces d'automne, par Aline Morzier

Prémices d’automne

Les prémices d’automne ont bercé le jardin,
L’ultime et doux aveu de la rose chancelle ;
Lorsque doute l’amour, je frissonne au matin ;
Ce lien m’est pesant, pourtant il m’ensorcelle !

L’ultime et doux aveu de la rose chancelle
Quand rougit le sous-bois en gilet de satin ;
Ce lien m’est pesant, pourtant il m’ensorcelle,
Alors que mon beau rêve échappe à son destin.

Quand rougit le sous-bois en gilet de satin,
Le rythme s’alanguit, qu’une brise cisèle,
Alors que mon beau rêve échappe à son destin
Emportant de mon cœur l’ineffable étincelle.

Aline Morzier

Ce poème est tiré d’un récent recueil intitulé « Rythmes sous le saule » publié à compte d’auteur par les Editions de l’Aumerade à Lancy, Genève en décembre 1999. Aline Morzier est présidente du Cercle romand de poésie classique. Beaucoup de beaux adjectifs, un romantisme désuet au premier degré ? Peut-être ? Mais il n’appartient pas (ou plus) à ESPACES de porter un jugement de valeur sur ce genre de poèmes qui font plaisir aux membres du CRPC, lesquels cultivent avec ferveur ce genre de versification classique…

Pour un complément d’information ; CRPC, 28, route de Chancy, CH-1213 Petit-Lancy.

 

  Glérolles, par Charles-François Landry


Glérolles, un texte peu connu de Charles-François Landry

Notre revue culturelle a toujours porté sur l’œuvre de l’écrivain Charles-François Landry (1909-1973) un regard à la fois attentif et admiratif. A l’heure où nous tentons de nouer la gerbe de ces auteurs pour lesquels les grandes saveurs terrestres sont encore perceptibles, il nous a semblé légitime d’évoquer une dernière fois Charles-François Landry. Une petite plaquette de 1954, trouvée à la Brocante de Payerne le Vendredi-Saint 21 avril écoulé, nous en donne l’heureuse occasion 1).

Comment parler du Château de Glérolles et de son histoire mouvementée au cours des siècles après le roman de Georges Borgeaud (La Vaisselle des Evêques, Ed. Gallimard) et autrement que l’a fait le regretté Louis Germond en 1996 (Château de Glérolles, Ed. Cabédita) ?

L’avis de Charles-François Landry fera peut-être sourire les historiens universitaires d’aujourd’hui et Norbert Furrer en particulier, mais il exprime bien l’enjeu des pages qu’il va écrire :

Il y a deux manières de raconter l’histoire : on attend de n’avoir plus que l’os tout sec, et cela se nomme l’histoire. Il suffit de quelques chiffres et de beaucoup d’audace. Mais, pour ceux qui n’ont jamais été amoureux des squelettes, il y a la petite histoire ; on l’appelle ainsi parce qu’elle est vivante. On est tenté de la croire moins vraie que l’autre, parce qu’elle s’appuie justement sur la vie, les comptes de ménage, un méchant hiver, une araignée qui tisse sa toile dans votre fenêtre, une rose qui fleurit hors de saison, une abeille qui vient vous voir. Il faut, pour recréer la petite histoire, beaucoup d’amour.

« Il faut beaucoup d’amour ». Tout au long de ces 42 pages éclairées par des enluminures de René Creux, cet amour est présent, il irrigue ce récit d’une saveur inimitable, mentionnant, à partir de Landry de Durnes, vers 1160, les différents propriétaires de cette vénérable bâtisse au bord du Léman.

Et voici comment s’achève cette évocation :

Enfin, la vigne, hirondelle couveuse et lézard ébloui, la vigne attend sur place ce que les destins vont permettre. Torve et comme bossue, la vigne est prête à toutes les jeunesses, à toutes les amours, à toutes les maturités.

Et Glérolles, pressoir, vieux mur à lézards, corniches à hirondelles, Glérolles carrefour des vents, c’est un raisin mûr, une fleur de pierre, c’est tout ce que raconte quelquefois le beau vin.

Charles-François Landry

1) Glérolles, par Charles-François Landry. Petites images au fil du temps. Edité par l’Office de Propagande pour les vins vaudois et imprimé par Roth et Sauter en 1954. 42p. 18/11,5 cm. Illustrations de René Creux.

 

  Voici de nouveau l'automne : Un souvenir de Vio Martin

Un souvenir de Vio Martin, membre fondatrice d’ESPACES (1906-1986)

Voici de nouveau l’automne. Les montagnes ont perdu pied dans la marée montante des brumes. Il n’y a plus ni Jura, ni Alpes, seulement de l’un à l’autre horizon de forêts une longue pièce de soie grise plissée au ras des hauts feuillages.

Jour d’argent brouillé, tranquille comme une cloche au repos et comme elle sonore à la moindre haleine : des troupeaux tintent au loin. L’écho d’un train titube.

