ROBERT WALSER
Le printemps des traductions
Les francophones qui aiment Robert
Walser et ne peuvent le lire dans sa langue sont comblés
en ce début dannée. Plusieurs publications
donnent accès à la partie en fait la plus abondante
de son uvre, celle qui parut dès 1899 dans divers
quotidiens suisses alémaniques et allemands, ainsi
que dans des revues, et dont il tirait ses maigres moyens
dexistence avant son internement.
Il ny a pas de petites formes
pour Walser, ni de petits sujets, il fait son miel du moindre
événement quotidien, de la plus banale des constatations
et lui donne vie et profondeur comme aucun écrivain
avant lui. Le charme inimitable de Walser tient dans une apparence
dinnocence et de pureté du regard si bien maîtrisée
littérairement que le lecteur bascule dans un univers
heureux. Cette innocence a bien sûr son revers, si présente
dans le non-dit walsérien, celle de lenvers de
sa manière de voir, ce monde réel dans lequel
malgré tout nous vivons et qui finira par engloutir
notre auteur émerveillé.
Parues en 1904 à Leipzig, Les
Rédactions de Fritz Kocher ouvrent le livre publié
en début dannée chez Gallimard, suivi
de Histoires et Petits essais. Les rédactions de Fritz
Kocher sont de véritables compositions dans lesquelles
lélève Kocher, un premier de classe issu
dune famille aisée, traite les thèmes
imposés par le maître. On y trouve déjà
la subtilité de lécriture walsérienne,
ce décalage presque infime, quasi inexprimable, entre
une bonne composition de bon élève sensible
et cette même rédaction revisitée par
un écrivain, encore en devenir, mais un écrivain
qui se risque dans un genre périlleux. Car ne pourrait-on
pas dire: oui, ce Walser écrit de bonnes compositions
! Et cest ce quil fait par la suite, pendant des
années, des compositions signées Walser, en
toute modestie (une fausse modestie, bien sûr), quelles
sappellent Histoires ou Petits essais.
Ce que le lecteur découvre aussi
dans les petites proses de Walser, et qui nest pas toujours
évident dans ces romans, cest une certaine causticité,
qui ne vire pour ainsi dire jamais à lironie
quil aurait sûrement jugée trop cruelle.
Robert Walser est un homme qui se baigne dans la lumière,
mais derrière lémerveillement qui est
le sien, cette satisfaction affichée (tout va toujours
pour le mieux, il ne se plaint jamais de rien), un univers
plus sombre se profile, celui du refoulement et des difficultés
à vivre bien tranquille de sa plume dans un monde menaçant
toujours sa liberté et sa candeur (par exemple lunivers
du commis dans un bureau) parce quil ne suffit pas,
pour sen protéger, de croire à la gentillesse
universelle. Si bien que ce côté enfant de Walser,
cette candeur, sécrète aussi une lucidité
désabusée, laquelle affleure dans le texte comme
la transpiration accompagne leffort. "Je ne sais
pas de quoi parler, car tout est si beau, se trouve là
seulement pour la beauté", voilà du Walser
a tout craché ! Cette phrase figure dans le premier
texte ("Le Greifensee") paru dans un journal, le
quotidien bernois Der Bund du 2 juillet 1899. On le trouve
en français dans Le Retour dans la neige, paru chez
Zoé en janvier et dans Histoires (Gallimard), avec
des traductions différentes, comme ce texte émotionnellement
si parfait et sociologiquement si vrai intitulé "La
petite Berlinoise" (1909), où il fait parler une
gamine de douze ans qui vient de recevoir une gifle de son
père adoré. "Le Greifensee" donne
le ton à une trentaine dannées de brèves
proses destinées à des journaux, souvent à
gros tirage, qui séduiront des écrivains comme
Kafka, Brod ou Musil, mais ne feront jamais de Walser, paradoxalement,
un auteur populaire.
Parmi ces récentes publications
en traduction française....
Parmi ces récentes publications
en traduction française, il faut mentionner Marie (Editions
du Rocher), où Robert Walser donne avec bonheur dans
le conte merveilleux, celui dune rencontre idéale
dans les bois entre une sauvageonne et un honnête homme
marginal dun genre très proche de celui de lauteur.
Ce petit ouvrage en édition bilingue, dun grand
confort de lecture, offre en regard le texte original et la
page traduite. La collection Minizoé propose pour sa
part un texte théâtral de jeunesse intitulé
"LEtang", le seul jamais retrouvé rédigé
en suisse allemand (dialecte bernois) par Robert Walser. Lauteur
ne destinait pas ce texte à publication. Il lavait
donné à sa plus jeune sur, Fanny, qui
offrit le manuscrit au public un peu avant sa mort. Bernard
Echte explique dans une postface que Walser ne laurait
pas écrit à seize ou dix-sept ans, comme on
lavait cru dabord, mais vraisemblablement huit
ou neuf ans plus tard. Il recèle sans doute une histoire
familiale douloureuse. Le jeune Fritz (une doublure évidente
de Walser) y simule son suicide afin de mesurer la réaction
de sa mère dont il se croit mal, voire pas aimé
du tout. Lactivité même décrire
y apparaît comme lannonce dun suicide dans
le but de gagner lamour dune mère inabordable.
Et si ce suicide simulé porte ses fruits, les retrouvailles
demeurent secrètes, marquées dun non-dit
propre à nourrir une vie décriture toute
de pudeur, dallusions au propre destin de lauteur
génialement détournées en histoires,
mises en scène et fictions à lusage des
hommes.
On ne peut lire Walser en ses multiples
petites proses sans ressentir que lécrivain le
plus enclin à lémerveillement, quil
savait si bien communiquer, sexprimait vraiment sur
larête dun gouffre dombres aussi vertigineux
que la belle lumière du monde qui éclaire ses
textes.
Jean-Bernard Vuillème
Publications de Robert Walser
Les Rédactions de Fritz Kocher,
Histoires, Petits Essais, traduit de lallemand par Jean
Launay, Gallimard, 1999;
Retour dans la neige, traduit par Golnaz Houchidar, Editions
Zoé, 1999;
La Dame blanche, traduit par Antonin Moeri, Editions Ulysse
(Dijon), 1999;
Marie, édition bilingue, traduit par Jean Launay, Editions
du Rocher (Monaco), 1999;
LEtang, traduit du suisse allemand par Gilbert Musy,
Minizoé, 1999.
© 1998 Le Passe-Muraille, journal
littéraire, Lausanne
Page créée le 20.06.99
Dernière mise à jour le 20.06.02
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