Jörg Steiner
Arriver à raconter le monde
Jörg Steiner est un des auteurs
majeurs de la littérature suisse de langue allemande.
Ce narrateur à la fois classique et novateur assure
la transition entre Max Frisch les références
à Friedrich Dürrenmatt ne sont guère perceptibles
dans son uvre et une génération
décrivains plus jeunes, dont nous retiendrons
les noms de Peter Weber et Ruth Schweikert. Contemporain de
Peter Bichsel, dOtto F. Walter, de Hugo Loetscher ou
dAdolf Muschg, qui tous ont commencé à
écrire au début des années soixante,
Jörg Steiner mérite à lui seul un chapitre
de lhistoire de la littérature alémanique,
puisquil est lauteur dune uvre absolument
singulière.
Il sagit effectivement dune
uvre, car les romans et les nouvelles de
Steiner forment un tout. Leur unité ne relève
pas dune vision du monde ou de luvre dart
totale. Elle réside non pas dans un récit qui
aurait commencé avec les premiers textes et se serait
poursuivi jusquaux plus récents, mais dans la
manière denvisager la narration. Cest pour
cela que Steiner parle dévolution en terme de
déploiement: la narration trouve son sens dans le fait
même de raconter. Steiner ne sintéresse
pas au résultat mais à la démarche: il
veut rendre le monde racontable. Cet objectif
peut sembler paradoxal, mais il a sa logique dès lors
que le provisoire fait partie de lunité narrative.
De même que la plupart de ses personnages ont une préhistoire
(parfois criminelle), ce qui leur arrive dans
le texte, pour utiliser une expression steinérienne,
demeure aussi à létat de préhistoire.
Quelle que soit lintrigue, elle nest jamais au
centre de la narration.
Les textes de Jörg Steiner traitent
dévénements et dincidents vérifiables.
Mais lintérêt de leur auteur nest
pas celui dun chroniqueur. Pour lui, lhistoire
aussi appartient à la préhistoire. Goody, le
personnage principal de Wer tanzt schon zu Musik von Schostakowitsch,
travaille comme gardien dans le musée de la préhistoire
local. La préhistoire relève de lhistoire
naturelle. Jörg Steiner a toujours un il dirigé
sur le sol et ce quil recouvre: il peut sagir
de roche solide mais aussi dun endroit sauvage, domestiqué
en apparence seulement, un terrain vague, marécageux,
où viennent sinstaller les nomades de Fremdes
Land. Lautre il regarde en lair et scrute
le ciel. En étant attentif aux conditions météorologiques,
Steiner essaie de trouver une explication à linexplicable.
Comme dans Lhomme apparaît au quaternaire, de
Frisch, lapocalypse qui met un terme à Schostakowitsch
est dordre météorologique: une pluie diluvienne
anéantit lEurope. Mais nulle part lexplicable
et linexplicable (le racontable et lirracontable!)
ne se recoupent avec autant de précision que dans la
nouvelle Der Kollege: Greif, le chômeur qui arpente
la ville pour essayer de retrouver son assise sociale, est
victime dun accident mortel. A la fin de lhistoire,
son collègue, qui est déjà mort et qui
patine dans une crique au bord dun lac gelé,
lappelle à lui et lui crie à loreille:
Regarde en bas! Tu vois maintenant? et Greif répond:
Oui, je vois.
Les livres de Jörg Steiner ont
aussi une unité spatiale. Il ne sagit pas de
manière primaire de leur ancrage dans une ville située
au pied du Jura, quon na cessé de souligner.
Lespace esquissé par Steiner est universel, il
dépasse les lieux quil décrit. Sans jamais
sabsenter du terrain concret doù viennent
les personnages, il crée un espace poétique,
qui englobe la fantaisie, le rêve et lespoir.
Lespoir et son image inversée, la peur. Les textes
de Steiner ne prétendent pas tout embrasser pour autant.