Il pleuvra. Ce sera un bon jour pour les agarics champêtres. Personne ne viendra dans mon domaine solitaire. Les mûres gonflées d’eau s’écraseront sous mes doigts.

Vio Martin
(Equinoxe d’automne, Librairie Payot, Lausanne, 1947, p. 21)

Vio Martin

Née le 24 avril 1906 à Vich, près de Nyon, Vio Martin fut institutrice pendant trente-trois ans, mais c’est avant tout aux lettres qu’elle se consacra. Elle publia de nombreux poèmes : Paysages, Escales, Equinoxe d’automne, Poésies pour pomme d’api, L’enchantement valaisan, Saisons parallèles, Petit moulin, Mes chants et mon pipeau, Terres noires, Ils étaient trois petits enfants, Visages de la flamme, Contes pour enfants, Le chant des coqs, Grave et tendre voyage.

Vio Martin fut secrétaire de l’Association des écrivains vaudois durant près de vingt ans, co-rédactrice des « Cahiers pour l’Art » et membre de l’Académie rhodanienne des Lettres (dès 1975) et de la Société des poètes français.

Après avoir habité à Bussigny, puis Moudon, elle s’était établie à Lucens où une ruelle porte désormais son nom. ESPACES lui avait consacré un numéro en avril 1985, à l’occasion de la sortie de presse de l’ouvrage bio-bibliographique de M. Jacques Bron (Edit. universitaire, Fribourg).

Rédaction/André Durussel

 

  Alain-Fournier, le paysage d’une âme

Etudes littéraires : Alain-Fournier, le paysage d’une âme

Ce numéro d’anniversaire d’ESPACES eût été incomplet sans une pensée émue de reconnaissance envers le professeur Henri Perrochon, qui a assisté et collaboré aux premiers numéros de notre publication mensuelle, de Payerne, où il résidait.

Lecteur attentif, chroniqueur apprécié, érudit, mais sans pédantisme, Henri Perrochon avait préfacé mes premiers pas en poésie chez Perret-Gentil à Genève en 1967 déjà (Le Poids léger des jours).

En 1972, il préfaçait également une étude littéraire de Walter Jöhr consacrée à l’œuvre d’Alain-Fournier (1886-1914) éditée initialement par « Les Cahiers du Rhône » et rééditée dans la collection « Langages » à la Baconnière :

« Le travail de Walter Jöhr sur Alain-Fournier a l’accent d’un témoignage… Contact de sympathie, de participation avec l’œuvre envisagée. Recherche de la signification véritable d’une œuvre qui, transfigurant la vie par l’art, l’a élevée à sa réalité supérieure plus réelle que toute vie vécue. Ceux qui aiment le Grand Meaulnes apprécieront cette manière de parler de lui et de son auteur, avec enthousiasme, délicatesse et respect, ce paysage d’une âme ».

Henri Perrochon

Au sujet d’Alain-Fournier, signalons encore que tous les manuscrits que possède Alain Rivière, neveu d’Alain-Fournier, seront donnés cette année à la Bibliothèque municipale de Bourges (dans le Cher, France) où ils pourront être consultés.

André Durussel

 

  Terre et cendres par Atiq Rahimi

Littérature étrangère : Atiq Rahimi : Terre et cendres (Khâkestar-o-khâk)

La voleuse de larmes

Entre les deux berges de la rivière asséchée, entre Kaboul et la mine de charbon de Karkar, Dastaguir, attend. Son visage est aussi usé que les montagnes. Le « temps a laissé l’empreinte de son passage près des yeux, une empreinte formée de lignes sinueuses, comme des vers entrelacés autour de deux orifices, des vers affamés qui guettent ». Son cœur est en poussière. Dans cet univers minéral, seul un point semble encore le relier à la vie. Il est plongé dans une interrogation sans fin, cherche à s’expliquer ce qu’il est obligé de commettre. Car il sait qu’il va plonger un poignard dans le cœur de son fils, travailleur à la mine.

A ses côtés, son petit-fils, Yassin, trop jeune pour comprendre que « si les hommes n’ont plus de voix, si la pierre ne fait plus de bruit, si le monde est silencieux », c’est parce qu’il est devenu sourd à la suite du bombardement russe qui a anéanti sa famille, toutes les familles de son village. Mais avec son intelligence d’une autre dimension, il sent que la bombe a tout fait taire, que « les tanks ont pris la voix des gens » et sont repartis semer la mort ailleurs.

Dastaguir devenu comme aveugle à force d’horreurs, submergé par sa douleur, sa dignité crucifiée, vit un instant suspendu entre deux rives, entre les morts et son fils à qui il doit annoncer le désastre.

Dans ce temps qui s’étire, il blasphème, injurie Dieu, divague dans les images terribles du passé récent, se perd dans l’enfer de ses pensées. Il se sait condamné à vivre alors qu’autour de lui tout n’est que cendres, condamné à enfoncer à son tour la douleur dans le cœur d’un autre. Il implore même il ne sait qui pour devenir le fils de son propre fils afin de pouvoir être consolé.

