Feuxcroisés
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Littératures et Échanges
culturels en Suisse / Revue du Service de Presse Suisse
Feuxcroisés
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Comité de rédaction
: Marion Graf, Jean-Luc
Badoux, Daniel Rothenbühler, René Zahnd
Adresse
Revue du Service de Presse
Suisse
Chemin des Truits 20
1185 Mont-sur-Rolle
francesco.biamonte@freesurf.ch
Diffusion
Editions d'en bas
Rue du Tunnel 12
CH - 1005 Lausanne
enbas@bluewin.ch
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Sommaire |
Editorial
Les littératures
suisses en quête de sens
Enquête et entretiens réalisés par José
Ribeaud, avec Mme Ruth Dreyfuss, Conseillère fédérale,
MM. François Loeb, Flavio Zanetti, Bernard Cathomas,
Giovanni Orelli, Chasper Pult, Peter André Bloch, Daniel
de Roulet, Paolo Barblan, Hugo Loetscher
Les traducteurs, bâtisseurs
de passerelles
un dossier réalisé par Isabelle Rüf
Dossiers
écrivains
Klaus Merz, par Marion Graf
Gerhard Meier, par Anne Lavanchy
Christoph Geiser, par François Conod
Ruth Schweikert, par Marion Graf
Giorgio Orelli, par Markus Hediger,
Alice Vollenweider et Christian Viredaz
Fabrizio Locarnini, par Christian Viredaz et Aurelio Buletti
Leo Tuor, par Jean-Jacques Furer
Luisa Famos, par Iso Camartin
Traducteurs
et passeurs
Gabriel Mützenberg par Flurin M. Spescha
Christian Viredaz, par Markus Hediger
Wilfred Schiltknecht, par François Conod
Un entretien avec Gilbert Musy, par Charles Clerc
Fanny de Robert Walser, traduit par G. Musy
Libres opinions
Un plaidoyer pour lenseignement bilingue, par Christine
dAnna-Huber
Les langues de la division, par José Ribeaud
Revue de presse des livres décrivains
suisses traduits en français en 1998
Panoramas
de lannée littéraire, en 1998
Suisse italienne, par Giovanni Orelli
Grisons romanches, par Clà Riatsch
Suisse alémanique, par Daniel Rothenbühler.
Avec des notes de lecture de Marion Graf, Anne Lavanchy, Patricia
Zurcher, Daniel Rothenbühler et Wilfred Schiltknecht
Revues de Suisse, par Françoise
Fornerod et Daniel Magetti
Sur quelques organisations et Fondations
qui font le lien, par Christine dAnna-Huber
Crédits et sources
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Editorial |
Rêver ensemble?
Encore une revue! pour qui, pourquoi,
à quoi bon?
La Suisse romande est un pays de revues.
Ephémères ou durables, elles ont joué
et jouent toujours un rôle capital dans la vie littéraire
de cette région, cristallisant les tensions et les
questions propres à chaque époque, ouvrant leurs
pages à la création, aux débats, favorisant
souvent léchange au-delà des frontières.
Cest dans ce contexte que paraît aujourdhui
le premier numéro de Feuxcroisés. Volumineux,
trop foisonnant peut-être, il veut, dans un premier
temps, ouvrir large léventail des thèmes
et des approches pour affirmer sa singularité: celle
dune revue éditée en Suisse romande, mais
ouverte sur la Suisse entière.
Certes, à lheure du morcellement
des Etats et des replis nationalistes, la Suisse semble parfaitement
soudée, fière héritière de ses
700 ans de Sonderfall. Et sans aller jusquà y
participer vraiment, il ne lui déplairait pas de servir
dexemple à lEurope en train de se construire:
modèle dune nation plurilingue, parfaitement
administrée de surcroît
Mais on ne le sait que trop, zones
dombres du passé, isolement en Europe, multiplication
de grands et petits scandales, inégalités sociales
grandissantes lézardent le tableau idyllique. Maint
scrutin populaire, ces dernières années, a fait
apparaître des fractures non seulement linguistiques,
mais encore sociales ou politiques. Et plus dune fois,
on a vu le fameux Röstigraben, symbole de lincompréhension
confédérale, servir à enfouir les questions
véritables. De là, chez certains, une tendance
au dénigrement, à lautoflagellation, à
la triste dérision, à linquiétude
ou au repli. Dans un tel climat, Feuxcroisés apporte
une réponse différente, celle de léchange,
de louverture, de lincitation au dialogue. Notre
position est simple: puisque nous vivons ensemble, cherchons
à nous connaître et à nous comprendre.
