Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Jean-Louis Kuffer - Jean Romain
Jean-Louis Kuffer, Le
Sablier des Étoiles, fugues helvètes, Bernard Campiche
Editeur, 1999 |
Les fugues de Kuffer
Contrairement à ce que laissent
entendre certains critiques grognons, il faut compter avec
Jean-Louis Kuffer : le journaliste, le rédacteur
des savoureuses « Petites feuilles » dédiées
à Cingria et surtout l'écrivain. Après
Le Viol de l'ange, premier roman « virtuel »,
voici Le Sablier des étoiles, une suite de fugues
et de variations qui confirment, s'il le fallait, la force
d'un talent original
Le livre commence comme il s'achève
: par l'évocation d'un lieu magique, la Désirade
ici, îlot accroché aux montagnes, quelque part
entre ciel et lac, le Vieux Quartier là-bas, paradis
retrouvé où l'auteur puise des forces neuves,
où son regard, par la distance et la hauteur, retrouve
une acuité particulière.
Rhapsodie en bleu
Suite de textes très brefs,
les fugues de Kuffer sont à prendre à la fois
dans un sens musical et dans celui d'une échappée
très libre dans la mémoire et l'imagination.
Tantôt, comme Proust ou Leiris, Kuffer s'interroge sur
le pouvoir quasi-magique des mots. Il part à la recherche
des mots oubliés de l'enfance : les petits noms qui
nommaient ceux qu'on aime (Grossvater), qui disaient l'émotion
ou la peur, la découverte ou la surprise, l'émerveillement
(Villa Sumatra). Tantôt il dérive au gré
des images et des couleurs, évoquant les tableaux de
Czapski, où « la rose chair à consistance
de papier de soie de telle vieille mortelle au tearoom prend
ainsi des transparences de lettre d'amour tout usée
par les yeux », une photo de la Gay Pride ou encore
une virée nocturne irrésistible, tout droit
sortie d'un rêve, avec Nicolas Bouvier.
Suivant le fil des mots et des images,
les fugues de Kuffer inventent une logique qui leur est propre
: celle de la rhapsodie chère à Gershwin, et
dont le bleu, on s'en doute, est la couleur obsessionnelle
et dominante. La force de Kuffer est de ne faire confiance
qu'aux mots en acceptant ce qu'ils traînent avec eux
de fantômes : ami ou frère disparu, sensation
oubliée, visage fondu dans la cire de mémoire.
Kuffer ne triche pas. Il va au bout de l'écriture,
toujours en quête de ces synesthésies qui mêlent
joyeusement les images et les sons, les parfums et les goûts.
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Jean
Romain, Croquemitaine, Editions L'Âge d'Homme, 1999 |
Un ogre débonnaire
Voici un livre qui en impose et qui,
à l'inverse des romans fast-food, n'a pas été
écrit en deux semaines !
C'est une image ancienne, celle d'un
géant balourd que les parents appellent, le soir, pour
remettre au pas leur enfant, que Jean Romain développe
ici, patiemment, comme on laisse une photo arriver lentement
à la lumière.
L'argument est simple : Lucien, le
cousin infirme de Nicolas (alias Croquemitaine), disparaît
un jour sans laisser de trace. Fugue ? Enlèvement ?
Accident ? Nicolas part à sa recherche et son enquête,
au fil des pages, l'amène à traverser plusieurs
pays obscurs et maléfiques : Chinatown, d'abord, dirigée
par un Chinois cynique ; la Margotière, ensuite, où
habite un ancien aristocrate, Eugène Récamier,
qui a inventé « une langue à base d'idiomes
énigmatiques, une sorte d'alphabet à mi-chemin
entre le chinois et les runes, qui s'écrit de bas en
haut ». Il y a enfin le repaire de Maître Olajuhon,
un Américain philosophe et spécialiste en énigmes
diverses.
Comme on le voit, Croquemitaine est
une fable dans laquelle le héros, après avoir
franchi plusieurs épreuves initiatiques (qui l'ont
aidé à se connaître lui-même), découvre
enfin l'objet de sa recherche : la graine d'éternité
et de sagesse qu'il porte en lui, sous les traits d'un enfant
qui ne veut pas grandir.
À la lecture du livre de Jean
Romain, on pense bien sûr au Roi des Aulnes de Michel
Tournier, autre fable d'un géant « pédophore
». Les parallèles, ici, sont nombreux. Mais Jean
Romain traite sa matière davantage en philosophe qu'en
romancier. Il aime à s'attarder sur tel ou tel personnage,
à disserter sur des sujets divers (l'enfance, la bestialité,
le destin, etc.), et cela, quelquefois, au détriment
de la narration, qui gagnerait à être plus nerveuse,
plus tendue.
Mais Croquemitaine réserve beaucoup
de bonnes surprises. Il est solide et bien écrit. En
outre, l'amateur de roman y trouvera des morceaux de bravoure
qui valent, à eux seuls, la lecture.
[...]
Jean-Michel Olivier
Jean-Louis Kuffer, Le Sablier des Étoiles,
fugues helvètes, Campiche, 1999.
Jean Romain, Croquemitaine, L'Âge d'Homme, 1999.
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Page créée le 20.05.99
Dernière mise à jour le 20.05.99
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