Ce long cri de souffrance, cette blessure dont le sang ne coagulera jamais, dit l’horreur de la guerre, l’horreur du mal dont souffrent les survivants, du mal qu’ils sont obligés de se donner, de l’impossibilité d’oublier. Même si les larmes laissent couler le chagrin, il reste à jamais imprimé.

Atiq Rahimi parle au nom de tous ceux à qui la guerre a volé leurs larmes, à tous les civils emportés, malgré eux, dans les tourments de l’histoire et qui ne pourront jamais étancher leur tristesse, à tant de parents qui ont engendré la vie et qui par suite de circonstances, donnent la mort. Il parle au nom de tous ces hommes simples parce que ce sont eux qui par leur langage naïf, leurs images d’une poésie non fabriquée, leurs émotions à fleur de peau, cherchent, sans espoir, à croire encore en une humanité.

Claire Julier

Atiq Rahimi : Terre et cendres (Khâkestar-o-khâk), roman traduit du persan (Afghanistan) par Sabrina Nouri. Editions P.O.L. 93 pages.

 

  Exposition : La bella maniera

La bella maniera (le beau style)
Une exposition du Cabinet des Estampes au Musée d’art et d’histoire de Genève (1520-1610)

Gravures maniéristes de la collection Georg Baselitz. Le goût pour ces gravures chez ce peintre, sculpteur et graveur, remonte à 1965, lors d’un séjour de six mois à la Villa Romana :

« A Florence, j’ai découvert qu’il existait des gravures de gens que j’appréciais beaucoup, comme Pontorno, Rosso et l’Ecole de Fontainebleau. J’ai trouvé leurs estampes sur le marché et je les ai achetées pour le seul motif que c’était exactement ce qui m’intéressait en peinture. Je ne suis pas devenu pour autant un collectionneur en général, mais par certaines gravures j’ai pu souligner ma vision et mes théories ».

Le champ historique de la collection Baselitz et de son exposition partielle au Musée d’art et d’histoire va de 1520 à 1610, soit de la mort de Raffaello à l’« Orfeo » de Monteverdi (1607) et à la mort d’Henri IV de France.

C’est Giorgio Vasari, l’auteur des « Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes », qui introduit la notion de maniera, de style :

« Le beau style enfin procédait de l’usage de représenter ce qu’il y a de plus beau, d’assembler les plus belles mains, les plus belles têtes, les plus beaux corps, les plus belles jambes afin d’obtenir la plus belle figure possible et d’en tirer parti pour tous les personnages de la composition. C’est pourquoi on dit « la bella maniera ».

Sous la bannière du beau style, Vasari regroupe les artistes de son temps, de Michelangelo à Raffaello, à Rosso Fiorentino, Giulio Romano, Pierino del Vaga, sans oublier Correggio et Parmigianino.

Les peintres-graveurs maniéristes inventent alors en s’appuyant sur la tradition pétrarquiste et l’exemple des littérateurs contemporains. La diffusion du maniérisme trouve dans l’estampe son vecteur privilégié, joue un rôle de premier plan (pas toujours bien connu) dans le maniérisme compris comme caprice d’exploration du réel.

Giuseppe Patanè

(Une exposition à voir jusqu’au 22 octobre 2000)

 

  Ce qu'elles ont écrit

Une sincérité profonde

Par son art, celui d’une expression exigeante, aussi dense et travaillée que possible, l’écrivain tend à produire le meilleur, à l’instar de tout artisan soucieux de mettre en valeur son savoir-faire, acquis par l’apprentissage et l’exercice du métier.

Mais la forme ne suffit pas à faire d’une œuvre un authentique projet artistique. Essentiellement, ce dernier est inspiré par une sincérité profonde, qui constitue à la fois la garantie de l’honnêteté de l’écrivain et la condition de la force de son discours littéraire (la même chose vaut pour le projet politique). Là où beaucoup se contentent de mimer les travaux d’auteur, en multipliant les figures de style, les tournures précieuses et les termes compliqués, les vrais écrivains poursuivent leur recherche en vue de toucher leurs futurs lecteurs, c’est-à-dire de les atteindre et les émouvoir à la fois.

Yvette Jaggi
(Le Style est une question de morale)
in : SSE/Nagel & Kimche, 240p. 1999
Voir aussi : Le beau style, article de G. Patanè

 

  Espaces remercie...

Espaces remercie vivement
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Bientôt la fête du vingt-cinquième anniversaire

Il reste encore quelques cartes de fête à Fr. 50.- pour participer au concert du Quatuor du Jacquemart et à la cérémonie officielle du 21 octobre prochain en la Maison Villageoise de Syens-près-Moudon. S’adresser à notre rédaction à Hermenches
(Tél. 021/905 24 72)

 

Page créée le 10.07.00
Dernière mise à jour le 09.10.01

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