Si notre travail prend un tour nouveau,
il sinscrit dans une continuité: celle développée
par le Service de Presse Suisse (SPS). Fondé au début
de la Deuxième Guerre mondiale, le SPS est lune
des institutions que les dirigeants politiques placèrent
sur léchiquier de la résistance spirituelle.
Attaché en un premier temps à la défense
de la culture helvétique, cet organisme romand (dont
le Schweizer Feuilleton Dienst est léquivalent
alémanique) est devenu au fil des ans un intermédiaire
précieux entre les écrivains et la presse écrite.
Grâce au dynamisme de ses directeurs successifs, en
un demi-siècle, ce sont plus de 10000 textes dauteurs
consacrés ou non qui, distribués par ses soins,
ont enrichi les sommaires des journaux et magazines romands.
Mais aussi riche et fertile soit-elle,
une formule nest pas éternelle. Le rayonnement
du SPS dépendait de divers facteurs dont le principal
était le négoce avec les médias. Or depuis
quelques années, le milieu de la presse sest
considérablement crispé. Lépoque
est aux fusions et aux rationalisations, et nombre de titres
ont souffert de la dépression du marché publicitaire,
quand ils nont pas purement et simplement disparu. Cette
situation a remis en question le mode de travail du SPS. Ne
pouvait-on inventer une formule selon laquelle le SPS, tout
en restant fidèle à sa tradition (la défense
des écrivains), se trouverait davantage aux prises
avec la réalité daujourdhui, de
manière cohérente et visible? Le SPS ne pouvait-il,
à sa façon, souvrir aux questions qui
secouent ce pays et aux défis qui lattendent?
La formule trouvée a deux visages:
Feuxcroisés (qui paraîtra chaque année)
et un site Internet. Ce sont là deux moyens de servir
une même vocation: à partir de la littérature
et de la question des langues, valoriser et favoriser les
échanges entre les différentes régions
de la Suisse, encourager la curiosité, la compréhension
réciproque. Dans cette perspective, la littérature
offre des ressources infinies: le Tessin nous est peut-être
plus intelligible dans un roman de Giovanni Orelli, lArgovie
nous est peut-être mieux sensible dans un récit
de Klaus Merz quau travers de longs reportages et dexplications
consciencieuses. Cest du moins sur cette conviction
que se fonde notre projet.
Les experts le répètent
à lenvi, il nexiste pas une littérature
suisse, mais des littératures en Suisse. Les frontières
linguistiques nont pas seulement pour conséquence
de compliquer la communication, dobliger soit à
lapprentissage des langues, soit à la traduction
(deux aubaines en réalité), elles ont également
pour effet que la vie littéraire de chaque région
est tournée vers des capitales culturelles étrangères:
le Suisse romand lorgne vers Paris, le Tessinois vers Milan
et lAlémanique vers lAllemagne ou lAutriche,
où se trouvent dailleurs très souvent
son éditeur et la majorité de ses lecteurs.
Quant au Romanche, il est bien obligé de compter sur
ses seules forces. La vie littéraire des différentes
régions est donc soumise à des forces centrifuges.
Ces données de base, bien entendu, ne favorisent pas
les contacts entre les Suisses, et qui plus est, de redoutables
barrières mentales, plus difficiles à franchir,
se dressent souvent sur les frontières linguistiques!
Mais ces données représentent également
une chance, pour chaque habitant de ce pays, délargir
sa perception des choses et denrichir son univers. Telle
est du moins lexpérience quont faite tous
ceux qui sengagent pour promouvoir léchange
littéraire en Suisse: des éditeurs, des traducteurs,
des instances subventionnantes. Malgré les difficultés,
ils multiplient les initiatives pour faire connaître
les littératures issues des autres régions.
Feuxcroisés veut participer
activement à ce travail, sen faire lécho
et en développer, à sa manière, certains
aspects. Dans chaque livraison, on trouvera des dossiers,
des enquêtes, des présentations décrivains,
des entretiens, des textes de fiction, une liste commentée
des principaux ouvrages parus en traduction et en langue originale,
un survol des principales revues littéraires et de
lactivité des organisations qui soutiennent ou
favorisent les échanges. Tout cela dans le dessein
de multiplier les approches, les éclairages, les passerelles.
La revue entend rassembler les énergies, mettre en
lumière le rôle essentiel des traducteurs, des
passeurs, de tous ceux qui agissent concrètement, inlassablement
pour enrichir le dialogue. Feuxcroisés sera ainsi,
nous le souhaitons, un relais vivant de la pensée et
de lémotion, un outil de travail et une source
de découvertes.
