Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Rafik Ben Salah - Bernadette Richard
Rafik Ben Salah, Le
Harem en péril, nouvelles, L'Âge d'Homme, 1999 |
Rafik Ben Salah Prix Lipp 1999
La nouvelle - si prisée dans
les pays anglo-saxons - n'a pas bonne presse dans nos contrées.
Rares sont les éditeurs, en effet, qui misent sur ce
genre exigeant, lequel demande acuité du regard et
concision, force expressive et sens de l'ellipse. Quel talent,
toutefois, dans les proses courtes de Rafik Ben Salah et de
Bernadette Richard, qui, tous les deux, sont allés
puiser en Afrique du nord leur inspiration !
Né en Tunisie, où il
fait ses études primaires et secondaires, Rafik Ben
Salah obtient une licence de Lettres à Paris, puis
se lance dans le journalisme. Aujourd'hui, il enseigne le
français et l'histoire dans un gymnase vaudois.
L'Afrique du nord est omniprésente
dans les dix nouvelles qu'il a rassemblées sous le
titre Le Harem en péril.
Une Afrique écrasée de soleil et déchirée,
bientôt, entre son attachement aux traditions séculaires
et la modernité qui gagne chaque jour du terrain. C'est,
par exemple, le fils Nawas qui revient au village, auréolé
de son diplôme de dentiste obtenu chez les Roumis, venant
faire concurrence au vieux coiffeur Fartas "qui était
à la fois barbier de père en fils, dentiste
à tenailles émérite et chirurgien-tailleur
de prépuces". Le face à face entre la science
moderne et l'antique savoir-faire tourne vite à l'aigre,
attisé par une mauvaise rumeur (le docte dentiste fricote
avec ses patientes) et se termine comme une nouvelle de Paul
Bowles: avec son rasoir, le vieux barbier coupe la main du
jeune blanc-bec.
Fables tragi-comiques
Ailleurs, c'est un chameau qui se venge
de son maître en fonçant tête baissée
contre une meule - c'est-à-dire en se suicidant. Plus
loin, c'est une jeune servante, Ouarda, qui aime à
danser "avec des casseroles autour de la taille".
Sa douce folie est acceptée au nom de principes supérieurs,
car il faut " laisser vivre la différence ".
Le drame, pourtant, c'est qu'elle déposera un jour
"dans du papier d'aluminium bien ficelé"
le nouveau-né qu'elle avait charge de garder, et qu'elle
fera rôtir ! Plus loin encore, c'est le dilemme du pauvre
diable El Hadi qui ne peut sacrifier l'agneau rituel, faute
d'argent, et choisit, la mort dans l'âme, de renoncer
à son taxi, pour faire ce plaisir à son fils...
À travers ses nouvelles, Ben
Salah nous restitue une Afrique pleine de bruits et de rumeurs,
de parfums singuliers, de saveurs sans pareilles. Sa langue
est celle d'un conteur qui prend souvent le lecteur à
partie, ou la petite communauté d'un village, ou Allah
lui-même. Son style épique, toujours marqué
par l'étroite distance de l'humour, tout de surprise
et de truculence rappelle l'Albert Cohen des Valeureux
ou Mangeclous. Ce qui n'est pas peu dire.
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Bernadette
Richard, Nouvelles égyptiennes, (et histoires d'ailleurs) L'Âge
d'Homme, 1999 |
Bernadette Richard - Amours brûlées
Dans un recueil au titre à la
fois transparent et secret, Nouvelles
égyptiennes, Bernadette Richard nous donne douze
textes écrits entre 1988 et 1997 tantôt au Caire,
tantôt en Italie presque toujours à l'étranger.
Ce n'est pas hasard, bien sûr, pour qui connaît
cette femme remarquable qui partage sa vie entre la Suisse
où elle est journaliste (à L'Hebdo et Quotidien
jurassien) et l'Italie, le Canada ou lEgypte (où
elle écrit romans, nouvelles et pièces de théâtre).
Si l'Égypte est présente
(et de quelle manière !) dans ces nouvelles, tant par
ses habitants, sa musique, ses parfums, ses paysages hallucinés,
elle n'est qu'un des lieux qu'arpente Bernadette Richard:
lieu de l'amour et de la disparition, de la mémoire
et de l'oubli.
Chacune de ces nouvelles - dans une
langue très précise, très directe : elle
aussi calcinée - met en scène une brûlure,
vécue dans la fournaise du désert ou dans l'indifférence
des villes, dans un village jurassien ou à Paris. Cette
douleur nomade, qui pourrait conférer au recueil un
caractère de dispersion, lui donne une très
grande unité, à la fois par ses thèmes,
qui se recoupent sans cesse (les amours furtives, l'exil,
la hantise de la mort, les animaux tutélaires), par
ses personnages, la plupart esquissés, seulement, comme
en ombre chinoise, mais d'une présence inoubliable.
Qu'elle évoque le corps d'un
ancien amant, le visage d'une prostituée du Caire "précédée
par la fumée d'une cigarette au goût de cannelle",
le chat Pompon ou les amours, exotiques et déjà
morte, nées sous le signe du chien du Nil, Bernadette
Richard conjugue avec beaucoup de talent les thèmes
graves et l'ironie salvatrice. En peu mots, ses Nouvelles
égyptiennes touchent au cur même
de l'écriture (c'est-à-dire l'émotion)
: dans cette zone obscure et périlleuse où peu
d'écrivains, aujourd'hui, osent porter leur plume.
Il faut les lire de toute urgence.
Jean-Michel Olivier
Rafik Ben Salah, Le Harem en péril,
nouvelles, L'Âge d'Homme, 1999.
Bernadette Richard, Nouvelles égyptiennes, (et histoires
d'ailleurs) L'Âge d'Homme, 1999.
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Page créée le 20.10.98
Dernière mise à jour le 20.10.98
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