Les espaces les plus denses sont toujours ceux qui souvrent
au lecteur sans quil y pénètre, la chambre
dont il manque la clef dans Der Schlüssel,
par exemple (une nouvelle du recueil intitulé Olduvai).
Nous y faisons lexpérience existentielle de la
limite et de son ambivalence, avec une intensité toujours
contenue. Fuite et découverte séquilibrent.
Mais ce qui confère vraiment
aux textes de Steiner le caractère dune uvre,
cest lautonomie que leur attribue leur auteur:
ils ont leur vie propre, indépendamment
de toute composante autobiographique. Rien de ce qui le concerne
na droit de cité dans ses livres. Luvre
nest pas lexpression de lauteur, cest
lauteur qui est lexpression de luvre.
Pour Steiner, le concept dauteur ne renvoie
pas à lautorité dun créateur
mais à celle dun témoin. Sa vérité,
ce sont les vérités de ses personnages. Elles
ne sont donc jamais que des représentations. Comme
témoin, lauteur se situe dans le voisinage immédiat
de ses personnages (sans jamais être vraiment proche
deux). Ils lui ont été confiés,
mais ils ne lui appartiennent pas. Parfois il doit se protéger
de ceux dont les histoires le touchent de trop près.
Cette posture devient de plus en plus stricte au fil de luvre,
mais aussi plus ironique. Dans Wer tanzt schon zu Musik von
Schostakowitsch, le narrateur dit du frère de Goody:
Cest lui qui raconte lhistoire. Lauteur
na le droit de se faire entendre que par les mouvements
de son corps textuel: sa démarche lente,
sa respiration irrégulière. Notons que cest
justement par sa manière de rester hors jeu quil
est reconnaissable. La transparence du son steinérien
naît de la distance ténue, difficilement mesurable,
mais toujours perceptible, entre lauteur et ses personnages.
Samuel Moser
Entretien
Gottfried Eisinger, un des personnages
de Wer tanzt schon zu Musik von Schostakowitsch sappelle
Goody. On dirait de laméricain. Goody fait dailleurs
la connaissance dune Américaine, Roma Saunders,
une émigrée. LAmérique est présente
une fois de plus dans ce dernier livre, elle na rien
perdu de sa magie.
Il ne sagit pas de lAmérique
réelle. Cest juste un rêve, une idée
de lAmérique, la pensée que cela pourrait
être différent là-bas. Cest ce quil
y a de magique. Goody nest pas un voyageur. Il voyage
dans les livres.
Navez-vous jamais songé
à confronter votre propre image de lAmérique
à celle dont rêvent vos personnages?
Je men garde soigneusement.
Limportant pour moi, cest ce qui arrive à
Goody dans lhistoire. Ce nest pas à moi
que cela est arrivé. Même si jai pu vivre
certaines choses qui apparaissent dans mes livres, cela doit
passer totalement inaperçu. LAmérique
pourrait tout aussi bien être la Mongolie intérieure.
Et lAméricaine nest là que parce
quelle mest venue à lesprit, ou à
lesprit de Goody, ou à celui du frère
qui raconte lhistoire. Il ne faut pas oublier que cest
le frère qui raconte cette histoire. Moi je me suis
contenté de la consigner.
Votre uvre gravite autour
dun autre lieu géographique, lAfrique.
Dans les années soixante, vous avez tenu une galerie
dart africain. Et la nouvelle qui a donné son
titre au recueil Olduvai raconte lhistoire dun
médecin gravement malade qui part pour un dernier voyage
en Afrique. Quelle est la signification de ce continent?
Dun côté,
il y a lart africain, qui ma demblée
impressionné. Dans ma galerie, il y avait des statues
dancêtres. Jai été très
sensible à la charge religieuse quelles expriment.