Si la Suisse passe pour un Sonderfall,
elle est aussi un cas dexception dans le domaine de
la littérature. A-t-on déjà vu pays si
petit où il sécrit, où il se publie
et où il se lit si généreusement? A-t-on
déjà vu, dans un territoire si exigu, fleurir
autant duvres de haute qualité? Ces uvres,
il faut les faire connaître, les faire circuler, pour
découvrir létendue de richesses que souvent
même leurs voisins immédiats ignorent."Le
divers décroît. Cest le danger du monde",
affirmait Victor Segalen. Le divers nest pas une vue
de lesprit. Il se vit, sentretient, se développe.
Le cultiver, cest désamorcer ce quil peut
avoir dinquiétant et de paralysant, cest
souvrir une possibilité de vivre ensemble dans
le concert du monde, non seulement sous légide
dune organisation administrative, avec ses qualités
et ses hoquets, non seulement sous la férule dune
économie mondialisée, mais aussi en se ménageant
des espaces pour rêver ensemble.
Le Comité de rédaction
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Hugo Loetscher |
"Si jétais ministre
suisse de la Culture
"
Hugo Loetscher mavait donné
rendez-vous à 6 heures 30, dans un restaurant des quais
de la Limmat où il a lhabitude de prendre son
petit déjeuner quand il séjourne à Zurich.
Notre entretien a étrangement ressemblé, par
le ton et dans son déroulement, à son désopilant
Si Dieu était Suisse
Ses réflexions peuvent
paraître de prime abord anodines, décousues,
dérisoires, extravagantes et même abracadabrantes.
Mais de fil en aiguille, linterlocuteur ne peut que
subir la fascination de ce fabuleux conteur dont lhumour
décapant et louverture desprit se nourrissent
dune expérience de vie cosmopolite et multiculturelle.
Loetscher ne se sent pas à létroit dans
la petite Suisse. Il en ignore les frontières et en
transcende les limites psychologiques. Cest assez dire
quil rejette lexception helvétique, ce
paralysant Sonderfall. Cependant, il ne renie jamais son identité
et il assume ses origines. Contrairement à Dürrenmatt,
par exemple, il ne revendique pas ostensiblement sa suissitude.
Il la pimente en revanche de tous les apports des langues
et des cultures qui lui sont familières. Il ne se sent
pas malheureux en Suisse. Ce matin-là, le fait quil
venait de remettre le manuscrit de son nouveau roman à
son éditeur en Allemagne (Diogenes Verlag) et quil
sapprêtait à partir pour lEspagne
dabord, le Portugal ensuite, le rendait plus volubile,
plus espiègle et plus exubérant encore que dhabitude.
Ce qui ne la pas empêché de regretter demblée
le manque de curiosité des Suisses les uns pour les
autres et le fait que le bilinguisme soit une illusion car
il faut compter de plus en plus souvent avec langlais,
langue utilitaire qui naméliore pas la compréhension
réciproque et le dialogue intérieur.
Existe-t-il, à votre avis,
une littérature suisse ?
Je ne pense pas quil existe une
littérature suisse mais jespère quil
y a une conscience littéraire suisse. Quil ny
ait pas de littérature est une évidence démontrée
par le fait que nous nous rattachons pour ainsi dire tous
aux courants littéraires des pays dont nous partageons
la culture, pour les Alémaniques, à lAllemagne
et à lAutriche. La conscience littéraire
des écrivains suisses découle du fait que nous
vivons dans un pays aux quatre langues, de sorte que personne
ne peut revendiquer lexclusivité de sa langue.
Doù limportance de la traduction littéraire.
A mes yeux, on est seulement un écrivain suisse quand
on est lu dans une autre région linguistique. Hélas,
cest souvent par des voies détournées
que nous atteignons le public helvétique. Ainsi, mon
livre Si Dieu était Suisse
a bel et bien été
traduit par un Romand (Gilbert Musy ndlr), mais publié
chez Fayard et Le Déserteur engagé, par Belfond.
Ainsi, à part Les Egouts paru dans la collection ch,
mon itinéraire romand nest pas passé par
Berne et Lausanne, mais par Paris. Cest une grande illusion
de croire quil y a des médiateurs suisses dans
la littérature européenne. La situation est
totalement différente pour les écrivains alémaniques.
Cest plus facile que pour les Romands car il ny
a jamais eu une capitale culturelle unique pour les pays de
langue allemande. Ainsi, au XVIIIe siècle déjà,
Zurich était un centre littéraire important.