Et puis il y a eu le voyage en Tanzanie, en 1982. Olduvai
est le nom dune gorge, dans ce pays, où il y
a un petit musée. Je me suis senti très proche
de lhistoire de ce médecin. Même sil
ny a rien en elle qui mappartient. Il part en
voyage et se trouve face à lhistoire des origines
de lhumanité, aux trouvailles faites là-bas.
La force de ce pays le touche. Cest ce que je voulais
mettre dans ce texte. Mais voilà que je suis aussi
tombé sur des souvenirs, le numéro du cirque
Knie présentant les peuples du monde, à Bienne,
quand jétais enfant. La mémoire est le
tissu de la littérature. Comme si javais des
racines en Afrique, contrairement à lAmérique.
Pour en rester aux débuts,
comment est-ce que vous commencez un texte?
Jai écrit une fois:
Rien ne commence au début et rien ne se termine
à la fin. Ce nest pas moi qui commence.
Ça commence quelque part. Cette phrase par exemple,
dans Schostakowitsch: Tout ce quil raconte, il
le raconte à tout le monde, et sil raconte quelque
chose dautre à quelquun, il dit ensuite
à tout le monde quun jour il a raconté
autre chose à quelquun, mais que cest vrai
aussi. Jai joué avec les mots et je me
suis demandé seulement ensuite qui pouvait bien prononcer
cette phrase, et de qui ce quelquun pouvait bien parler.
Petit à petit ce texte mest devenu accessible.
Au fond, le début relève toujours dun
coup de chance. Il y a des phrases qui tiennent et dautres
que je jette parce quelles ne mènent nulle part.
Mener quelque part signifie que les phrases se développent
delles-mêmes, il suffit de les suivre.
Et la fin dun livre?
Toute fin est un nouveau début.
Cest ainsi dans toutes les histoires. Le conte en est
lexemple classique. Au début, tout est bien,
puis survient le désordre. Il arrive des choses terribles
qui se terminent à la satisfaction générale.
Et pour être sûr que cette fin heureuse ne débouche
pas à nouveau sur quelque chose de terrible, on dit
à la fin et sils ne sont pas morts
.
Cest une manière inoffensive de se convaincre
quune histoire pourrait avoir une fin et quelle
pourrait en rester là pour toujours. Mais tout le monde
sait par expérience quil nen est pas ainsi.
LAmérique et lAfrique
représentent les horizons de vos livres. Pourtant,
depuis Ein Messer für den ehrlichen Finder (1966), vos
histoires se passent à Bienne. Dans Der Kollege (1996),
le lecteur a droit à une véritable visite de
la ville sur les traces de Greif. Quel est le rôle de
la localité dans laquelle vous vivez et où vous
avez grandi? Ne vient-elle jamais contrecarrer vos plans?
Il faut quelle les contrecarre
pour prendre une véritable densité. Lhistoire
de Greif est une exception. Bienne y joue un rôle topographique
grandeur nature, ce nest pas celui que je lui préfère.
Il ny a là ni rêve, ni invention. Mais
pour Greif, il fallait quil en soit ainsi, il ne peut
se raccrocher à rien dautre. Dans mes autres
livres, cest différent. Les histoires pourraient
se passer nimporte où. Bienne y appartient au
monde du souvenir, du rêve, de lidée.
Quand vous traversez la ville, ensuite,
la ville imaginée vous paraît-elle plus réelle
que la ville effective?
Certainement. Je passe plus
de temps dans la ville que jai inventée, dans
la ville que jaime, parce quelle est plus grande
quon ne le pense, plus vaste que je ne le crois moi-même.
Et si elle est plus vaste, cest grâce à
cet état de relatif abandon qui énerve tellement
les gens quand ils pensent à Bienne.
Jaimerais resserrer encore
le cercle. Greif commence sa visite dans le faubourg, au bord
du lac, devant votre maison. Dans vos livres, il y a toujours
un objectif braqué sur ce qui se trouve devant votre
porte.
On sait bien quune métaphore
nest pas la chose sur laquelle elle repose, mais une
chose qui se construit. Et puis, il y a ma mémoire.
Jai des souvenirs qui remontent aux années trente.
Mon père a construit les bains de Bienne avec des chômeurs.
Je photographie ce qui se passe devant ma porte, mais jen
fais autre chose. Quelque chose de racontable, jespère.
Voir les choses telles quelles sont ne me sert à
rien. Les magnifier non plus. Tous les écrivains essaient
de rendre les choses racontables, du moins tous les écrivains
que jaime. Essayer de mettre le monde en mouvement.
Pour arriver à raconter quelque chose, il faut de la
chance; du travail aussi, du savoir-faire, de la volonté
créatrice, de limagination. Et cette conscience
permanente que ce qui nest pas racontable nexiste
pas pour moi, soit dit en exagérant.
Et ce qui est racontable va plus
loin que ce qui est raconté
Oui, raconter cest vraiment
autre chose quun entrefilet dans un journal. Raconter
relève de lécoute. Quand jécris,
je mimagine non pas un lecteur, mais un auditeur. Un
auditeur qui pourrait être moi-même. Jaime
bien entendre des histoires. Ce serait bien si les lecteurs
lisaient à haute voix, ou lisaient quelque chose à
quelquun. Dans les pays germanophones, on organise des
lectures publiques. Jaime bien me lire des histoires,
ou en lire à quelquun dautre de temps en
temps. Ou de préférence à un auditeur
imaginaire. Mais jai de la peine à lire mes textes
en public, je naime pas que lon compare mon existence
orale à mon existence écrite.
Quest-ce qui distingue un
auditeur dun lecteur?
Sa présence physique.
Un auditeur peut en tous temps dire quelque chose, se lever,
sen aller. Il peut se mêler de lhistoire.
Dailleurs il le fait. Jai souvent limpression
que quelquun vient me couper la parole. Un lecteur peut
fermer bruyamment le livre, le jeter, mais ce sont des réactions
qui ne touchent pas lauteur du livre. Lauditeur,
jessaie de le lier à mon histoire, le rapport
que jentretiens avec lui na rien à voir
avec celui que je fais entre mes livres et leurs acheteurs.
Je ne pense jamais au livre terminé.
Pouvez-vous définir quel
espace verbal vous occupez dans vos textes?
Il ny a pas despace
verbal, juste une présence. La présence de lauteur
au sein de son texte se manifeste à travers une sorte
de corps textuel. Ma lenteur pourrait sexprimer dans
mes textes par le fait quils sont eux-mêmes lents.
Composés pas à pas. Peut-être que jécris
comme je marche.
Beaucoup dauteurs alémaniques
de votre génération, Peter Bichsel ou Otto F.
Walter par exemple, ont transformé leur scepticisme
devant la narration en un élément narratif.
Vous sentez-vous proche deux?
Proche seulement par sympathie.
Nous nous sommes rencontrés un beau jour, voilà
tout. Peter Hamm ma présenté à
Otto F. Walter, qui était alors éditeur et auteur
lui-même. Ensuite jai fait la connaissance de
Peter Bichsel, et je lai amené chez Otto Walter.
Nous faisions partie dun réseau qui est entré
en contact avec dautres, avec celui de Peter Schifferli
des éditions Arche, ou avec Hans Rudolf Hilty, de la
revue Hortulus. Et puis il y a aussi eu les éditions
Tschudy et des auteurs dont beaucoup sont tombés dans
loubli aujourdhui. Nous navions pas limpression
de faire quelque chose de tout à fait nouveau. Ensuite
on nous a appelé les Neutöner dans
le canton de Berne, ceux qui ont inventé un nouveau
son, mais nous navions aucune idée de ce
que cela pouvait bien signifier. A Berne, il y avait déjà
la Kunsthalle, avec Harald Szeemann, et nous en étions
encore à lire nos textes à haute voix devant
la cheminée. Mais je trouvais cela un peu bizarre,
moi aussi je préférais le néon.