Nous navons donc pas connu le dilemme des Romands et
des Suisses italiens pour lesquels si on nest pas publié
à Paris pour les premiers, à Milan pour les
seconds, on est condamné à cultiver le régionalisme.
Même Ramuz sest résolu à "monter"
à Paris !
Dans notre petite République
qui se flatte de cultiver le pluralisme des opinions et la
diversité linguistique, lécrivain a-t-il
une fonction civique à remplir ?
Dans la littérature de
Suisse alémanique, il y a toujours eu le conflit entre
la dialectique et lengagement. On attend de lécrivain
quil expose sa position politique. Ainsi Muschg est
disposé à jouer ce rôle. En revanche,
la jeune génération refuse souvent décrire
sur la Suisse. Pour ma part, cest par le journalisme
que jai exprimé mes idées reprises dans
Les Egouts. Pour mon uvre romanesque, je récuse
létiquette décrivain politique si
lon entend par là que lécrivain
montre la voie au peuple. Ayant constaté quil
sétait politiquement exposé dans son dernier
roman, Martin Salander (1887), Gottfried Keller disait: "Jai
limpression que jai été trop vrai
et pas assez bon" ! Robert Walser, grand écrivain
lui aussi, nest jamais tombé dans ce piège.
Quant à moi, dans chaque utopie jintroduis le
scepticisme car les gens qui croient aux grandes idées
sont finalement déçus. Le scepticisme me permet
déviter la déception ou le cynisme.
Vous êtes un écrivain
cosmopolite. Vous passez avec aisance dune culture à
lautre et vous maîtrisez au moins cinq langues
européennes. Etes-vous lexception parmi les écrivains
suisses ?
Les écrivains suisses
ne se connaissent pas dune région à lautre.
On baigne dans un laisser-vivre pour ne pas prendre conscience
de lautre. Jai, dans ce contexte, une position
atypique. Je ne lis pas en priorité la littérature
allemande. Mais je tâche de tout découvrir pêle-mêle.
Cest pour moi une manière de malimenter
aux sources de la littérature mondiale. Souvent, en
Suisse, on est chauvin, un brin fanatique même à
légard de sa propre langue. Y compris les critiques
littéraires. Cest une manière de repli
linguistique qui contraste avec lesprit douverture
internationale à légard de la musique
et de la peinture. Voyez les dialectes alémaniques.
Ils ne cessent de gagner du terrain. A tel point que même
les enseignants ne savent plus parler lallemand. Pourtant,
la connaissance de lallemand classique est nécessaire
au dialogue intérieur et à louverture
sur lextérieur. Il est en constante progression
en Europe centrale. Nous aurons certainement à lavenir
deux sortes de bilinguismes, un national et un international.
Ainsi au Parlement, on va continuer à parler allemand
et français en ignorant presque complètement
litalien. En revanche, dans les relations bancaires,
dans la recherche et la technologie, un anglais utilitaire
va de plus en plus simposer. Je peux mimaginer
écrire des articles en anglais. Mais ma poésie
sera toujours en allemand. Il convient donc de cultiver le
bilinguisme allemand-français. Mais il importe dapprendre
plus tôt langlais. Je suis en revanche pessimiste
pour litalien. De toute manière, cest une
illusion de croire que les Suisses connaissent les langues
étrangères.
Quentreprendriez-vous en faveur
de la littérature si vous étiez ministre de
la Culture?
Je nai jamais été
intéressé par la politique. En revanche, jaurais
volontiers été diplomate. Il maurait plu
de travailler dans une organisation internationale telle que
lunesco. Je préfère représenter
la culture plutôt que de la gérer. Je suis allergique
au jeu politique des partis. Mais si jétais ministre
de la Culture, je mefforcerais dassurer lexistence
des maisons déditions et des revues littéraires,
surtout pour les Romands, les Suisses italiens et les Romanches.
En outre, je tâcherais dinstitutionnaliser les
échanges des écrivains entre les régions
linguistiques. Dans ce domaine, les Allemands et les Français
font davantage que les Suisses. Pour moi, je verrais bien
un écrivain de Suisse romande passer une année
à Vienne ou à Florence, un Alémanique
à Genève ou à Marseille, un Tessinois
à Berlin, un Romanche à Bruxelles, etc. Dans
cette perspective, je suis un écrivain comblé
et heureux. Me voilà sur le point de partir pour Madrid,
puis je me rendrai à Porto et je continuerai mon voyage
en Amérique. Mon bonheur se nourrit dune curiosité
intellectuelle de tous les instants.
Interview réalisée par José
Ribeaud
Page créée le 23.10.99
Dernière mise à jour le 20.06.02
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