Comment avez-vous commencé
à écrire?
En lisant. Jai grandi
pendant la guerre et je me réfugiais dans les livres.
Le monde ma fait peur, la manière dont on en
parlait à la radio et celle dont on parlait de la guerre
à la maison. Le livre était le seul moyen de
sabstraire de tout cela en quelques fractions de seconde
et de me plonger dans un autre univers.
Pouvez-vous nous décrire
votre évolution littéraire?
Quest-ce que lévolution,
le passage du stade de têtard à celui de grenouille,
par exemple? Je tourne toujours autour du même livre.
Je nai pas limpression dévoluer.
Pourtant jaime bien le mot. Cela veut dire dérouler.
Au marché, à Paris, les fétiches africains
fabriqués pour faire du tort à dautres
étaient toujours enroulés dans des morceaux
de tissu. Il suffisait de dérouler ces tissus pour
rendre les fétiches inoffensifs. Cependant je naime
pas voir mon travail mis à nu, une fois quil
est fait. Ce que jaime, cest la démarche.
Mais elle a sa propre vie. On vieillit, on devient un peu
plus stupide, cest ça lévolution.
Pourtant, vous comprenez de mieux
en mieux ce quest la littérature, non?
Si cest vrai, cette compréhension
ne saméliore pas en écrivant, mais plutôt
en lisant dautres auteurs, des livres qui appartiennent
à des univers différents.
Votre relation avec vos personnages
est complexe. Il me semble que vous aimeriez leur donner une
identité sans quon puisse les identifier pour
autant.
Il sagit à la fois
de révéler et de dissimuler. Je nai pas
le droit de disposer de mes personnages. Cest moi qui
les imagine, cest vrai, mais je dois aussi veiller à
men défaire. Ma crainte, cest de mapprocher
de trop près en les étalant devant celui qui
mécoute. Jai peur de commettre une faute
en déballant un de mes personnages, de lui faire violence,
juste pour arriver à écrire une histoire. Je
naimerais pas leur enlever leur pouvoir magique.
Vos personnages sont toujours des
marginaux. Les frères Eisinger aussi?
Quest-ce quun marginal?
Nous sommes tous en marge des autres, ça nexplique
rien du tout. Nous nous dépêchons tous de courir
vers ce que nous croyons être au centre et nous essayons
de nous y cramponner comme si le monde ressemblait au tambour
dune machine à laver. Ce sont simplement des
êtres humains à qui il est arrivé quelque
chose, voilà tout. Une histoire par exemple, quils
considèrent ensuite comme leur vérité,
quand ils ne sont pas assez lucides pour voir que la vérité
aussi est une histoire. Ils essaient de se donner une identité.
Certains dentre eux y parviennent, mais seulement de
manière provisoire. Cest laspect inachevé
de mes livres. Rien nest jamais terminé, comme
si le monde entier était en marche vers un but que
je ne connais pas.
Et des gens à qui il narriverait
rien?
Ce serait horrible. Peut-être
existe-t-il des gens comme ça, je ne sais pas, je nen
connais pas. Ce serait comme lépitaphe que Faulkner
voulait paraît-il voir sur sa tombe: Il est né,
il a souffert, il est mort. Daccord, souffrir
veut déjà dire quil est arrivé
quelque chose. Mais ce serait un raccourci terrifiant. La
littérature, cest ce quil y a entre deux.
Il y a aussi place pour la joie. Ou pour lhumour. Même
chez Faulkner. Ou bien il arrive quelque chose à mes
personnages dans le texte même, ou bien il leur est
arrivé quelque chose avant. Et puis il y a aussi ceux
à qui il va arriver quelque chose, mais en tant quauteur,
je nai pas le droit de savoir quoi. Dans Weissenbach
und die anderen, les barons sont des personnages dont on peut
supposer quil ne leur est rien arrivé. Peut-être
sarrangent-ils pour quil ne leur arrive jamais
rien. Je pense que cela fait partie de la condition même
de baron.
Dans Weissenbach und die anderen
(1994), Weissenbach, qui est écrivain, dit: La
vérité est une histoire. Schostakowitsch
commence avec une phrase analogue. Cela signifie-t-il que
la vérité est dans les histoires ou bien quelle
est introuvable? Le narrateur est-il à la recherche
de la vérité comme le philosophe?
Je suis plus modeste. Peut-être
que nous pensons tous deux aux mêmes choses. Mais en
tant quauteur nous devons encore les rendre racontables.
Les choses ne prennent un sens que si on peut les raconter.
La vérité est une histoire, jen suis persuadé.
Cest pourquoi je préfère mettre le mot
au pluriel. La vérité? Je ne my connais
pas assez en philosophie. Je sais seulement combien de souffrances
et de morts les détenteurs de la vérité
ont infiigées à lhumanité. Comme
je lai dit dans Weissenbach, jaime mieux partir
du principe que la plupart des vérités ont une
durée de vie très brève, dune brièveté
effrayante. Je ne cherche pas à trouver une vérité.
Je suis simplement sur la trace des errements et des tourments
des hommes et des femmes que je mets en scène. Et dailleurs
des miens aussi. Nous ne savons pas ce quest la vérité,
si tant est quelle existe. Mais nous tournons toujours
autour, pour pouvoir décider tous les jours de faire
ou de ne pas faire ceci ou cela. Je ne doute pas du fait que
la vérité existe en tant que loi. Je doute seulement
que nous soyons en mesure de la trouver ou que nous soyons
obligés de la mettre à exécution. Jaimerais
mieux pas. Mais laissons cela.
La nouvelle Der Kollege a frappé
par la simplicité et la linéarité de
sa composition. On a souligné lextrême
dispersion spatiale et temporelle, la superposition de plusieurs
points de vue narratifs du chapitre consacré à
Lorca, dans Schnee bis in die Niederungen (1973). Das Netz
zerreissen fut un livre complexe mais pourtant structuré,
une symphonie. Schostakowitsch en revanche est plein de dissonances.
La seule parenthèse (le fait que les protagonistes
sont frères) se situe à un niveau mythique.
Quelle importance accordez-vous aux problèmes de composition
quand vous écrivez?
Jai bel et bien une idée,
mais mon pouvoir est limité. Ce quon écrit,
ce ne sont jamais que des pages. On les enfile dans une machine
à écrire. Dans le roman Das Netz zerreissen,
je me suis demandé quand mon personnage devait réapparaître
et si jen avais encore une quelconque utilité
seulement après avoir écrit les cent premières
pages. Dans dautres livres, les personnages se perdent,
comme si cela faisait partie dun plan intérieur.
Une sorte de tapis effrangé. Je ny suis pour
rien. Pas plus que laraignée nest responsable
de ce que sa toile nest pas ronde. Cest le corps
textuel que je porte en moi qui est ainsi fait.
Traduction : Ursula Gaillard
Extrait de Feuxcroisés n°4
Repères
Jörg Steiner
est né en 1930 à Bienne, fils dun ingénieur.
Après avoir interrompu un apprentissage de droguiste,
il a suivi à Berne le Lehrerseminar, afin
de devenir instituteur. Au début des années
cinquante, il a été éducateur dans un
foyer pour enfants difficiles. Il a ensuite occupé
des postes dinstituteur dans les écoles publiques
de plusieurs localités, dont Nidau fut la dernière,
tout en cessant denseigner pendant de longues périodes.
Jörg Steiner vit aujourdhui à Bienne.
Bibliographie
Prose narrative
Eine Stunde vor Schlaf, St.Gallen, Tschudy,
1958.
Abendanzug zu verkaufen, Bern, Benteli, 1961.
Strafarbeit, Olten/Freiburg i.Br., Walter, 1962.
Le Cas du détenu Bund, traduit par Christine Kübler,
Paris, Denoël, 1972.
Polnische Kastanien, Grenchen, Brechbühl, 1963.
Ein Messer für den ehrlichen Finder, Olten/Freibrug i.Br.,
Walter, 1966.
Un couteau dans lherbe, traduit par Christine Kübler,
Paris, Denoël, 1972.
Auf dem Berge Sinai sitzt der Schneider Kikrikri, Darmstadt/Neuwied,
Luchterhand, 1969.
Schnee bis in die Niederungen, Darmstadt/Neuwied, Luchterhand,
1973, et Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1990.
Eine Giraffe könnte es gewesen sein, Stuttgart, Reclam,
1977. (Histoires choisies.)
Das Netz zerreissen, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1982.
Un accroc dans le filet, traduit par Anne Cunéo et
Véronique Deshayes, Lausanne, Editions de lAire,
1988.
Olduvai, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1985.
Fremdes Land, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1989.
Weissenbach und die anderen, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1994.
Der Kollege, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1996.
Le Collègue, traduit par Gilbert Musy, Carouge, Zoé,
1996.
Wer tanzt schon zu Musik von Schostakowitsch, Frankfurt a.M.,
Suhrkamp, 2000.
Livres pour enfants
Pele sein Bruder, Köln, Middelhauve,
1972.
En collaboration avec lillustrateur
Jörg Müller
Der Bär, der ein Bär bleiben
wollte, Aarau, Sauerländer, 1976.
Un ours, je suis pourtant un ours, Paris, Duculot, 1976.
Die Kanincheninsel, Aarau, Sauerländer, 1977, et Zürich,
Unionsverlag, 1998.
LIle aux lapins, traduit par Laurence Bourguignon, Paris,
Duculot, 1978, et Namur, Mijade, 1999.
Die Menschen im Meer, Aarau, Sauerländer, 1981.
Der Eisblumenwald, Aarau, Sauerländer, 1983, et Zürich,
Unionsverlag, 1997.
Der Mann vom Bärengraben, Aarau, Sauerländer, 1987.
Aufstand der Tiere oder die neuen Stadtmusikanten, Aarau,
Sauerländer, 1989.
Les nouveaux musiciens de Brême dans la Révolte
des animaux de la pub, traduit par Gilbert Musy, Paris, LEcole
des loisirs, 1990.
Was wollt ihr machen, wenn der Schwarze Mann kommt, Aarau,
Sauerländer, 1998.
Poèmes
Episoden aus Rabenland, Küsnacht,
Eirene, 1956.
Der schwarze Kasten, Olten/Freibrug i.Br, Walter, 1965.
Als es noch Grenzen gab, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1976.
Théâtre, scénarios
et pièces radiophoniques
Stau-Werk, in National-Zeitung Basel,
30.4.1971. (Joué au Basler Theater en 1971.)
Das Bett, Radio DRS, 1967, (Ex-Libris Audiothek 7014, Zürich,
1974.)
Rabio, Regenbogenreihe, Zürich, 1970. (Scénario
dun film réalisé en 1967 par Kurt Blum
und Fritz E. Mäder.)
Durab, traduit par Christine Kübler, Collection de lArc-en-ciel,
Zürich, 1970.
Jörg Steiner a en outre écrit
les scénarios de trois téléfilms: Das
Bett, et Die Hausordnung, tous deux réalisés
par Kurt Früh pour Fernsehen DRS en 1967; et Peles Bruder,
réalisé par Mario Cortesi pour Fernsehen DRS
en 1971.
Jörg Steiner a reçu de
nombreux prix, dont le prix Erich Fried de lEtat autrichien,
et très récemment le prix culturel Max Frisch
de la Ville de Zurich.
Extrait de Feuxcroisés n°4
Page créée le 20.08.02
Dernière mise à jour le 20.08.02
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